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la réunion des deux

établi que l'Assemblée nationale s'obtient Chambres, les textes précités laissent toujours subsister la question de savoir si, après qu'elles ont opéré leur jonction, les Chambres conservent encore, au sein de cette assemblée, leur individualité propre, ou si, au contraire, elles s'y confondent en formant un collège unique et indivisible. Pour apercevoir la portée précise et aussi l'intérêt juridique de cette question, relative à la consistance de l'Assemblée nationale, il suffit de se rappeler que l'une des Chambres composant cette assemblée est sujette à dissolution. Il peut, au cours de la revision, surgir telles complications politiques, qui donneraient à l'emploi de cette dissolution une certaine utilité : par exemple, on peut supposer que, dans l'Assemblée nationale, une majorité composée surtout de députés prétende donner à la revision des directions ou une ampleur que le Sénat n'avait point prévues et que ses membres ne sont point disposés à admettre, ou encore que cette même majorité veuille prolonger indéfiniment les délibérations de l'Assemblée et vise à établir son omnipotence. En pareil cas, le Président de la République aurait-il la ressource de contraindre, par une dissolution portant sur la Chambre des députés, l'Assemblée nationale à se séparer? Si cette Assemblée s'analyse en une simple réunion des Chambres sans rien de plus, la dissolution de l'un de ses éléments constitutifs entraînera la sienne propre. Si, au contraire, elle est un tout, ayant une nature différente de celle de ses parties composantes, l'emploi de la dissolution à son égard cesse de se concevoir, et elle doit alors être considérée, dans ses rapports avec l'Exécutif, comme incommutable.

Les traités de droit constitutionnel ne sont point d'accord sur la solution à donner à l'importante question qui vient d'être posée. Une première doctrine, qui a aujourd'hui pour représentant le plus autorisé M. Duguit (Traité, t. II, p. 527), soutient que « l'Assemblée nationale n'est pas une réunion de la Chambre et du Sénat »>, mais bien << une assemblée nouvelle, absolument distincte de la Chambre et du Sénat, composée seulement des mêmes individus qu'eux ». M. Duguit fonde son opinion sur cette observation que les constituants de 1875 ont, en fait, « voulu instituer une assemblée souveraine ayant tous les pouvoirs d'une véritable Constituante» (eod. loc., et p. 523 et s.). Il en conclut qu'une fois cette Constituante formée, « il n'y a plus de Chambres, elles sont absorbées en quelque sorte par l'Assemblee nationale ». D'où cette conséquence, dit-il, que le Président de la République ne

peut, ni prononcer la clôture de la session de cette assemblée, ni exercer vis-à-vis d'elle le droit d'ajournement qui lui appartient envers les Chambres, ni surtout empêcher la continuation de ses travaux, en opérant la dissolution de la Chambre des députés. En somme, ce premier système se résume essentiellement dans cette idée que la formation de l'Assemblée nationale a pour effet de faire momentanément disparaître les Chambres : c'est ainsi notamment que les Chambres ne pourraient pas, tant que dure la session de l'Assemblée nationale, se reformer séparément pour discuter et voter une loi ordinaire.

Suivant une seconde opinion, entièrement opposée, non seulement les Chambres continuent d'exister après la formation de l'Assemblée nationale, mais elles subsistent jusqu'au sein de cette assemblée. Car, « le Congrès n'est autre chose qu'une réunion plénière et passagère des deux Chambres », et l'on ne saurait prétendre que celles-ci « perdent, en entrant au Congrès, leur cxistence pour ne renaître qu'à la sortie » mais la vérité est que, d'après la Const. de 1875, « ce sont les Chambres législatives qui font elles-mêmes et à elles seules la revision ». Ainsi s'exprime M. Lefebvre, dans son Étude sur les lois constitutionnelles de 1875, p. 235 et s.; et la conséquence que tire de là cet auteur, c'est que le Président de la République garde sur les Chambres, réunies en assemblée de revision, les pouvoirs qu'il possède respectivement sur chacune d'elles en temps habituel. Il peut donc, à la condition d'avoir préalablement obtenu à cet effet l'assentiment du Sénat, dissoudre la Chambre des députés, et par ce moyen ôter l'existence à l'Assemblée nationale elle-même; car, celle-ci, privée de l'un de ses éléments essentiels, se trouve mise à néant (V. dans le même sens : Saint-Girons, Manuel de droit constitutionnel, p. 63 et 491; Moreau. Précis de droit constitutionnel, 9e éd., p. 453; Matter. La dissolution des assemblées parlementaires, p. 110). Bien plus, le Sénat, en cas de dissentiment avec la Chambre des députés sur l'étendue de la revision à accomplir, n'aurait même pas besoin du secours de l'Exécutif il lui suffirait, pour rendre impossibles les séances de l'Assemblée nationale, de s'en retirer; car, cette Assemblée ne peut pas plus subsister sans la présence du Sénat que sans celle de la Chambre des députés; elle le pourrait d'autant moins que le départ du Sénat la priverait de son bureau régulier (Lefebvre, op. cit., p. 233 et 237).

