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celle du peuple. Sans doute, ce régime confère aux assemblées une situation hautement prédominante vis-à-vis de l'Exécutif : pour la Suisse notamment, il a été dit que les Conseils exécutifs << sont, au pied de la lettre, les exécuteurs des volontés du Corps législatif; l'exercice d'une volonté dirigeante n'entre même pas dans leur esprit » (Esmein, Éléments, 7° éd., t. I, p. 495) (38). —

(38) V. dans le même sens Rehm, op. cit., p. 287, note 1, qui caractérise le Conseil fédéral de la Suisse en disant que « ses membres sont des organes d'exécution dépendant de l'Assemblée fédérale ». Contre cette façon de définir le Conseil fédéral, Jellinek (op. cit., éd. franç., t. II, p. 483 en note) a élevé des objections, qu'il tire notamment de ce fait que, d'après les art. 95 et 102 de la Const. fédérale de 1874, le Gonseil fédéral n'exerce pas seulement la puissance exécutive, mais aussi la puissance « directoriale supérieure de la Confédération » (art. 95): l'art. 102, sous ses chiffres 1° et 5o, distingue ces deux pouvoirs et spécifie que le Conseil fédéral n'a pas seulement à «< pourvoir à l'exécution des lois »>, mais qu'en outre « il dirige les affaires fédérales, conformément aux lois et arrêtés de la Confédération », ce qui, a-t-on dit, est tout autre chose que de la pure exécution (Schollenberger, Bundesstaatsrecht der Schweiz, p. 252 et s.); dans l'exercice de cette activité dirigeante « supérieure », conclut Jellinek, le Conseil fédéral est constitué, en face de l'Assemblée fédérale et pour un large ensemble de compétences, comme un organe indépendant (Cf. les observations faites suprà, t. I, p. 483, note 3, p. 495, note 7. Mais v. aussi la note 11 du no 309, infrà). Mais, d'autre part, cet auteur est obligé de reconnaitre (eod. loc.) qu'il n'est point réalisé, en Suisse, de véritable séparation des pouvoirs, et il convient que ce qui règne en ce pays, c'est plutôt selon le mot de Dubs (Das öffentliche Recht der schweiz. Eidgenossenschaft, t. II. p. 71) — «la confusion organique des pouvoirs ». A cet égard, il importe d'observer que le Conseil fédéral ne présente pas les caractères et ne joue pas le rôle d'un ministère cela ressort notamment de ce fait qu'il est composé de membres se rattachant à des partis différents. Ainsi que le montre M. Esmein (loc. cit., p. 500), ce fait s'explique précisément par le motif que le Conseil fédéral n'a point, dans les conditions spéciales de neutralité et de fédéralisme où est placée la Suisse, de politique propre à entretenir. Ses membres ne sont que des fonctionnaires exécutifs ils ne sont que des employés, d'après la Constitution fédérale elle-même, qui caractérise leur fonction comme un simple « emploi (art. 97). Ceci explique aussi qu'ils soient élus pour une durée fixe de trois années et que, pendant cette période, ils ne soient pas, comme le seraient des ministres, sujets à révocation. En vain Jellinek (loc. cit.) fait-il valoir que le Conseil fédéral a le droit de présenter à l'Assemblée fédérale des projets de lois (art. 102-4°), ce qui implique en lui un certain pouvoir initial et indépendant, autre que celui d'exécution. Cet argument n'est nullement décisif en ce sens n'est-ce pas Jellinek lui-même qui a, en principe, déclaré que « l'impulsion donnée par voie d'initiative pour la formation de la volonté législative de l'État n'a point, à elle seule, le caractère d'un acte de puissance impérative, ce caractère n'appartenant qu'à l'acte par lequel est affirmée la volonté législative une fois formée » (Gesetz und Verordnung, p. 318. - Cf. L'État moderne, ed. franc., t. II, p. 421)?

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Cf. Const. 1793. art. 62 et s. V. cependant Bossard, Das Verhaltniss zwischen Bundesversammlung und Bundesrat, thèse, Zurich, 1909, p. 15 et s., 179 et s.). Mais il y a une contrepartie : les lois ne prennent naissance que par l'adoption populaire, leur adoption par le Corps législatif leur laisse le caractère de simples projets : par là se trouve fortement rabaissée la puissance des assemblées. En somme, cette puissance est moins grande dans la démocratie directe que dans le régime parlementaire, où les Chambres dominent l'Exécutif sans être elles-mêmes rigoureusement subordonnées, quant à la législation, à la volonté du peuple (39).

