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infortunée petite ville, et en moins d'une demi-heure les batteries ennemies furent éteintes.

Le chef de bataillon Dessales, directeur des équipages des ponts, et un ingénieur de marine avaient préparé dans le bras de l'île Alexandre un pont de quatre-vingts toises d'une seule pièce et cinq gros bacs.

Le colonel Sainte-Croix, aide de camp du duc de Rivoli, se jeta dans des barques avec deux mille cinq cents hommes et débarqua sur la rive gauche.

Le pont d'une seule pièce, le premier de cette espèce qui, jusqu'à ce jour, ait été construit, fut placé en moins de cinq minutes, et l'infanterie y passa au pas accéléré.

Le capitaine Buzelle jeta un pont de bateaux en une heure et demie.

Le capitaine Payerimoffe jeta un pont de radeaux en deux heures.

Ainsi, à deux heures après minuit, l'armée avait quatre ponts, et avait débouché, la gauche à quinze cents toises au-dessous d'Enzersdorf, protégée par les batteries, et la droite sur Vittau. Le corps du duc de Rivoli forma la gauche, celui du comte Oudinot le centre et celui du duc d'Auerstaedt la droite. Les corps du prince de Ponte-Corvo, du vice-roi et du duc de Raguse, la garde et les cuirassiers formaient la seconde ligne et les réserves. Une profonde obscurité, un violent orage et une pluie qui tombait par torrents rendaient cette nuit aussi affreuse qu'elle était propice à l'armée française et qu'elle devait lui être glorieuse.

Le 5, aux premiers rayons du soleil, tout le monde reconnut quel avait été le projet de l'Empereur, qui se trouvait alors avec son arinée en bataille sur l'extrémité de la gauche de l'ennemi, ayant tourné ses camps retranchés, ayant rendu tous ses ouvrages inutiles, et obligeant ainsi les Autrichiens à sortir de leurs positions et à venir lui livrer bataille dans le terrain qui lui convenait. Ce grand problème était résolu, et sans passer le Danube ailleurs, sans recevoir aucune protection des ouvrages qu'on avait construits on forçait l'ennemi à se battre à trois quarts de lieue de ses redoutes. On présagea dès lors les plus grands et les plus heureux résultats.

A huit heures du matin les batteries qui tiraient sur Enzersdorf avaient produit un tel effet que l'ennemi s'était borné à laisser occuper cette ville par quatre bataillons. Le duc de Rivoli fit marcher contre elle son premier aide de camp SainteCroix, qui n'éprouva pas une grande résistance, s'en empara et fit prisonnier tout ce qui s'y trouvait.

Le comte Oudinot cerna le château de Sachsengand, que l'ennemi avait fortifié, fit capituler les neuf cents hommes qui le défendaient, et prit douze pièces de canon.

L'Empereur fit alors déployer toute l'armée dans l'immense plaine d'Enzersdorf.

BATAILLE D'ENZERSDORF.

Cependant l'ennemi, confondu dans ses projets, revint peu à peu de sa surprise et tenta de ressaisir quelques avantages sur ce nouveau champ de bataille. A cet effet, il détacha plusieurs colonnes d'infanterie, un bon nombre de pièces d'artillerie et sa cavalerie tant de ligne que légère, pour essayer de déborder la droite de l'armée française. En conséquence il vint occuper le village de Rutzendorf. L'Empereur ordonna au général Oudinot de faire enlever ce village, à la droite duquel il fit passer le duc d'Auerstaedt, pour se diriger sur le quartier général du prince Charles, en marchant toujours de la droite à la gauche.

Depuis midi jusqu'à neuf heures du soir, on manœuvra dans cette immense plaine; on occupa tous les villages, et à mesure qu'on arrivait à la hauteur des camps retranchés de l'ennemi ils tombaient d'eux-mêmes et comme par enchantement. Le duc de Rivoli les faisait occuper sans résistance. C'est ainsi que nous nous sommes emparés des ouvrages d'Esling et de Gross-Aspern, et que le travail de quarante jours n'a été d'aucune utilité à l'ennemi. Il fit quelque résistance au village de Raschdorf, que le prince de Ponte-Corvo fit attaquer et enlever par les Saxons. L'ennemi fut partout mené battant et écrasé par la supériorité de notre feu. Cet immense champ de bataille resta couvert de ses débris.

BATAILLE DE WAGRAM.

Vivement effrayé des progrès de l'armée française et des grands résultats qu'elle obtenait presque sans effort, l'ennemi fit marcher presque toutes ses troupes, et à six heures du soir il occupa la position suivante : sa droite, de Stadelau à Gerardorf; son centre, de Gerardorf à Wagram, et sa gauche, de Wagram à Neusiedel. L'armée française avait sa gauche à Gross-Aspern, son centre à Raschdorf et sa droite à Gluzendorf. Dans cette position, la journée paraissait presque finie, et il fallait s'attendre à avoir le lendemain une grande bataille; mais on l'évitait et on coupait la position de l'ennemi en l'empêchant de concevoir aucun système si dans la nuit on s'emparait du village de Wagram. Alors sa ligne, déjà immense, prise à la hâte et par les chances du combat, laissait errer les différents corps de l'armée sans ordre, sans direction, et on en aurait eu bon marché sans engagement sérieux. L'attaque de Wagram eut lieu, nos troupes emportèrent ce village; mais une colonne de Saxons et une colonne de Français se prirent dans l'obscurité pour des troupes ennemies, et cette opération fut manquée.