Ni l'une ni l'autre des deux théories qui précèdent, ne parait exacte. Il n'est pas vrai que l'Assemblée nationale ne soit que la

résultante d'un simple assemblage des Chambres, celles-ci se rapprochant pour délibérer en commun et prenant ainsi une formation spéciale distincte de leur formation ordinaire. Mais, en sens inverse, il n'est pas davantage permis de dire que la considération des Chambres n'entre pour aucune part dans le plan d'organisation de l'Assemblée nationale, ni surtout que les Chambres cessent totalement d'exister pendant que celle-ci se trouve réunie.

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459. Pour rétablir d'abord la vérité sur le premier de ces deux points, il convient de se reporter préalablement au système des deux Chambres, tel qu'il se trouve actuellement établi en droit public français.

La dualité de Chambres n'a point partout le même fondement et la même signification. Dans les États aristocratiques, l'existence d'une Chambre seigneuriale répond au fait qu'il s'est maintenu, dans ces États, une classe privilégiée, à laquelle la Constitution assure, en face des députés élus par les collèges ordinaires de citoyens, une part spéciale d'influence et d'action dans les affaires publiques. De même, dans les États fédéraux, la coexistence, au point de vue fédéral, d'une Chambre nationale ou populaire et d'une Chambre des États est la conséquence forcée de ce que l'État fédéral a des membres de deux sortes, les citoyens composant le peuple fédéral d'une part, les États confédérés d'autre part, et de ce qu'il réalise à la fois l'unité d'une collectivité de citoyens et l'unité d'une collectivité d'États: ainsi, la dualité des Chambres fédérales correspond au dualisme qui existe dans l'État fédéral lui-même, et elle s'impose par ce motif qu'une Chambre unique, qui serait élue, soit par le peuple fédéral, soit par les États confédérés, n'aurait pas, à elle seule, qualité pour parler au nom de l'État fédéral tout entier.

Au contraire, dans un État unitaire et égalitaire comme la France, où la souveraineté réside de façon une et indivisible dans l'universalité nationale des citoyens, envisagés comme pareils les uns aux autres, il semble que les organes étatiques, en particulier le Parlement, doivent présenter un caractère unitaire, comme la nation dont ils exèrcent la souveraineté. En tout cas, on concevrait fort bien, en France, qu'il ne soit institué qu'une seule assemblée cette assemblée unique suffirait, aujourd'hui comme en 1791 et en 1848, à exprimer la volonté nationale. Si la Const. de 1875 a consacré le système

des deux Chambres, ce n'est point, comme dans les États aristocratiques et fédéraux, pour des raisons tirées de ce que l'État renferme des membres de qualité différente ou de ce qu'il possède une consistance et une structure dualistes, mais c'est exclusivement pour des motifs d'utilité pratique, se rattachant à la préoccupation d'assurer à la collectivité homogène des citoyens l'organisation parlementaire la plus conforme à l'intérêt national. Le système français des deux Chambres n'est donc point imposé par une nécessité d'ordre juridique, il a été établi simplement en raison de ses avantages politiques.

