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d'une rivière comme le Danube devant un ennemi connaissant parfaitement les localités et ayant les habitants pour lui est une des plus grandes opérations de guerre qu'il soit possible de concevoir.

Le pont de la rive droite à la première île et celui de la première île à celle de In-der-Lobau ont été faits dans la journée du 19, et, dès le 18, la division Molitor avait été jetée par des bateaux à rames dans la grande île.

Le 20, l'Empereur passa dans cette île et fit établir un pont sur le dernier bras, entre Gross-Aspern et Esling. Ce bras n'ayant que soixante-dix toises, le pont n'exigea que quinze pontons, et fut jeté en trois heures par le colonel d'artillerie Aubry.

Le colonel Sainte-Croix, aide de camp du maréchal duc de Rivoli, passa le premier dans un bateau sur la rive gauche.

La division de cavalerie légère du général Lasalle et les divisions Molitor et Boudet passèrent dans la nuit.

Le 21, l'Empereur, accompagné du prince de Neufchâtel et des maréchaux ducs de Rivoli et de Montebello, reconnut la position de la rive gauche, et établit son champ de bataille, la droite au village d'Esling, et la gauche à celui de Gross-Aspern, qui furent sur-le-champ occupés.

Le 21, à quatre heures après midi, l'armée ennemie se montra et parut avoir le dessein de culbuter notre avant-garde et de la jeter dans le fleuve. Le maréchal duc de Rivoli fut le premier attaqué à Gross-Aspern par le corps du général Bellegarde. Il manœuvra avec les divisions Molitor et Legrand, et pendant toute la soirée fit tourner à la confusion de l'ennemi toutes les attaques qui furent entreprises. Le duc de Montebello défendit le village d'Esling, et le maréchal duc d'Istrie, avec la cavalerie légère et la division de cuirassiers Espagne, couvrit la plaine et protégea Enzersdorf. L'affaire fut vive; l'ennemi déploya deux cents pièces de canon et à peu près quatre-vingt-dix mille hommes, composés des débris de tous les corps de l'armée autrichienne.

La division de cuirassiers Espagne fit plusieurs belles charges, enfonça deux carrés et s'empara de quatorze pièces de canon.

Un boulet tua le général Espagne combattant glórieusement à la tête des troupes, officier brave, distingué et recommandable sous tous les points de vue. Le général de brigade Fouler fut tué dans une charge.

Le général Nansouty, avec la seule brigade commandée par le général Saint-Germain, arriva sur le champ de bataille vers la fin du jour. Cette brigade se distingua par plusieurs belles charges. A huit heures du soir le combat cessa, et nous restâmes entièrement maîtres du champ de bataille.

Pendant la nuit, le corps du général Oudinot, la division Saint-Hilaire, deux brigades de cavalerie légère et le train d'artillerie passèrent les trois ponts.

Le 22, à quatre heures du matin, le duc de Rivoli fut le premier engagé. L'ennemi fit successivement plusieurs attaques pour reprendre le village. Enfin, ennuyé de rester sur la défensive, le duc de Rivoli attaqua à son tour et culbuta l'ennemi. Le général de division Legrand s'est fait remarquer par ce sangfroid et cette intrépidité qui le distinguent.

Le général de division Boudet, placé au village d'Esling, était chargé de défendre ce poste important.

Voyant que l'ennemi occupait un grand espace, de la droite à la gauche, on conçut le projet de le percer par le centre. Le duc de Montebello se mit à la tête de l'attaque, ayant le général Oudinot à la gauche, la division Saint-Hilaire au centre et la division Boudet à la droite. Le centre de l'armée ennemie ne soutint pas les regards de nos troupes. Dans un moment tout fut culbuté. Le duc d'Istrie fit faire plusieurs belles charges, qui toutes eurent du succès. Trois colonnes d'infanterie ennemie furent chargées par les cuirassiers et sabrées. C'en était fait de l'armée autrichienne, lorsqu'à sept heures du matin un aide de camp vint annoncer à l'Empereur que, la crue subite du Danube ayant mis à flot un grand nombre de gros arbres et de radeaux, coupés et jetés sur les rives dans les événements qui ont eu lieu lors de la prise de Vienne, les ponts qui communiquaient de la rive droite à la petite île et de celle-ci à l'île de In-der-Lobau venaient d'être rompus. Cette crue périodique, qui n'a ordinairement lieu qu'à la mi-juin, par la fonte des neiges, a été accé

lérée par la chaleur prématurée qui se fait sentir depuis quelques jours. Tous les parcs de réserve qui défilaient se trouvèrent retenus sur la rive droite par la rupture des ponts, ainsi qu'une partie de notre grosse cavalerie et le corps entier du maréchal duc d'Auerstaedt. Ce terrible contre-temps décida l'Empereur à arrêter le mouvement en avant. Il ordonna au duc de Montebello de garder le champ de bataille qui avait été reconnu, et de prendre position, la gauche appuyée à un rideau qui couvrait le duc de Rivoli et la droite à Esling.

