Page images
PDF
EPUB

De même, l'un des éléments constitutifs et essentiels de la diffamation consistant en ce que le fait imputé porte atteinte à l'honneur et à la considération de la personne diffamée, il n'y a pas diffamation dans l'imputation, formulée contre quelqu'un, de s'être montré brutal et grossier, une telle imputation n'est pas de nature à diminuer, dans ses rapports avec le public, soit l'honneur, soit la considération de la victime. En conséquence, l'action civile en dommages-intérêts qui est ouverte par une telle imputation, insérée dans un journal, n'est pas soumise à la prescription édictée par l'art. 65 de la loi du 29 juillet 1881 (1).

On ne peut opposer à l'action de l'article 1382 une fin de non-recevoir tirée de ce que la victime n'a pas usé du droit qu'elle avait de faire insérer, dans le journal où a paru l'imputation, une réponse à l'article critiqué, le droit de réponse inscrit dans l'art. 13 de la loi du 29 juillet 1881 n'étant qu'une simple faculté dont la personne nommée ou désignée dans un article de journal peut user à son choix, et qui laisse entier le droit de celle-ci, de s'adresser directement aux tribunaux, si elle le juge à propos, pour obtenir réparation.

On a décidé aussi, qu'un fait dommageable, commis par la voie de la presse, tel même qu'un dénigrement systématique, ne constitue pas nécessairement, par lui-même, le délit d'injure ou de diffamation, et la personne lésée peut intenter, en réparation, une action civile ayant pour principe unique l'art. 1382 du Code civil, et pour formule la demande

atteinte par la prescription de trois mois. Trib. civ. Toulouse, 13 mars 1899. V. Paris, 6 décembre 1890. Bordeaux, 17 juin 1891. C., 12 juin 1891.

Ainsi, jugé par la Cour de Paris (1re chambre), le 17 février 1899, que si l'imputation, adressée à une maison de commerce, de travailler à perte, en vue d'une concurrence à combattre, n'est que l'imputation d'un fait licite en lui-même et ne peut être considéré comme diffamatoire, il en est autrement de l'imputation de travailler dans le but effectif de tromper un jury d'expropriation, et de se faire attribuer une indemnité supérieure.

En effet, il ne faut pas confondre l'intention de nuire avec la mauvaise foi. (1) Trib. de Lyon, 11 décembre 1886. J. Pal., 27 février 1887. Parant, Lois de la presse. p. 151; Chassan, t. I, p. 452; De Grattier, t. II, p. 100; Bazille et Constant, no 73; Dutrue, no 83; Cass. 15 février 1834.

Jugé de même pour la femme Pétomane. La diffamation étant l'imputation d'un fait de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération, l'allégation qu'une personne, qui donne des représentations d'exercices physiques dans un lieu public, use d'un stratagème pour amorcer les spectateurs et leur faire croire qu'elle tire parti de ce qu'elle prétend être « un don de nature », alors qu'elle n'exploiterait qu'un truc, peut préjudicier aux intérêts pécuniaires de la personne en question, mais ne touche en rien à son honneur et à sa considération, et ne saurait constituer, dès lors, le délit de diffamation.

Il ne saurait, en pareille espèce, être question de considération professionnelle s'appliquant à l'exploitation d'une disposition physique anormale, étrangère à la mise en valeur d'un art ou d'un talent personnel. Trib. correctionnel de la Seine (9 chambre) 15 juin 1898. Nancy (1re ch.), 1er février 1899

en réparation du préjudice causé. Dans le cas d'une telle demande introduite devant la juridiction civile, il n'appartient pas à l'auteur de la faute ou du dommage, de qualifier arbitrairement la nature de l'action dirigée contre lui, pour lui attribuer un vice qui entraînerait la déchéance (1).

Enfin la prescription de trois mois, édictée par les art. 46 et 65 de la loi du 29 juillet 1881, n'est pas applicable à l'action en dommages-intérêts intentée devant le tribunal civil, par une personne attaquée dans un journal, qui s'est désistée d'une plainte en diffamation antérieurement portée devant le tribunal correctionnel; alors que, dans cette seconde instance, elle ne se plaint plus d'une atteinte portée à sa considération, mais d'un préjudice causé à ses intérêts commerciaux et qu'il n'est relevé que des faits sans caractère délictueux (2).

