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pour but que de servir l'intérêt général, et par conséquent peut-on échapper à toute poursuite par défaut d'intention de nuire ?

Il sera, on doit le reconnaître, bien délicat de distinguer entre l'hostilité politique et l'animosité individuelle; entre l'accomplissement d'un devoir politique et la satisfaction d'une haine ou d'un ressentiment particulier.

Avec raison, la jurisprudence de la Cour suprême décide, pour les infractions pénales,qu'il n'existe aucune immunité légale, en matière de période électorale. Dans le silence de la loi du 29 juillet 1881, dit la Cour régulatrice, il n'est pas permis, pendant les élections, de suspendre arbitrairement, les règles sur la diffamation et l'injure, en vertu d'un droit constitutionnel qui ne se trouve écrit nulle part.

Ceci s'étend donc aux articles 1382, 1383. Tout se résoudra dans des questions de pure espèce. Les tribunaux rechercheront s'il y a faute et préjudice (4).

Ce qui est vrai, c'est qu'il existe, nécessairement, une certaine lati

(1) A la Chambre des députés, en 1846, M. Hébert, député et procureur général de Paris (Moniteur, 29 août 1846, p. 2289), déclarait au contraire : « Que tout ce qui était relatif à la vie privée proprement dite devait être régi par les règles du délit de diffamation, mais qu'il en allait autrement pour tout ce que le candidat avait fait comme homme public et pour le soutien de sa candidature. »

Ce système ne doit pas être adopté dans ses termes absolus. Notre loi sur la presse considère le candidat aux élections comme un simple particulier, et cela à bon droit, puisqu'il n'est pas revêtu d'un caractère public et qu'il aspire seulement à devenir un homme public. Lors du vote de l'article 31. M. Trarieux, à la Chambre, a demandé, sans succès, que le candidat à une fonction élective fût assimilé aux fonctionnaires, et sur l'article 35, M. Bozérian n'a pas obtenu que la preuve fût admise contre lui, etc. Celliez et Le Senne, p. 149. Cpr. C., 23 mai 1874.

M. Labbé (Note au Palais, 1876, p. 311) propose une opinion qui est plus rationnelle et plus en accord avec la loi. En voici le résumé: « L'homme qui se porte candidat dans une élection publique affirme son mérite, sa capacité, sa dignité, relativement à la fonction qu'il sollicite; il provoque sur son compte, à cet égard, un jugement; le jugement sera prononcé par le vote. Mais il doit être précédé d'une discussion qui le prépare et qui l'éclaire. Dès lors, le candidat peut être discuté, dans ses actes antérieurs comme fonctionnaire public, pour les opinions émises dans une précédente élection, ou les articles qu'il aurait publiés comme journaliste. De même si, pour un fait judiciairement constaté, le candidat avait encouru la déchéance de l'éligibilité, cette indignité légale pourrait lui être publiquement objectée, puisqu'en se présentant, il affirme son aptitude. Dans ces limites, la discussion est libre, à la condition que celui qui avance un fait soit en mesure de le prouver. Mais l'injure ou l'outrage, qui ne servent jamais l'intérêt general et ne répandent jamais la lumière, doivent toujours être interdits. Quant à la vie privée du candidat, elle doit soigneusement rester à l'abri des investigations et de la malignité. La distinction entre la moralité privée et la moralité publique est sans doute arbitraire. Ce sera affaire à la prudence des juges. »

Cpr. 26 mai 1876, 12 avril 1876. Angers, 10 avril 1876. Consulter Chassan, t. I, n° 476. Grellet-Dumazeau, t. I, no 104 et 622. Rousset, no 1639.

tude dans la critique. Le candidat appelle sur lui le contrôle de la publicité (1).

La jurisprudence du Conseil d'Etat fait l'application de cette idée, au sujet de l'influence sur l'élection, des bruits faux, calomnieux et diffamatoires, comme aussi sur le résultat des manoeuvres de la dernière heure. Au sujet de telles affiches, annonces, circulaires, etc., le Conseil d'Etat se montre assez large (2).

