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a trouvé dans la maison de ce misérable Rostopchin des papiers et une lettre à demi écrite ; il s'est sauvé sans l'achever.

Moscou, une des plus belles et des plus riches villes du monde, n'existe plus. Dans la journée du 14 le feu a été mis par les Russes à la Bourse, au Bazar et à l'Hôpital. Le 16 un vent violent s'est élevé; trois à quatre cents brigands ont mis le feu dans la ville en cinq cents endroits à la fois par l'ordre du gouverneur Rostopchin. Les cinq sixièmes des maisons sont en bois le feu a pris avec une prodigieuse rapidité; c'était un océan de flammes. Des églises, il y en avait mille six cents; des palais, plus de mille; d'immenses magasins: presque tout a été consumé. On a préservé le Kremlin.

Cette perte est incalculable pour la Russie, pour son commerce, pour sa noblesse, qui y avait tout laissé. Ce n'est pas l'évaluer trop haut que de la porter à plusieurs milliards.

On a arrêté et fusillé une centaine de ces chauffeurs. Tous ont déclaré qu'ils avaient agi par les ordres du gouverneur Rostopchin et du directeur de la police.

Trente mille blessés et malades russes ont été brûlés. Les plus riches maisons de commerce de la Russie se trouvent ruinées : la secousse doit être considérable. Les effets d'habillement, magasins et fournitures de l'armée russe ont été brûlés; elle y a tout perdu. On n'avait rien voulu évacuer, parce qu'on a toujours voulu penser qu'il était impossible d'arriver à Moscou, et qu'on a voulu tromper le peuple. Lorsqu'on a tout vu dans la main des Français, on a conçu l'horrible projet de brûler cette première capitale, cette ville sainte, centre de l'empire; et l'on a réduit deux cent mille bons habitants à la mendicité. C'est le crime de Rostopchin, exécuté par des scélérats délivrés des prisons.

Les ressources que l'armée trouvait sont par là fort diminuées; cependant l'on a ramassé et l'on ramasse beaucoup de choses. Toutes les caves sont à l'abri du feu, et les habitants, dans les vingt-quatre dernières heures, avaient enfoui beaucoup d'objets. On a lutté contre le feu; mais le gouverneur avait eu l'affreuse précaution d'emmener ou de faire briser toutes les pompes.

L'armée se remet de ses fatigues; elle a en abondance du pain, des pommes de terre, des choux, des légumes, des viandes, des salaisons, du vin, de l'eau-de-vie, du sucre, du café, enfin des provisions de toute espèce.

L'avant-garde est à vingt werstes sur la route de Kasan, par laquelle se retire l'ennemi; une autre avant-garde française est sur la route de Saint-Pétersbourg, où l'ennemi n'a per

sonne.

La température est encore celle de l'automne. Le soldat a trouvé et trouve beaucoup de pelisses et de fourrures pour l'hiver; Moscou en est le magasin.

Moscou, le 20 septembre 1812.

Vingt-unième bulletin de la grande armée.

Trois cents chauffeurs ont été arrêtés et fusillés : ils étaient armés d'une fusée de six pouces, contenue entre deux morceaux de bois; ils avaient aussi des artifices qu'ils jetaient sur les toits. Ce misérable Rostopchin avait fait confectionner ces artifices, en faisant croire aux habitants qu'il voulait faire un ballon qu'il lancerait plein de matières incendiaires sur l'armée française, et il réunissait sous ce prétexte les artifices et autres objets nécessaires à l'exécution de son projet.

Dans la journée du 19 et dans celle du 20 les incendies ont cessé; les trois quarts de la ville sont brûlés, entre autres le beau palais de Catherine, meublé à neuf. Il reste au plus le quart des maisons.

Pendant que Rostopchin enlevait les pompes de la ville, il laissait soixante mille fusils, cent cinquante pièces de canon, plus de cent mille boulets et bombes, un million cinq cent mille cartouches, quatre cents milliers de poudre, quatre cents milliers de salpêtre et de soufre. Ce n'est que le.19 qu'on a découvert les quatre cents milliers de poudre et les quatre cents milliers de salpêtre et de soufre dans un bel établissement situé à une demi-lieue de la ville; cela est important nous voilà approvisionnés pour deux campagnes.

On trouve tous les jours des caves pleines de vin et d'eau-de-vie. Les manufactures commençaient à fleurir à Moscou; elles sont détruites. L'incendie de cette capitale retarde la Russie de

cent ans.

Le temps paraît tourner à la pluie. La plus grande partie de l'armée est casernée dans Moscou..

Moscou, le 27 septembre 1812.

Vingt-deuxième bulletin de la grande armée.

Le consul général Lesseps a été nommé intendant de la province de Moscou; il a organisé une municipalité et plusieurs commissions, toutes composées de gens du pays.

Les incendies ont entièrement cessé. On découvre tous les jours des magasins de sucre, de pelleteries, de draps, etc.