Les cartouches à canon et d'infanterie, que portait notre parc de réserve, ne pouvaient plus passer. L'ennemi était dans la plus épouvantable déroute, lorsqu'il apprit que nos ponts étaient rompus. Le ralentissement de notre feu et le mouvement concentré que faisait notre armée ne lui laissaient aucun doute sur cet événement imprévu. Tous ses canons et ses équipages d'artillerie, qui étaient en retraite, se représentèrent sur la ligne, et depuis neuf heures du matin jusqu'à sept heures du soir il fit des efforts inouïs, secondé par le feu de deux cents pièces de canon, pour culbuter l'armée française. Ces efforts tournèrent à sa honte. Il attaqua trois fois les villages d'Esling et de GrossAspern, et trois fois il les remplit de ses morts. Les fusiliers de la garde, commandés par le général Mouton, se couvrirent de gloire, et culbutèrent la réserve, composée de tous les grenadiers de l'armée autrichienne, les seules troupes fraîches qui restassent à l'ennemi. Le général Gros fit passer au fil de l'épée sept cents Hongrois qui s'étaient déjà logés dans le cimetière du village d'Esling. Les tirailleurs sous les ordres du général Curial firent leurs premières armes dans cette journée et montrèrent de la vigueur. Le général Dorsenne, colonel commandant la vieille garde, la plaça en troisième ligne, formant un mur d'airain suel capable d'arrêter tous les efforts de l'armée autrichienne. L'ennemi tira quarante mille coups de canon, tandis que, privés de nos parcs de réserve, nous étions dans la nécessité de ménager nos munitions pour quelques circonstances imprévues.

Le soir l'ennemi reprit les anciennes positions, qu'il avait quittées pour l'attaque, et nous restâmes maîtres du champ de bataille. Sa perte est immense; les militaires dont le coup d'œil

est le plus exercé ont évalué à plus de douze mille les morts qu'il a laissés sur le champ de bataille. Selon le rapport des prisonniers, il a eu vingt-trois généraux et soixante officiers supérieurs tués ou blessés. Le feld-maréchal-lieutenant Weber, quinze cents hommes et quatre drapeaux sont restés en notre pouvoir. La perte de notre côté a été considérable; nous avons eu onze cents tués et trois mille blessés. Le duc de Montebello a eu la cuisse emportée par un boulet le 22, sur les six heures du soir. L'amputation a été faite, et sa vie est hors de danger. Au premier moment on le crut mort. Transporté sur un brancard auprès de l'Empereur, ses adieux furent touchants. Au milieu des sollicitudes de cette journée, l'Empereur se livra à la tendre amitié qu'il porte depuis tant d'années à ce brave compagnon d'armes. Quelques larmes coulèrent de ses yeux, et se tournant vers ceux qui l'environnaient : « Il fallait, dit-il, que dans cette journée mon cœur fût frappé par un coup aussi sensible pour que je pusse m'abandonner à d'autres soins qu'à ceux de mon armée. » Le duc de Montebello avait perdu connaissance; la présence de l'Empereur le fit revenir; il se jeta à son cou en lui disant : « Dans une heure vous aurez perdu celui qui meurt avec la gloire et la conviction d'avoir été et d'être votre meilleur ami. »> Le général de division Saint-Hilaire a été blessé; c'est un des généraux les plus distingués de la France.

Le général Durosnel, aide de camp de l'Empereur, a été enlevé par un boulet en portant un ordre.

Le soldat a montré un sang-froid et une intrépidité qui n'appartiennent qu'à des Français.

Les eaux du Danube croissant toujours, les ponts n'ont pu être rétablis pendant la nuit. L'Empereur a fait repasser le 23 à l'armée le petit bras de la rive gauche, et a fait prendre position dans l'île de In-der-Lobau, en gardant les têtes de pont.

On travaille à rétablir les ponts; l'on n'entreprendra rien qu'ils ne soient à l'abri des accidents des eaux et même de tout ce que l'on pourrait tenter contre eux l'élévation du fleuve et la rapidité du courant obligent à des travaux considérables et à de grandes précautions.

Lorsque le 23, au matin, on fit connaître à l'armée que l'Em

pereur avoir ordonné qu'elle repassât dans la grande île, l'etonnement de ces braves fut extrême. Vainqueurs dans les deux journées, ils croyaient que le reste de l'armée allait les rejoindre; et, quand on leur dit que les grandes eaux, ayant rompu les ponts et augmentant sans cesse, rendaient le renouvellement des munitions et des vivres impossible et que tout mouvement en avant serait insensé, on eut de la peine à les persuader. C'est un malheur très-grand et tout à fait imprévu que des ponts formés des plus grands bateaux du Danube, amarrés par de doubles ancres et par des cinquenelles aient été enlevés ; mais c'est un grand bonheur que l'Empereur ne l'ait pas appris deux heures plus tard; l'armée poursuivant l'ennemi aurait épuisé ses munitions et se serait trouvée sans moyen de les renouveler.

Le 23 on a fait passer une grande quantité de vivres au camp d'In-der-Lobau.

La bataille d'Esling, dont il sera fait une relation plus détaillée, qui fera connaître les braves qui se sont distingués, sera, aux yeux de la postérité, un nouveau monument de la gloire et de l'inébranlable fermeté de l'armée française.

Les maréchaux ducs de Montebello et de Rivoli ont montré dans cette journée toute la force de leur caractère militaire

L'Empereur a donné le commandement du second corps au comte Oudinot, général éprouvé dans cent combats, où il a montré autant d'intrépidité que de savoir.

Ebersdorf, 27 mai 1809.

Proclamation à l'armée d'Italie (1).

Soldats de l'armée d'Italie,

Vous avez glorieusement atteint le but que je vous avais marqué; le Simering a été témoin de votre jonction avec la grande armée.

Soyez les bienvenus! Je suis content de vous!!! Surpris par

(4) L'Empereur avait fait donner l'ordre aux divisions françaises restées en Italie sous le commandement du prince Eugène de venir immédiatement rejoindre la grande armée en Autriche.

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