Dans la monarchie absolue ou illimitée, la suprématie du roi est tout aussi manifeste : il occupe, ici, une place analogue à celle qui est faite au peuple dans la pure démocratie. A lui seul appartient le pouvoir de faire la loi; il gouverne et administre, soit par lui-même, soit par des agents dépendants de lui; il rend la justice par des juges qui sont ses délégués. Il cumule donc tous les pouvoirs, ou, en tout cas, il est la source de tous les pouvoirs, ainsi que cela ressort du fait qu'il est le maître des changements à apporter à la Constitution. Cette prépondérance du monarque s'affirme pareillement dans la monarchie limitée,

(39) V. pourtant ce qui a été dit au tome I, p. 550, note 2, touchant la distinction établie par l'art. 89 de la Const. fédérale suisse entre les lois et les arrêtés émanant de l'Assemblée fédérale. Il résulte de ce texte que le droit d'adoption ou de sanction populaire ne s'applique, d'une façon absolue, qu'aux prescriptions émises par l'Assemblée en forme et sous le nom de lois. Quant aux arrêtés, quel qu'en soit le contenu, ils peuvent échapper à la votation populaire, s'ils ont « un caractère d'urgence »; et c'est d'ailleurs à l'Assemblée fédérale elle-même qu'il appartient d'apprécier et de déclarer si l'arrêté qu'elle adopte, a ce caractère. Dans la mesure où l'Assemblée possède ainsi le pouvoir d'édicter des prescriptions soustraites à la sanction du peuple, celui-ci perd sa qualité d'organe législatif suprême : et par là aussi, la démocratie directe supporte, en Suisse, une restriction en faveur du gouvernement représentatif, auquel elle se trouve, en effet, faire place, dans cette même mesure. Selon la Const. de 1874, le caractére représentatif de l'Assemblée fédérale était plus accentué encore, en ce qui concerne les traités avec les États étrangers: aux termes de l'art. 85-5°, il appartenait à l'Assemblée fédérale d'adopter les traités, ou plus exactement (art. 102-8") d'autoriser par voie d'arrêtés le Conseil fédéral à les ratifier, et cela sans que ces arrêtés fussent susceptibles de referendum : il en était ainsi, alors même que les clauses du traité auraient modifié des prescriptions consacrées par des lois en vigueur (Burckhardt, Kommentar der schweiz. Bundesverfassung, 2 éd., p. 688-689). Une réforme importante vient d'être apportée à cet état de choses le 30 janvier 1921, ie peuple suisse, saisi d'une initiative populaire tendant à soumettre les traites internationaux eux-mêmes au referendum, a adopté cette innovation à une forte majorité et élargi, par là, notablement, l'application en Suisse des principes de la démocratie directe.

p.

à supposer, bien entendu, que celle-ci soit restée, malgré ses limitations, une monarchie véritable, comme c'était le cas dans les États allemands, et qu'elle ne soit pas devenue une monarchie simplement apparente, comme la monarchie française de 1791. Même lorsqu'il s'y mêle des éléments démocratiques, la monarchie limitée garde pour caractère essentiel d'être une forme de gouvernement dans laquelle le chef de l'État est le centre de toute la vie et de toute la puissance étatiques. Sans doute, le monarque n'exerce plus ici, comme dans le cas de la monarchie absolue, la puissance intégrale de l'État : du moins, il ne peut l'exercer qu'avec le concours d'autres organes qui ne relèvent point de lui, et notamment il ne peut légiférer que moyennant le consentement préalable donné à la loi par une assemblée élue. Mais il n'en reste pas moins l'organe central et principal de l'État. Car, d'une part, c'est à lui qu'il appartient - selon la remarque de Jellinek (loc. cit., t. II, 416 et s.) de mettre en mouvement l'activité étatique, en donnant l'impulsion aux organes autres que lui-même, par exemple en convoquant les Chambres et en leur soumettant des projets législatifs. Et d'autre part, c'est en lui pareillement que réside le pouvoir de décision définitive, par exemple le pouvoir de parfaire la loi après qu'elle a été votée par les Chambres. Ce pouvoir de décision suprême reçoit une application particulièrement importante et significative dans le cas de revision de la Constitution: aucun changement ne peut être introduit dans celle-ci sans l'intervention du monarque, et la vérité est même que c'est lui qui décrète en dernier ressort les lois portant revision, tout comme par sa sanction il parfait les lois ordinaires. Ce pouvoir d'ordre constituant prend son fondement, en partie, dans ce fait que la Constitution de l'État a été originairement créée, concédée, par le monarque lui-même, qui, en ce sens tout au moins, apparaît comme ayant été primitivement la source de tous les pouvoirs constitués. De plus, c'est-à-dire outre cette justification tirée du passé, la puissance constituante du monarque se rattache à cette conception générale que, dans le présent, s'il ne peut pas tout vouloir par lui seul, du moins rien ne peut se faire dans l'État sans sa volonté. Et c'est bien pour cette dernière raison que le monarque limité reste, en somme, l'organe prépondérant et suprême, notamment dans ses rapports avec le Parlement. Car, tout d'abord, il exerce librement et avec une volonté maîtresse la puissance gouvernementale et administrative, ct les tentatives que pourraient faire les Chambres en

vue de

restreindre ou de diminuer entre ses mains l'exercice de cette puissance par la voie de limitations législatives, ne pourront aboutir qu'autant qu'il y aura lui-même donné son consentement en sanctionnant les lois proposées à cet effet. Quant à la puissance législative, on ne peut plus dire qu'il en soit maître comme il l'est du gouvernement, puisqu'il ne peut légiférer à lui seul; mais, du moins, il joue encore dans la législation un rôle capital, en tant qu'il dépend de lui d'émettre la décision suprême qui donnera naissance à une loi nouvelle. En définitive donc, et conformément à la formule donnée à l'égard de la monarchie limitée par Jellinek (loc. cit., t. II, p. 420), le Parlement n'a qu'une puissance inférieure, puisqu'il ne peut rien sans le roi; le roi, au contraire, est l'organe supérieur, puisqu'il peut tout avec le concours du Parlement et que, même sans le Parlement, il peut beaucoup en gouvernant et administrant.