On se prépara alors à la bataille de Wagram. Il paraît que les dispositions du général français et du général autrichien furent inverses. L'Empereur passa toute la nuit à rassembler ses forces sur son centre, où il était de sa personne à une portée de canon de Wagram. A cet effet, le duc de Rivoli se porta sur la gauche d'Aderklau en laissant sur Aspern une seule division qui eut ordre de se replier en cas d'événement sur l'île de Lobau. Le duc d'Auerstaedt recevait l'ordre de dépasser le village de Grosshoffen pour s'approcher du centre. Le général autrichien, au contraire, affaiblissait son centre pour garnir et augmenter ses extrémités, auxquelles il donnait une nouvelle étendue.

Le 6, à la pointe du jour, le prince de Ponte-Corvo occupa la gauche, ayant en seconde ligne le duc de Rivoli. Le vice-roi le liait au centre, où le corps du comte Oudinot, celui du duc de Raguse, ceux de la garde impériale et les divisions de cuirassiers formaient sept ou huit lignes.

Le duc d'Auerstaedt marcha de la droite pour arriver au

centre. L'ennemi, au contraire, mettait le corps de Bellegarde en marche sur Stadelau. Les corps de Kollowrath, de Lichtenstein et de Hiller liaient cette droite à la position de Wagram, où était le prince de Hohenzollern, et à l'extrémité de la gauche à Neusiedel, où débouchait le corps de Rosemberg pour déborder également le duc d'Auerstaedt. Le corps de Rosemberg et celui du duc d'Auerstaedt, faisant un mouvement inverse, se rencontrèrent aux premiers rayons du soleil, et donnèrent le signal de la bataille. L'Empereur se porta aussitôt sur ce point, fit renforcer le duc d'Auerstaedt par la division de cuirassiers du duc de Padoue, et fit prendre le corps de Rosemberg en flanc par une batterie de douze pièces de la division du général comte de Nansouty. En moins de trois quarts d'heure le beau corps du duc d'Auerstaedt eut fait raison du corps de Rosemberg, le culbuta et le rejeta au delà de Neusiedel après lui avoir fait beaucoup de mal.

Pendant ce temps la canonnade s'engageait sur toute la ligne et la disposition de l'ennemi se développait de moment en moment. Toute sa gauche se garnissait d'artillerie. On eût dit que le général autrichien ne se battait pas pour la victoire, mais qu'il n'avait en vue que le moyen d'en profiter. Cette disposition de l'ennemi paraissait si insensée que l'on craignait quelque piége et que l'Empereur différa quelque temps avant d'ordonner les faciles dispositions qu'il avait à faire pour annuler celles de l'ennemi et les lui rendre funestes. Il ordonna au duc de Rivoli de faire une attaque sur un village qu'occupait l'ennemi et qui pressait un peu l'extrémité du centre de l'armée. Il ordonna au duc d'Auerstaedt de tourner la position de Neusiedel et de pousser de là sur Wagram au moment où déboucherait le duc de Rivoli.

Sur ces entrefaites, on vint prévenir que l'ennemi attaquait avec fureur le village qu'avait enlevé le duc de Rivoli; que notre gauche était débordée de trois mille toises; qu'une vive canonnade se faisait déjà entendre à Gross-Aspern et que l'intervalle de Gross-Asperu à Wagram paraissait couvert d'une immense ligne d'artillerie. Il n'y eut plus à douter; l'ennemi commettait une énorme faute; il ne s'agissait que d'en profiter. L'Empe

reur ordonna sur-le-champ au général Macdonald de disposer les divisions Broussier et Lamarque en colonnes d'attaque; il les fit soutenir par la division du général Nansouty, par la garde à cheval et par une batterie de soixante pièces de la garde et de quarante pièces de différents corps. Le général comte de Lauriston, à la tête de cette batterie de cent pièces d'artillerie, marcha au trot à l'ennemi, s'avança sans tirer jusqu'à demi-portée de canon, et là commença un feu prodigieux qui éteignit celui de l'ennemi et porta la mort dans ses rangs. Le général Macdonald marcha alors au pas de charge; le général de division Reille, avec la brigade de fusiliers et de tiralleurs de la garde, soutenait le général Macdonald. La garde avait fait un changement de front pour rendre cette attaque infaillible. Dans un clin d'œil le centre de l'ennemi perdit une lieue de terrain; sa droite, épouvantée, sentit le danger de la position où elle s'était placée, et rétrograda en grande hâte. Le duc de Rivoli l'attaqua alors en tête. Pendant que la déroute du centre portait la consternation et forçait les mouvements de la droite de l'ennemi, sa gauche était attaquée et débordée par le duc d'Auerstaedt, qui avait enlevé Neusiedel et qui, étant monté sur le plateau, marchait sur Wagram. La division Broussier et la division Gudin se sont couvertes de gloire.

Il n'était alors que dix heures du matin, et les hommes les moins clairvoyants voyaient que la journée était décidée et que la victoire était à nous.

A midi, le comte Oudinot marcha sur Wagram pour aider à l'attaque du duc d'Auerstaedt. Il y réussit et enleva cette importante position. Dès dix heures l'ennemi ne se battait plus que pour sa retraite; dès midi elle était prononcée et se faisait en désordre, et beaucoup avant la nuit l'ennemi était hors de vue. Notre gauche était placée à Jetessée et Ébersdorf, notre centre sur Obersdorf, et la cavalerie de notre droite avait des postes jusqu'à Shoukirchen.

Le 7, à la pointe du jour, l'armée était en mouvement et marchait sur Kornenbourg et Wolkersdorf, et avait des postes sur Nicolsbourg. L'ennemi, coupé de la Hongrie et de la Moravie, se trouvait acculé du côté de la Bohême.

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