198.-20 De la faute. Le terme faute » est pris dans son acception la plus large, et comprend toutes les causes d'imputabilité par action ou omission. Il s'entend même des fautes légères (3).

Il peut y avoir responsabilité pour une simple faute in ommittendo,

(1) Paris, 16 novembre 1886, 3 février 1888 (1re chambre).

Les expressions de chef de la réaction d'une localité déterminée, de personne toujours en contact avec la réaction, ne constituent ni la diffamation ni l'injure. Ces propos, consignés dans une délibération d'un conseil municipal dont tous les habitants et contribuables de la commune peuvent prendre communication, sont de nature à causer un préjudice moral et même un préjudice matériel alors surtout que la personne visée par ce propos est attachée à une administration publique. Limoges. 18 janvier 1886.

Le pourvoi formé a été rejeté par arrêt de la Chambre des requêtes du 27 décembre 1886.

Cpr. C., 20 mars 1884.

(2) Trib. de la Seine (2o chambre), 21 février 1893.

Celui qui, dans un journal, dit d'une personne qu'elle a fui devant la poursuite d'un tiers sur la voie publique ne commet pas le délit de diffamation. Angers, 19 mars 1897. V. no 279 et suiv., les nombreux exemples où il n'y a pas diffamation. Pour l'injure, vo no 293. Sur l'indivisibilité, v. no 88.

(3) Il en était ainsi en droit romain: « et levissima culpa venit ». (V. C., 44, ad legem aquiliam). Et de même Domat (livre II. tit. VIII, sect. 4) enseignait : Toutes les pertes, tous les dommages qui peuvent arriver par le fait de quelque personne, soit imprudence, légèreté, ignorance de ce qu'on doit savoir, ou autres fautes semblables, si légères quelles puissent être, doivent être réparées par celui dont l'imprudence ou autre faute y a donné lieu. C'est un tort qu'il a fait, quand même il n'aurait pas eu l'intention de nuire ». V. suprà, p. 196.

Sourdat, De la responsabilité, t. I, no 642. Huc, Code civil. t. VIII, no 402. Larombière, sur les articles 1382, 1333, no 3. Aubry et Rau, t. IV. p. 754, § 446. Toullier, t. XI, no 113. Demolombe, t. XXXI, no 451 et suiv. Colmet de Santerre, t. V, no 364, bis IV. Baudry-Lacantinerie, t. II, nos 1346, 1347. V. C. 15 avril 1889. Laurent, no 385, sur l'article 1382. V. Conclusions du procureur général, sous cassation, 28 janvier 1892. V. surtout C. (civ.), 31 décembre 1900,

quand on était légalement obligé à accomplir le fait dont on s'est abstenu.

Les délits contre la morale, le respect dà aux lois; les attaques contre la propriété, la famille, la religion, tout cela n'est pas pénalement réprimé, mais le principe de l'article 1382 qui demeure nécessairement intact, sert alors de sanction.

Sans doute, les questions politiques, sociales, concernant le fonctionnement des syndicats, le contrat de travail, les caisses de retraite, etc., etc,, peuvent être librement agitées dans la presse. Les grèves, par exemple, sont des faits sociaux de la plus haute importance, des faits notoires, dont les journaux, les députés, peuvent s'occuper. Mais les critiques, les attaques doivent, pour être licites, rester impersonnelles (1).

L'action du journal ne peut pas prendre, vis-à-vis d'individus. un caractère direct, illicite, dommageable. Les prétendus droits de la science, les croyances religieuses, politiques, sociales, etc., n'excusent pas le dommage résultant de leur expression, lorsqu'au lieu de prendre un caractère général tel que l'excitation des citoyens les uns contre les autres, elle atteint des personnalités déterminées. C'est que la liberté des uns est limitée par la liberté des autres.

