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L'Empereur s'est refusé à ces mesures, qui auraient tant aggravé les malheurs de cette population. Sur neuf mille propriétaires dont on aurait brûlé les châteaux, cent peut-être sont des sectateurs du Marat de la Russie; mais huit mille neuf cents sont de braves gens déjà trop victimes de l'intrigue de quelques misérables : : pour punir cent coupables on en aurait ruiné huit mille neuf cents. Il faut ajouter que l'on aurait mis absolument sans ressources deux cent mille pauvres serfs innocents de tout cela. L'Empereur s'est donc contenté d'ordonner la destruction des citadelle et établissements militaires, selon les usages de la guerre, sans rien faire perdre aux particuliers, déjà trop malheureux par les suites de cette guerre.

Les habitants de la Russie ne reviennent pas du temps qu'il fait depuis vingt jours. C'est le soleil et les belles journées du voyage de Fontainebleau. L'armée est dans un pays extrêmement riche et qui peut se comparer aux meilleurs de la France et d'Allemagne.

Vereia, le 27 octobre 1812.

Vingt-septième bulletin de la grande armée.

Le 22 le prince Poniatowski se porta sur Vereia. Le 23 l'armée allait suivre ce mouvement lorsque, dans l'après-midi, on apprit que l'ennemi avait quitté son camp retranché et se portait sur la petite ville de Maloiaroslavetz; on jugea nécessaire de marcher à lui pour l'en chasser.

Le vice-roi reçut l'ordre de s'y porter. La division Delzons arriva le 23, à six heures du soir, sur la rive gauche, s'empara du pont et le fit rétablir.

Dans la nuit du 23 au 24 deux divisions russes arrivèrent dans la ville et s'emparèrent des hauteurs sur la droite, qui sont extrêmement favorables.

Le 24, à la pointe du jour, le combat s'engagea. Pendant ce temps l'armée ennemie parut tout entière, et vint prendre position derrière la ville. Les divisions Delzons, Broussier et Pino et la garde italienne furent successivement engagées. Ce combat

fait le plus grand honneur au vice-roi et au quatrième corps d'armée. L'ennemi engagea les deux tiers de son armée pour soutenir la position: ce fut en vain; la ville fut enlevée ainsi que les hauteurs. La retraite de l'ennemi fut si précipitée qu'il fut obligé de jeter vingt pièces de canon dans la rivière.

Vers le soir le maréchal prince d'Eckmülh déboucha avec son corps; et toute l'armée se trouva en bataille avec son artillerie, le 25, sur la position que l'ennemi occupait la veille.

L'Empereur porta son quartier général le 24 au village de Chorodnia. A sept heures du matin six mille Cosaques qui s'étaient glissés dans les bois firent un hourra général sur les derrières de la position et enlevèrent six pièces de canon qui étaient parquées. Le duc d'Istrie se porta au galop avec toute la garde à cheval. Cette horde fut sabrée, ramenée et jetée dans la rivière; on lui reprit l'artillerie qu'elle avait prise et plusieurs voitures qui lui appartenaient six cents de ces Cosaques ont été tués, blessés ou pris; trente hommes de la garde ont été blessés et trois tués. Le général de division comte Rapp a eu un cheval tué sous lui : l'intrépidité dont ce général a donné tant de preuves se montre dans toutes les occasions. Au commencement de la charge les officiers de Cosaques appelaient la garde, qu'ils reconnaissaient, muscadins de Paris. Le major des dragons Letort s'est fait remarquer. A huit heures l'ordre était rétabli.

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L'Empereur se porta à Maloiaroslavetz, reconnut la position de l'ennemi et ordonna l'attaque pour le lendemain; mais dans la nuit l'ennemi a battu en retraite. Le prince d'Eckmülh l'a poursuivi pendant six lieues; l'Empereur alors l'a laissé aller et a ordonné le mouvement sur Vereja.

Le 26 le quartier général était à Borowsk, et le 27 à Vereia. Le prince d'Eckmülh est ce soir à Borowsk; le maréchal duc d'Elchingen à Mojaisk.

Le temps est superbe; les chemins sont beaux ; c'est le reste de l'automne ce temps durera encore huit jours; et à cette époque nous serons rendus dans nos nouvelles positions.

Dans le combat de Maloiaroslavetz la garde italienne s'est distinguée : elle a pris la position, et s'y est maintenue Le général baron Delzons, officier distingué, a été tué de trois balles. Notre

perte est de quinze cents hommes tués ou blessés ; celle des ennemis est de six à sept mille. On a trouvé sur le champ de bataille dix-sept cents Russes, parmi lesquels onze mille recrues habillées de vestes grises, ayant à peine deux mois de service. L'ancienne infanterie russe est détruite; l'armée russe n'a quelque consistance que par les nombreux renforts de Cosaques récemment arrivés du Don. Des gens instruits assurent qu'il n'y a dans l'infanterie russe que le premier rang composé de soldats, ot que les deuxième et troisième rangs sont remplis par des recrues et des milices que, malgré la parole qu'on leur avait donnée, on y a incorporées. Les Russes ont eu trois généraux tués; le général comte Pino a été légèrement blessé.

Smolensk, le 11 novembre 1812.

Vingt-huitième bulletin de la grande armée.

Le quartier général impérial était le 1er novembre à Viasma, et le 9 à Smolensk. Le temps a été très-beau jusqu'au 6; mais le 7 l'hiver a commencé : la terre s'est couverte de neige. Les chemins sont devenus très-glissants et très-difficiles pour les chevaux de trait; nous en avons beaucoup perdu par le froid et les fatigues; les bivouacs de la nuit leur nuisent beaucoup.