L'armée ennemie paraît se retirer sur Kalouga et Toula. Toula renferme la plus grande fabrique d'armes qu'ait la Russie. Notre avant-garde est sur la Pakra.

L'Empereur est logé au palais impérial du Kremlin. On a trouvé au Kremlin plusieurs ornements servant au sacre des empereurs et tous les drapeaux pris aux Turcs depuis

cent ans.

Le temps est à peu près comme à la fin d'octobre à Paris ; il pleut un peu, et l'on a vu quelques gelées blanches. On assure que la Moskwa et les rivières du pays ne gèlent point avant la minovembre.

La plus grande partie de l'armée est cantonnée à Moscou, où elle se remet de ses fatigues.

Moscou, le 9 octobre 1812.

Vingt-troisième bulletin de la grande armée.

L'avant-garde, commandée par le roi de Naples, est sur la Nara, à vingt lieues de Moscou. L'armée ennemie est sur Kalouga. Des escarmouches ont lieu tous les jours; le roi de Naples

a eu dans toutes l'avantage et a toujours chassé l'ennemi de ses positions.

Les Cosaques rôdent. sur nos flancs. Une patrouille de cent cinquante dragons de la garde, commandée par le major Marthod, est tombée dans une embuscade de Cosaques, entre le chemin de Moscou et de Kalouga; les dragons en ont sabré trois cents, se sont fait jour; mais ils ont eu vingt hommes restés sur le champ de bataille, qui ont été pris, parmi lesquels le major, blessé grièvement.

Le duc d'Elchingen est à Bogorodock; l'avant-garde du viceroi est à Troïtsa, sur la route de Dmitrow.

Les drapeaux pris par les Russes sur les Turcs dans différentes guerres et plusieurs choses curieuses trouvées dans le Kremlin sont partis pour Paris. On a trouvé une madone enrichie de diamants; on l'a aussi envoyée à Paris. (On joint ici la statistique de Moscou, que l'on a trouvée dans les papiers de la police.)

Il paraît que Rostopchin est aliéné; à Voronovo, il a mis le feu à son château et y a laissé l'écrit suivant, attaché à un poteau.

« J'ai embelli pendant huit ans cette campagne, et j'y ai vécu << heureux au sein de ma famille. Les habitants de cette terre, au << nombre de dix-sept cent vingt, la quittent à votre approche, « et moi je mets le feu à ma maison pour qu'elle ne soit pas « souillée par votre présence. Français, je vous ai abandonné << mes deux maisons de Moscou avec un mobilier d'un demi-mil<< lion de roubles; ici vous ne trouverez que des cendres.

Ce 29 septembre 1812, à Voronovo. »

Signé Foedor Rostopchin.

Le palais du prince Kurakin est un de ceux qu'on est parvenu à sauver de l'incendie. Le général comte Nansouty y est logé. On est parvenu avec beaucoup de peine à tirer des hôpitaux et des maisons incendiées une partie des malades russes. Il reste encore environ quatre mille de ces malheureux. Le nombre de ceux qui ont péri dans l'incendie est extrêmement considérable.

Il fait depuis huit jours du soleil, et plus chaud qu'à Paris dans cette saison; on ne s'aperçoit pas qu'on soit dans le Nord.

Le duc de Reggio, qui est à Wilna, est entièrement rétabli. Le général en chef ennemi Bagration est mort des blessures qu'il a reçues à la bataille de Moskwa.

L'armée russe désavoue l'incendie de Moscou; les auteurs de cet attentat sont en horreur aux Russes. Ils regardent Rostopchin comme une espèce de Marat. Il a pu se consoler dans la société du commissaire anglais Vilson.

L'état-major fait imprimer les détails du combat de Smolensk et de la bataille de la Moskwa, et fera connaître ceux qui se sont distingués.

On vient d'armer le Kremlin de trente pièces de canon, et l'on a construit des flèches à tous les rentrants; il forme une forteresse. Les fours et des magasins y sont établis.

Moscou, le 14 octobre 1812.

Vingt-quatrième bulletin de la grande armée.

Le général baron Delzons s'est porté sur Dmitrow. Le roi de Naples est à l'avant-garde sur la Nara, en présence de l'ennemi, qui est occupé à refaire son armée en la complétant par des milices.

Le temps est encore beau. La première neige est tombée hier. Dans vingt jours il faudra être en quartiers d'hiver.

Les forces que la Russie avait en Moldavie ont rejoint le général Tormazow; celles de Finlande ont débarqué à Riga; elles sont sorties et ont attaqué le 10° corps; elles ont été battues; trois mille hommes ont été faits prisonniers. On n'a pas encore la relation officielle de ce brillant combat, qui fait tant d'honneur au général d'Yorck.

Tous nos blessés sont évacués sur Smolensk, Minsk et Mohilow; un grand nombre sont rétablis et ont rejoint leurs corps. Beaucoup de correspondances particulières entre Saint-Pétersbourg et Moscou font bien connaître la situation de cet empire.

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