[ocr errors]

Lorsqu'il s'agit de l'exercice normal d'un droit reconnu, ou l'accomplissement d'un devoir imposé par exemple par la loi le fait n'a pas sans doute un caractère illicite (2). Mais, au contraire, dès l'instant que, même à propos de l'exercice d'un droit, des faits illicites sont commis, si ces faits n'étaient pas indispensables à l'exercice du droit, ils s'en détachent en quelque sorte (à moins qu'ils ne se confondent avec lui absolument et soient le résultat inévitable de son exercice et la condit on de son existence) et constituent, selon leur nature, des délits ou des quasi-délits (3).

(1) Par exemple, un article de journal renfermant une étude d'un caractère général impersonnel, sur une question d'actualité, ne saurait servir de base à une action de la part d'une agence de renseignements à cause d'imputations générales sur les agences de renseignements. Cpr. nos 215, 217.

(2) Consulter à cet égard: Toullier, t. II, nos 119 et suiv. Larombière, Des obligations sur l'article 1382, no 10. Sourdat. Responsabilité, nos 438, 439, 680. Laurent. Principes du Droit civil, t. XX, nos 408 à 11. Conclusions du procureur général Ronjat, sous cassation, 22 juin 1892, P. 93. 1. 11. Cour d'appel de Liège, 9 février 1888. Comparez, C., 19 décembre 1817.

Demolombe semble se prononcer en sens contraire (Contrats et obligations, t. VIII, no 669) mais il importe de remarquer qu'il ne s'occupe que de la propriété immobilière, de ce qu'un propriétaire fait sur son propre fonds, ce qui est bien différent de notre espèce.

(3) La Cour suprême a jugé plusieurs fois que la liberté de l'industrie, l'observation même des règlements et coutumes applicables dans l'exercice d'une indus

La loi, par suite, ne reconnaît pas, comme légitime, l'usage d'un droit lorsqu'il est uniquement exercé pour nuire à autrui (1).

Toutefois, demeurant ces principes, il faut tenir compte du cas de provocation.

Ainsi, il y a une provocation qui rend excusable une réplique injurieuse dans l'article ainsi conçu: « Vous êtes un sot, c'est connu et c'est pour cela que je vous pardonne.» Vous êtes irresponsable et inconscient. »

De même, dans l'article d'un journal qui désigne un citoyen «< comme

trie déterminée, fortifiée par une autorisation administrative ou par une concession des pouvoirs publics, ne dispensaient pas d'indemniser un voisin du dommage causé, le cas échéant, par cette industrie. C. civ. 20 janvier 1880. Req., 21 juillet 1887.

Une Compagnie de chemin de fer, même quand elle s'est conformée aux règlements spéciaux de son service, répond du préjudice qu'elle cause à une blanchisserie par la fumée de ses locomotives. Req., 3 janvier 1887.

(1) La maxime malitiis hominum non est indulgendum touche, par le côté le plus intime, aux conditions d'existence de la société civile, évidemment intéressée à ce que ses membres soient protégés dans la sphère de leur activité sociale, contre les entreprises des mauvaises passions.

On ne saurait admettre qu'il soit permis, même par des actes licites, absolument parlant, de ruiner, d'opprimer, de flétrir un citoyen sans autre intérêt ou mobile que celui de la vengeance, de la haine, des idées socialistes, révolutionnaires, antisémites, réactionnnaires, etc.

Le summum jus devient la summa injuria, réprouvée, aussi bien par la loi eerite, que par la loi morale. En vain on invoquerait la raison politique, la nécessité de la lutte des partis, les passions sociales ou religieuses; la base en toute matière, en droit, comme ailleurs, doit être l'honnête et le juste, le respect du droit de ses semblables, l'observation des lois essentielles qui régissent l'homme en société.

Un propriétaire loue, sans excéder son droit, son immeuble pour l'exploitation d'une imprimerie: le locataire, même sans avoir abusé de son droit, peut être rendu responsable, d'après l'arrêt du 20 janvier 1891, du préjudice causé aux tiers par le fonctionnement nocturne, le bruit et la trépidation des machines.