La différence qui sépare à cet égard, les États unitaires et les États dualistes, tels que l'État fédéral, est mise en lumière par l'observation suivante. Tandis qu'en France, les raisons qui ont déterminé la Constitution à oréer deux Chambres, impliquent que ces deux assemblées ne sauraient être la copie l'une de l'autre et qu'elles doivent, par conséquent, être recrutées par des procédés différents, dans les États fédéraux au contraire, où la dualité de Chambres a, avant tout, pour but de maintenir l'égalité entre les États confédérés, il est parfaitement concevable que les membres des deux Chambres fédérales soient nommés par les mêmes électeurs, et tel est, en effet, le cas dans beaucoup de cantons suisses; l'essentiel, ici, est seulement que les États confédérés possèdent respectivement, dans la Chambre des États, un nombre égal d'élus.

D'autre part, cependant, il est certain aussi que, dans la conception nationale et unitaire qui est à la base de l'État français, les deux Chambres, même si elles sont composées de membres élus selon des modes différents, doivent garder uniformément le même caractère national, en ce sens qu'aucune d'elles ne saurait être élue par des collèges dont la composition impliquerait des distinctions entre les membres de l'État, mais qu'elles devront, au contraire, procéder, l'une comme l'autre, de l'ensemble de la nation. Sur ce point, le droit positif, issu de la Const. de 1875, n'a pas établi un dualisme véritable entre les Chambres : tout en consacrant de notables différences entre députés et sénateurs quant au régime de leur élection et quant aux conditions de leur éligibilité, il s'est appliqué, pour le surplus, à maintenir entre les deux assemblées une similitude aussi complète que possible, au point de vue de leurs origines et de leurs relations ou attaches avec le corps national. Le Sénat a, à ce dernier égard, même nature foncière que la Cham

bre des députés : car, s'il n'est pas nommé directement par les collèges ordinaires d'électeurs, il procède pourtant, essentiellement, du suffrage universel. Les électeurs sénatoriaux sont désignés et appelés par le droit en vigueur, non en raison de distinctions personnelles établies entre les citoyens, mais en vertu d'un titre qui est lui-même purement national et démocratique. A supposer que les Chambres dussent représenter respectivement leurs collèges d'élection, il y aurait lieu de dire actuellement, en France, qu'elles ne représentent point, dans le pays, des éléments différents. En un mot, le Parlement français conserve, sous ce rapport et malgré sa division en deux assemblées, un caractère unitaire, qui est nettement conforme au principe d'unité et de souveraineté nationale sur lequel repose l'organisation étatique de la France.

Les observations qui précèdent, permettent de dégager les différences profondes qui séparent le système français des deux Chambres de celui qui se trouve établi dans les États ayant euxmêmes une consistance dualiste. Si l'on considère notamment l'État fédéral, on voit que là, le Parlement ne serait pas complet, s'il n'existait qu'une seule assemblée : les deux Chambres fédérales, correspondant séparément aux deux éléments constitutifs de l'État fédéral, peuple et États confédérés, ne peuvent former chacune qu'une fraction de l'organe parlementaire fédéral; aucune d'elles ne serait capable, à elle seule, de formuler une volonté fédérale, législative ou autre. Il faut donc qu'elles s'ajoutent l'une à l'autre, c'est-à-dire qu'elles se complètent mutuellement, pour former ainsi, par leur concours, l'assemblée fédérale en son entier. Tout autre est la portée du système bicaméral, en France. Le Sénat et la Chambre des députés sont bien, comme le donne à entendre le langage usuel, « les deux branches de la Législature », c'est-à-dire les deux parties constitutives d'un Parlement, qui apparaît par là comme un organe complexe. Mais cette complexité dualiste du Parlement français n'est plus de même nature que celle relevée dans l'État fédéral. On peut dire, en France, que chacune des deux Chambres constit ue par elle-même un organe complet, en tant que l'une comme l'autre a logiquement qualité pour parler au nom de la nation prise en son entier et envisagée sous tous ses aspects. En ce sens, le Sénat et la Chambre des députés apparaissent, à la différence des Chambres d'un État fédéral, comme deux centres de volonté étatique qui se suflisent chacun à lui-même, comme deux facteurs semblables de volonté

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