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Je renonçai à Pétrarque comme j'avais renoncé à l'Ecole normale et je cherchai ailleurs. Cet échec me devait être des plus profitables, et à quarante ans de distance je bénis la mémoire de l'excellent M. Leclerc. Absorbé par mes recherches sur Pétrarque, je n'en serais peut-être plus sorti et je n'aurais pas songé à poursuivre d'autres sujets d'étude. D'échec en échec je devais arriver à découvrir ma vraie vocation et tomber << de chute en chute au trône académique ».

A ce moment se produisait dans l'Europe orientale une série d'événements politiques qui devaient exercer sur ma carrière une influence décisive. L'insurrection de la Pologne contre la Russie avait éclaté au mois de janvier 1863; elle avait rencontré de chaleureuses sympathies dans le monde officiel, dans la presse, dans la jeunesse des écoles. L'étudiant est volontiers du côté des opprimés et des révolutionnaires. Je m'associai à ce généreux mouvement, mais, plus curieux que beaucoup de mes compatriotes, je voulus savoir quel était l'objet de mon enthousiasme, connaître les causes de cette révolution qui faisait couler tant de sang sur les champs de bataille, tant de flots d'éloquence dans les chambres, tant de flots d'encre dans la presse, étudier les rapports historiques de la Pologne et de la Russie. Les articles des journaux et des revues, les brochures que chaque jour faisait éclore ne m'apprenaient pas grand'chose. Je sentais que tout cela manquait de base scientifique. Mais comment m'éclairer?

Au mois de mai 1863, un de mes camarades, il est aujourd'hui professeur de faculté (1), m'apprit que le 21 un service devait être célébré à Montmorency pour les àmes des Polonais morts dans l'exil, que le sermon serait prononcé par l'abbé Perreyve, professeur à la faculté de théologie, supprimée il y a quelques années, et l'un des meilleurs prédicateurs de l'époque. L'abbé Perreyve était une sorte de Lacordaire au petit pied ses sermons et ceux de l'abbé Gratry faisaient les délices de la jeunesse catholique libérale. Le 21 mai je me trouvais dans l'église de Montmorency en compagnie de deux camarades, que j'ai eu le bonheur de conserver jusqu'ici et qui tous deux ont fait depuis une belle carrière scientifique. M. Emile Thomas et M. Henri Gaidoz aujourd'hui professeur à l'Ecole des Hautes Etudes et à l'Ecole des Sciences politiques. Le sermon fut éloquent. L'orateur avait pris pour point de départ un mot biblique qui moins que jamais est aujourd'hui une réalité : Justitia et pax osculatæ sunt. Voir la paix et la justice s'embrasser, c'était en ce temps-là l'idéal de la vingtième année. Nous savons aujourd'hui par d'amères leçons que la force primera toujours le droit.

La messe finie, l'assistance entonna en choeur un hymne polonais le Boze cos Polske tous les fidèles n'en savaient pas le texte et beaucoup d'entre eux suivaient les paroles sur une feuille volante qu'ils avaient apportée dans leur missel. Ma voisine (2) me prit pour un compatriote et m'offrit de suivre avec elle les paroles mystérieuses. Naturellement je n'y entendais rien. Je la priai de vouloir bien me laisser le texte, qui me fascinait.

(1) M. Emile Thomas, professeur à la Faculté des lettres de Lille.

(2) Cette voisine, dont je fis depuis la connaissance, s'appelait Me Boianowska. Elle épousa peu de temps après un de ses compatriotes, M. Rutkowski, et devint la mère de Mile Wanda de Boncza, dont la Comédie française déplore la perte récente.

<< Te voilà bien avancé, me dit un de mes camarades; c'est de l'hébreu pour toi.

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Demain je saurai ce que cet hébreu veut dire ».