Autre est le cas des Constitutions qui, comme celle de 1791, instituent en apparence une monarchie, mais en conférant au Corps législatif des prérogatives, qui font de lui l'organe prépondérant. En 1791, la prépondérance de l'Assemblée législative résultat nettement de ce que le roi, pourvu d'un simple droit de veto suspensif, n'était pas admis à participer directement à la législation : la loi pouvait se faire sans lui et contre sa volonté. Elle résultait pareillement de ce que l'Assemblée législative avait sur tout le domaine de l'administration un pouvoir de haute surveillance, qui lui permettait, même dans ce domaine, de dominer et de contrarier l'action du roi (V. notamment dans la Const. de 1791, tit. III, ch. IV, l'art. 8 de la sect. 2). Enfin et surtout, la Const. de 1791 assurait la supériorité de l'Assemblée législative, en lui réservant le pouvoir de donner ouverture à la revision des textes constitutionnels par ses << vœux » (tit. VII, art. 2) : des vœux qui pouvaient mettre en question les pouvoirs du monarque lui-même et en préparer l'amoindrissement; des vœux qui, d'ailleurs, étaient soustraits à l'exigence habituelle de la sanction du roi (tit. VII, art. 4. — V. infrà, no 337 in fine).

La Const. de 1791 n'instituait donc pas une monarchie véritable, car elle ne faisait au roi qu'une position subalterne. Mais, en cela précisément, le régime constitutionnel consacré à cette époque fournit une constatation intéressante: il prouve, en effet, que, même dans les Constitutions qui visent à fonder une séparation absolue des pouvoirs, on retrouve inévitablement, sinon un organe réunissant en lui tous les pouvoirs, du moins un organe

CARRÉ DE MALBERG. - II.

supérieur dont la volonté est prédominante et qui, par là même, assure, parmi la multiplicité des autorités constituées, le maintien de l'unité de volonté et de puissance de l'État. Le dualisme étatique qui peut s'établir entre un chef de Gouvernement, président ou monarque, et le Corps législatif, ne sera jamais que partiel; pour qu'il fût complet, il faudrait que la Constitution ait réalisé, entre ces deux organes, non seulement l'indépendance, mais encore l'égalité (40); ce dualisme-là ne peut se concilier avec le principe d'unité qui est propre à l'État moderne. Il fait défaut, même dans les États qui passent pour l'avoir le plus pleinement adopté. Tel est le cas de l'Union américaine du nord. On a souvent cité la Constitution des États-Unis, comme offrant le modèle d'un réel équilibre entre les deux autorités exécutive et législative. D'après les auteurs américains cependant, cet équilibre ne va pas jusqu'à engendrer entre elles une égalité complète : entre le Président et le Congrès, il y a bien une certaine « balance » des pouvoirs; mais, en définitive, la balance penche du côté du Congrès, qui demeure l'organe supérieur. « Dans tout système de gouvernement dit W. Wilson, op. cit., éd. franç., p. 15 il y a toujours un centre du pouvoir. Qu'en est-il dans le système du gouvernement fédéral ? Là, sans contredit, la force qui domine et contrôle la source de toute puissance motrice et de tout pouvoir régulateur, c'est le Congrès. » « Les balances de la Constitution dit encore cet auteur, p. 60 ne sont, pour la plus grande part, qu'idéales. En toutes les questions pratiques, le Congrès est prédominant sur ses soi-disant branches coordonnées. »> « En qualité de fonctionnaire de l'Exécutif, le Président est le serviteur du Congrès » (ibid., p. 286). Bryce (op. cit., 2o éd. franç., t. I, p. 332) fait la même constatation : « La Constitution, jugeant certaines fonctions comme étant naturellement du ressort de l'Exécutif, les a réservées au Président, en les excluant de la compétence du Congrès. Un examen attentif démontre cependant qu'il n'est, pour ainsi dire, pas une seule de ces fonctions que le long bras du pouvoir législatif ne puisse atteindre. » Au début du xx siècle pourtant, des causes multiples, parmi lesquelles il faut rappeler notamment l'importance nouvelle du rôle joué par les États-Unis dans la politique mondiale, avaient singulièrement

(40) C'est ainsi que le système des deux Chambres n'est pleinement réalisé que dans les États où la diversité des Chambres quant à leur composition se combine avec leur égalité quant aux pouvoirs, quant aux pouvoirs législatifs tout au moins (Esmein, Éléments, 7° éd., t. I, p. 137 et s.).

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