On peut encore citer les nombreux arrêts qui, tout en consacrant le droit absolu pour un plaideur de poursuivre en justice la revendication de son droit, réserve le cas où l'instance a été introduite par malice ou mauvaise foi.

Commettent une faute engageant leur responsabilité, le directeur et le contremaitre d'une usine qui, par malveillance envers un marchand, défendent à leurs ouvriers de se fournir chez lui, sous la menace d'un renvoi de l'usine. Douai, 6 juillet 1898.

Il est impossible enfin, de ne pas rappeler l'arrêt du 22 juin 1892, qui tranche une difficulté soulevée par l'application de la loi du 21 mars 1884 : « Si, depuis l'abrogation de l'article 416 du Code pénal, Idit cet arrêt, les menaces de

B

« grève adressées, sans violence ni manoeuvres frauduleuses, par un syndicat à « un patron, à la suite d'un concert entre ses membres, sont licites quand elles ont pour objet la défense des intérêts professionnels, elles ne le sont pas lorsqu'elles ont pour but d'imposer au patron le renvoi d'un ouvrier parce que « celui-ci s'est retiré de l'association (un syndicat) et qu'il refuse d'y rentrer ; dans ce cas, il y a une atteinte au droit d'autrui qui, si ces menaces sont sui¤ vies d'effet, rend le syndicat passible de dommages-intérêts envers l'ouvrier congédié ». V. aussi, C., 9 juin 1896.

faisant partie d'une coterie d'hommes qui ont la haine de tout progrès et le mépris de la classe ouvrière... qui n'ont d'autres principes que leurs appétits et d'autre guide que leur haine » (1).

Mais il est d'évidence que la provocation doit être personnelle, sauf le cas où il s'agit, par exemple, d'un mari dont la femme est attaquée; d'un père dont la fille est prise à partie, etc. (2).

Quand il y a réciprocité d'attaques, il faut rechercher lequel des plaideurs a eu les premiers torts. Il est de principe que celui par la faute duquel le fait est né, est non recevable à se plaindre ou, dans tous les cas, ne peut prétendre à des réparations bien sérieuses (3).

Les juges peuvent également tenir compte de la faute commune. Mais, la faute commise par la victime d'un fait dommageable et qui, dans une certaine mesure, a contribué à occasionner le préjudice, n'exonére pas l'auteur direct de ce préjudice de l'obligation de le réparer; elle ne peut avoir pour effet que d'atténuer sa responsabilité (4).

Ne saurait donner ouverture à une action en dommages-intérêts la faute qu'aurait pu commettre un plaideur, en produisant en justice un document ayant un caractère diffamatoire, cette faute n'étant aux yeux de la loi, que l'exercice d'un droit. Alors surtout que cette action n'est pas portée devant les juges saisis de la cause et statuant sur le fond, conformément à l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, cette prescription n'étant pas seulement une simple règle de procédure, mais touchant au fondement même du droit (5).

199.30 Du préjudice. - Le préjudice subi est une autre condition nécessaire.

Il doit être certain, actuel et direct. En effet, une faute n'engage la responsabilité de son auteur qu'autant qu'elle se rattache au préjudice causé par une relation directe. Il faut donc, que les juges, après

(1) C., 23 février 1890. 31 juillet 1894.

(2) Bourges, 21 novembre 1889.

(3) C., 29 mars 1886. 30 octobre 1886. 31 juillet 1894. Sourdat, nos 108, 640, 660. La polémique entre deux journaux, les nécessités de la réplique, les rivalités peuvent enlever le caractère blåmable. Tout cela, selon les cas, pourra aussi faire disparaitre la faute si surtout les imputations sont justifiées.

Cpr. C., 11 avril 1874. 24 avril 1879.

On ne peut, toutefois, considérer comme excuse des articles de journaux, couverts par la prescription, parus plusieurs mois avant les articles objet de la plainte.

(4) Jurisprudence constante. Voici un des derniers arrêts. C., (ch. civ.) 28 mars 1900.

(5) Trib. civ. de la Seine, 2 janvier 1899. V. no 4.

« PreviousContinue »