Page images
PDF
EPUB

contre un allié. La réception des vaisseaux anglais dans les ports russes et les dispositions de l'ukase de 1810 avaient fait connaître que les traités n'existaient plus; la protestation montra que non-seulement les liens qui avaient uni les deux puissances étaient rompus, mais que la Russie jetait publiquement le gant à la France pour une difficulté qui lui était étrangère et qui ne pouvait se résoudre que par le moyen que Sa Majesté avait offert On ne se dissimula point que le refus de cette offre décelai le projet déjà formé d'une rupture. La Russie s'y préparait en effet. Au moment de dicter les conditions de la paix à la Turquie, elle avait rappelé tout à coup cinq divisions de l'armée de Moldavie; et dès le mois de février 1811 on apprit à Paris que l'armée du duché de Varsovie avait été obligée de repasser la Vistule pour se mettre à portée d'être secourue par la confédération, tant les armées russes sur la frontière étaient déjà nombreuses et menaçantes.

Lorsque la Russie s'était déterminée à des mesures contraires aux intérêts de la guerre active qu'elle avait à soutenir, lorsqu'elle avait donné à ses armements un développement onéreux à ses finances et sans objet dans la situation où se trouvaient toutes les puissances du continent, toutes les troupes françaises étaient en deçà du Rhin, à l'exception d'un corps de quarante mille hommes rassemblés à Hambourg pour la défense des côtes de la mer du Nord et pour le maintien de la tranquillité dans les pays nouvellement réunis; les places réservées en Prusse n'étaient occupées que par les troupes alliées; il n'était resté à Dantzick qu'une garnison de quarante mille hommes, et les troupes du duché de Varsovie étaient sur le pied de paix; une partie même était en Espagne.

Les préparatifs de la Russie se trouvaient donc sans objet, à moins qu'elle n'eût l'espérance d'en imposer à la France par un grand appareil de forces et de la porter à mettre fin aux discussions de l'Oldenbourg en sacrifiant l'existence du duché de Varsovie; peut-être aussi, ne pouvant se dissimuler qu'elle avait violé le traité de Tilsitt, la Russie n'avait-elle recours à la force que pour chercher à justifier des violations qui ne pouvaient pas l'être.

Cependant Sa Majesté resta impassible. Elle persista dans le désir d'un arrangement; elle pensait qu'il était toujours temps d'en venir aux armes ; elle demanda que des pouvoirs fussent envoyés au prince Kurakin et qu'une négociation fût ouverte sur des différends qui pouvaient se terminer facilement et qui n'étaient assurément pas de nature à exiger l'effusion du sang. Ils se réduisaient aux quatre points suivants :

1° L'existence du duché de Varsovie, qui avait été une condition de la paix de Tilsitt et qui dès la fin de 1809 donna lieu à la Russie de manifester des défiances auxquelles Sa Majesté répondit par une condescendance portée aussi loin que l'amitié la plus exigeante pouvait le désirer et que l'honneur pouvait le permettre.

2o La réunion du duché d'Oldenbourg, que la guerre contre l'Angleterre avait nécessitée et qui était dans l'esprit de Tilsitt.

3o La législation sur le commerce des marchandises anglaises et les bâtiments dénationalisés, qui devait être réglée par l'esprit et les termes du traité de Tilsitt.

4o Enfin les dispositions de l'ukase de décembre 1810, qui, en détruisant toutes les relations commerciales de la France avec la Russie et en ouvrant les ports aux pavillons simulés chargés de propriétés anglaises, étaient contraires à la lettre du traité de Tilsitt.

Tels devaient être les objets de la négociation.

Quant à ce qui regardait le duché de Varsovie, Sa Majesté s'empressait d'adopter une convention par laquelle elle s'engageait à ne favoriser aucune entreprise qui tendrait directement ou indirectement au rétablissement de la Pologne.

Quant à l'Oldenbourg, elle acceptait l'intervention de la Russie, qui cependant n'avait aucun droit de s'immiscer dans ce qui concernait un prince de la confédération du Rhin, et elle consentait à donner à ce prince une indemnité.

Quant au commerce des manufactures anglaises et aux bâtiments dénationalisés, Sa Majesté demandait à s'entendre pour concilier les besoins de la Russie avec les principes du système continental et l'esprit du traité de Tilsitt.

Enfin, quant à l'ukas, Sa Majesté consentait à conclure un traité de commerce qui, en assurant les relations commerciales de la France, garanties par le traité de Tilsitt, ménagerait tous les intérêts de la Russie.

L'Empereur se flattait que des dispositions dictées par un esprit de conciliation aussi manifeste amèneraient enfin un arrangement. Mais il fut impossible d'obtenir de la Russie qu'elle donnât des pouvoirs pour ouvrir une négociation. Elle répondit constamment aux nouvelles ouvertures qui lui étaient faites par de nouveaux armements, et l'on fut forcé de comprendre enfin qu'elle refusait de s'expliquer parce qu'elle n'avait à proposer que des choses qu'elle n'osait point énoncer et qui ne pouvaient pas être accordées; que ce n'était pas des stipulations qui, en identifiant davantage le duché de Varsovie à la Saxe, en le mettant à l'abri des mouvements qui pouvaient inquiéter la Russie sur la tranquillité de ses provinces, qu'elle désirait d'obtenir, mais le duché même qu'elle voulait réunir; que ce n'était pas son commerce, mais celui des Anglais qu'elle voulait favoriser pour soustraire l'Angleterre à la catastrophe qui la menaçait; que ce n'était pas pour les intérêts du duc d'Oldenbourg que la Russie voulait intervenir dans l'affaire de la réunion, mais que c'était une querelle ouverte contre la France qu'elle voulait tenir en réserve pour le moment de la rupture qu'elle préparait.