Depuis le combat de Maloiaroslavetz l'avant-garde n'avait pas vu l'ennemi, si ce n'est les Cosaques qui, comme les Arabes, rôdent sur les flancs et voltigent pour inquiéter.

Le 2, à deux heures après midi, douze mille hommes d'infanterie russe, couverts par une nuée de Cosaques, coupèrent la route à une lieue de Viasma, entre le prince d'Eckmülh et le vice-roi. Le prince d'Eckmülh et le vice-roi firent marcher sur cette colonne, la chassèrent du chemin, la culbutèrent dans les bois, lui prirent un général major, avec bon nombre de prisonniers, et lui enlevèrent six pièces de canon: depuis on n'a plus vu l'infanterie russe, mais seulement des Cosaques.

Depuis le mauvais temps du 6 nous avons perdu plus de trois mille chevaux de trait, et plus de cent de nos caissons ont été détruits.

Le général Wittgenstein, ayant été renforcé par les divisions russes de Finlande et par un grand nombre de troupes de milice, a attaqué, le 18 octobre, le maréchal Gouvion Saint-Cyr; il a été repoussé par ce maréchal et par le général de Wrède, qui lui ont fait trois mille prisonniers et ont couvert le champ de bataille de ses morts.

Le 20 le maréchal Gouvion Saint-Cyr, ayant appris que le maréchal duc de Bellune, avec le neuvième corps, marchait pour le renforcer, repassa la Dwina, et se porta à sa rencontre pour, sa jonction opérée avec lui, battre Wittgenstein et lui faire repasser la Dwina: le maréchal Gouvion Saint-Cyr fait le plus grand éloge de ses troupes. La division suisse s'est fait remarquer par son sang-froid et sa bravoure. Le colonel Gucheneue, du seizième régiment d'infanterie légère, a été blessé. Le maréchal Saint-Cyr a eu une balle au pied. Le maréchal duc de Reggio est venu le remplacer, et a repris le commandement du deuxième corps. La santé de l'Empereur n'a jamais été meilleure.

Molodetschno, le 3 décembre 1812.

Vingt-neuvième bulletin de la grande armée.

Jusqu'au 6 novembre le temps a été parfait, et le mouvement de l'armée s'est exécuté avec le plus grand succès. Le froid a commencé le 7; dès ce moment chaque nuit nous avons perdu plusieurs centaines de chevaux, qui mouraient au bivouac. Arrivés à Smolensk, nous avions déjà perdu bien des chevaux de cavalerie et d'artillerie.

L'armée russe de Wolhynie était opposée à notre droite. Notre droite quitta la ligne d'opération de Minsk, et prit pour pivot de ses opérations la ligne de Varsovie. L'Empereur apprit à Smolensk, le 9, ce changement de ligne d'opérations et présuma ce que ferait l'ennemi: quelque dur qu'il lui parût de se mettre en mouvement dans une si cruelle saison, le nouvel état des choses le nécessitait. Il espérait arriver à Minsk, ou du moins sur la Bérésina, avant l'ennemi; il partit le 13 de Smolensk; le 16 il coucha à Krasnoi. Le froid, qui avait commencé le 7, s'ac

crut subitement, et du 14 au 15 et au 16 le thermomètre marqua 16 et 18 degrés au-dessous de glace. Les chemins furent couverts de verglas. Les chevaux de cavalerie, d'artillerie, du train périssaient toutes les nuits non par centaines, mais par milliers, surtout les chevaux de France et d'Allemagne : plus de trente mille chevaux périrent en peu de jours; notre cavalerie se trouva donc à pied; notre artillerie et nos transports se trouvèrent sans attelage. Il fallut abandonner et détruire une bonne partie de nos pièces et de nos munitions de guerre et de bouche.

Cette armée, si belle le 6, était bien différente dès le 14; presque sans cavalerie, sans artillerie, sans transports. Sans cavalerie nous ne pouvions pas nous éclairer à un quart de lieue. Cependant sans artillerie nous ne pouvions pas risquer une bataille et attendre de pied ferme; il fallait marcher pour ne pas être contraints à une bataille que le défaut de munitions nous empêchait de désirer; il fallait occuper un certain espace pour ne pas être tournés, et cela sans cavalerie qui éclairât et liât les colonnes. Cette difficulté, jointe à un froid excessif subitement venu, rendit notre situation fåcheuse. Les hommes que la nature n'a pas trempés assez fortement pour être au-dessus de toutes les chances du sort et de la fortune parurent ébranlés, perdirent leur gaieté, leur bonne humeur et ne rêvèrent que malheurs et catastrophes; ceux qu'elle a créés supérieurs à tout conservèrent leur gaieté et leurs manières ordinaires et virent une nouvelle gloire dans des difficultés différentes à surmonter.

L'ennemi, qui voyait sur les chemins les traces de cette affreuse calamité qui frappait l'armée française, chercha à en profiter. Il enveloppait toutes les colonnes par ses Cosaques, qui enlevaient, comme les Arabes dans les déserts, les trains et les voitures qui s'écartaient. Cette méprisable cavalerie, qui ne fait que du bruit et n'est pas capable d'enfoncer une compagnie de voltigeurs, se rendit redoutable à la faveur des circonstances. Cependant l'ennemi eut à se répentir de toutes les tentatives sérieuses qu'il voulut entreprendre ; il fut culbuté par le vice-roi, au-devant duquel il s'était placé, et il y perdit beaucoup de monde,

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