Le lendemain j'étais à la bibliothèque de la Sorbonne en quête d'un dictionnaire polonais. Le conservateur auquel je m'adressai était précisément un Polonais bien connu par de nombreux travaux en français sur l'histoire de son pays, Léonard Chodzko. A cette époque, il y avait encore une clientèle pour les ouvrages qui exaltaient les gloires de l'ancienne Pologne, les exploits de ses guerriers contre les Turcs, les Tatares et les Moscovites, l'héroïsme des légionnaires qui avaient servi dans les armées de la République et de Napoléon.

Le nom de Léonard Chodzko était presque populaire; sa femme, collaboratrice de quelques unes de ses œuvres, avait joué un rôle dans les salons parisiens et figure, dit-on, sous un nom facile à reconnaître, dans un des romans d'Henri Mürger.

Grâce à ce patriote historien la bibliothèque de la Sorbonne possédait un dictionnaire polonais, bien rarement consulté d'ailleurs. Après deux heures d'un labeur opiniàtre, j'avais à peu près déchiffré les strophes de l'hymne Boze cos Polske (1)... Il s'agissait maintenant de continuer ce que j'avais si heureusement commencé; je me procurai une grammaire, je me liai avec quelques jeunes gens de l'école polonaise des Batignolles (2), et je fis des progrès rapides. Au bout de quelques mois j'étais en état, non pas de lire couramment, mais de traduire sans trop de peine un morceau de prose, avec l'aide du dictionnaire, bien entendu. Mais j'étais bien résolu d'appliquer à mes études la maxime audiatur et altera pars, et j'entrepris d'étudier le russe dans la mauvaise grammaire de Reiff, sans me douter qu'après l'avoir tant de fois maudite je serais appelé à en donner un jour une nouvelle édition...

L'abondance des matières nous oblige à supprimer un certain nombre de comptes rendus qui paraîtront dans le numéro prochain (N. de la Red.).

(1) « Dieu qui pendant tant de siècles as protégé la Pologne, », etc.

(2) Nous ne pouvons que renvoyer au volume pour les pages très curieuses où l'auteur raconte ses souvenirs d'étudiant au Collège de France et de professeur aux cours libres de la Sorbonne et à l'Ecole des Langues orientales. Ces souvenirs sont d'ailleurs loin d'être complets et nous savons que M. Léger a l'intention de les continuer.

CONTENUES

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Julien Luchaire. L'enseignement des littératures modernes.
Arthur Girault. Le déplacement d office des instituteurs
Auguste Renard. Le rapport Meyer sur la réforme de l'ortho-
graphe.

414

124

131

Docteurs Paul Boncour et Jean Philippe. A propos de l'édu-
cation des écoliers mentalement anormaux'
Henri Goelzer. Grammaire des langues classiques anciennes
Louise Georges Renard. La femme et l'éducation sous la mino-
rité de Louis XIV

136

193

206

A. Xenopol. Réformes nécessaires dans l'enseignement primaire
en Roumanie.

221

289

Ch. V. Langlois. Notes sur l'éducation aux Etats-Unis.
Th. Rosset. Un enseignement expérimental de la prononciation
française (extrait des Exercices pratiques d'articulation et de
diction)

Ed. André. Association générale des étudiants de Paris, 21e ban-
quet annuel. Discours de M. Hervieu, de l'Académie fran-
çaise

310

316

M. Caullery. Quelques réflexions sur l'enseignement actuel des

Facultés des sciences et sur ses sanctions

323

37

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316

La réforme des agrégations. Faculté des sciences de Rennes
Le recrutement des maitres de l'enseignement supérieur

163

164, 251

Les Universités féminines.

165

Groupe universitaire d'excursions sociales (A. Nast).
Manifeste contre la réforme de l'orthographe
Lyon. La loi militaire et les Facultés de province.

166

167

168

169

Dijon. Faculté des lettres: deux nouveaux diplômes; Rapport
du comité de patronage des étudiants étrangers
Chambéry. La langue internationale dans l'enseignement pu-
blic; la rentrée de l'Ecole d'enseignement supérieur (F. Cor-
celle).

Grenoble L'enseignement du français aux étudiants étrangers.
Toulouse Etudiants; cours; école pratique de droit; salles de
travail; lecteur d'anglais; enseignement électro-chimique ;

173
174

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