L'Empereur reconnut alors qu'il n'y avait pas un moment à perdre. Il eut aussi recours aux armes; il se mit en mesure d'opposer des armées à des armées pour garantir un État du second ordre si souvent menacé et qui faisait reporter toute sa confiance sur sa protection et sur sa foi,

Cependant, monsieur le comte, Sa Majesté saisit encore toutes les occasions pour manifester ses sentiments. Elle déclara publiquement, le 15 août dernier, la nécessité d'arrêter la marche si dangereuse que prenaient les affaires et le vœu d'y parvenir par des arrangements pour lesquels elle ne cessait point de demander à entrer en négociation.

A la fin du mois de novembre suivant, Sa Majesté crut pouvoir espérer que ce vœu allait être enfin partagé par votre cabinet,

T. 11,

43

1

Vous annonçâtes, monsieur le comte, à l'ambassadeur de Sa Majesté que M. de Nesselrode était désigné pour se rendre à Paris avec des instructions. Quatre mois s'étaient écoulés lorsque Sa Majesté apprit que cette mission n'aurait pas lieu. Elle fit aussitôt appeler M. le colonel Czernichew, et lui donna pour l'empereur Alexandre une lettre qui tendait de nouveau à ouvrir des négociations. M. de Czernichew est arrivé le 10 mars à SaintPétersbourg, et cette lettre est encore sans réponse.

Comment se dissimuler plus longtemps que la Russie élude tout rapprochement? Depuis dix-huit mois elle a eu pour règle constante de porter la main sur son glaive toutes fois que des propositions d'arrangement lui ont été faites.

Se voyant ainsi forcée de renoncer à toute espérance du côté de la Russie, Sa Majesté, avant de commencer cette lutte qui fera couler tant de sang, a pensé qu'il était de son devoir de s'adresser au gouvernement anglais. La gêne qu'éprouve l'Angleterre, les agitations auxquelles elle est en proie et les changements qui ont eu lieu dans son gouvernement ont décidé Sa Majesté. Un sincère désir de la paix a dicté la démarche dont j'ai reçu l'ordre de vous donner connaissance. Aucun agent n'a été envoyé à Londres, et il n'y a eu aucune autre communication entre les deux gouvernements. La lettre dont Votre Excellence trouvera la copie ci-jointe, et que j'ai adressée au secrétaire d'État pour les affaires étrangères de S. M. Britannique, a été remise en mer au commandant de la station de Douvres.

La démarche que je fais auprès de vous, monsieur le comte, est une conséquence des dispositions du traité de Tilsitt, auquel Sa Majesté a la volonté de se conformer jusqu'au dernier moment. Si les ouvertures faites à l'Angleterre ont quelque résultat je m'empresserai de vous en prévenir. S. M. l'empereur Alexandre y prendra part ou en eonséquence du traité de Tilsitt ou comme allié de l'Angleterre, si déjà ses relations avec l'Angleterre sont formées.

Il m'est formellement prescrit, monsieur le comte, d'exprimer, en terminant cette dépêche, le vœu déjà manifesté par Sa Majesté à M. le colonel Czernichew, de voir des négociations qu'elle n'a cessé de provoquer depuis dix-huit mois prévenir enfin des événements dont l'humanité aurait tant à gémir.

Quelle que soit la situation des choses, lorsque cette lettre parviendra à Votre Excellence, la paix dépendra encore des résolutions de votre cabinet.

J'ai l'honneur, etc.

Signé le duc de BASSANO.

Wilkowiski, le 22 juin 1812.

Deuxième bulletin de la grande armée.

Tout moyen de s'entendre, entre les deux empires, devenait impossible. L'esprit qui domine le cabinet russe le précipite à la guerre. Le général Narbonne, aide de camp de l'Empereur, fut envoyé à Vilna et ne put y séjourner que peu de jours. On acquérait la preuve que la sommation arrogante et tout à fait extraordinaire qu'avait présentée le prince Kurakin, où il déclare ne vouloir entrer dans aucune explication que la France n'ait évacué le territoire de ses propres alliés pour le livrer à la discrétion de la Russie, était le sine qua non de ce cabinet, et il s'en vantait auprès des puissances étrangères.

Le premier corps se porta sur la Pregel. Le prince d'Eckmülh eut son quartier général le 11 juin à Koenigsberg.

Le maréchal duc de Reggio, commandant le deuxième corps, eut son quartier général à Vehlan; le maréchal duc d'Elchingen, commandant le troisième corps, à Soldapp; le prince vice-roi, à Rastembourg; le roi de Westphalie, à Varsovie; le prince Poniatowski, à Pullusk; l'Empereur porta son quartier général le 12 sur la Pregel à Koenigsberg, le 17 à Justarburg, le 19 à Gumbinnen.

Un léger espoir de s'entendre existait encore. L'Empereur avait donné au comte de Lauriston l'instruction de se rendre auprès de l'empereur Alexandre ou de son ministre des affaires étrangères, et de voir s'il n'y aurait pas moyen de revenir sur la sommation du prince Kurakin et de concilier l'honneur de la France et l'intérêt de ses alliés avec l'ouverture des négociations.

« PreviousContinue »