Des allégations très blessantes contre un candidat, contenues dans une protestation adressée à la Chambre des députés peuvent donner lieu à des dommages-intérêts. Le droit de protestation ne peut aller jusqu'à l'abus.

La jurisprudence fournit de nombreux exemples, en sens divers, tenant aux questions différentes de chaque procès (3).

212 bis. Imprimeurs (4).

213. Fausse nouvelle. Pièce fabriquée. La fausse nouvelle n'est punissable pénalement, d'après l'article 27 de la loi de 1881, qu'autant quelle est de nature à troubler la paix publique (5),

Un député, M. Lorois, au cours de la discussion, en 1881, ayant demandé quels seraient les droits des tiers auxquels on attribuerait faussement des pièces ou documents, il lui a été répondu par MM. Lelièvre et Lisbonne que l'action en dommages-intérêts pouvait être

(1) Le candidat qui a remis sa profession de foi au directeur d'un journal pour la publier ne peut être admis à répondre aux critiques mesurées et sérieuses qui ont suivi la publication de ce document.

Douai, 28 janvier 1878.

Lorsque dans l'animation d'une période électorale une fausse nouvelle a uniquement visé le demandeur candidat, au point de vue de ses tendances politiques et économiques, s'il n'y a pas de préjudice possible, l'action doit être écartée. Riom, 27 avril 1891. Sur le délit de fausse nouvelle, V. no 244.

En matière de polémique électorale il faut décider, en effet, comme nous l'indiquons en matière de diffamation. V. no 288.

Cpr. C., 10 novembre 1876, 31 décembre 1863. Angers, 40 avril 1878. Montpellier, 5 février 1878. C., 7 juin 1878, 2 août 1878. Besançon, 2 avril 1881. Alger, 2 janvier 1879. C.. 11 janvier 1883. Rouen, 13 février 1886. Alger, 30 janvier 1890.

(2) Sur la jurisprudence du Conseil d'Etat, V. arrêts des 23 mars 1893, 24 février 1893, 14 décembre 1895, 20 décembre 1895, 18 juillet 1896, etc., et sur les troubles en matière électorale. V. no 363, infrà.

(3) Bourges, 14 janvier 1879. Voir sur la question: Dissertation de Labbé. S. 77, 2, 281. P. 77, 1144. V. no 288.

(4) La responsabilité civile de l'imprimeur est traitée complètement, Suprà, tome I, p. 117.

(5) V. nos 236 et ss.

exercée par eux, par application de l'article 1382 du Code civil (1). Aussi, la publication, par exemple, d'une lettre qu'on attribue mensongèrement à une personne, dans l'intention de lui nuire auprès d'un tiers, si elle n'a pas eu pour résultat de troubler la paix publique, et si la lettre supposée ne contient ni expression injurieuse, ni allégation de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de celui à qui on l'attribue ne constitue pas une infraction prévue par la loi sur la presse, mais simplement un quasi-délit (2).

Tous les modes de fausse nouvelle, dommageables, sont par conséquent régis par les articles 1382, 1383 (3).

(1) M. Lisbonne a dit expressément dans son rapport :

« Quand la fausse nouvelle se renferme dans la limite des intérêts privés, si elle cause un préjudice, elle peut donner lieu à des réparations civiles. Notre projet de loi laisse alors le fait, dans le domaine de la législation qui règle ces sortes de réparations: les articles 1149, 1150, 1151 et 1382 du Code civil ». Cpr. Chassan, t. I, p. 437.

Quatre circonstances sont nécessaires (v. no 236) pour caractériser le délit de l'article 27: 1° la publication ou la reproduction publique; 2o la falsification ou l'attribution mensongère; 3o la mauvaise foi; 4° le trouble à la paix publique. Au contraire pour le délit civil l'intention, pour le quasi-délit, une simple imprudence suffisent.

La loi de 1881 sur la presse ne punissant la fausse nouvelle que si elle est de nature à troubler la paix publique, lorsque, comme dans l'espèce, elle ne lèse que des intérêts privés, elle ne peut donner lieu qu'à des réparations civiles, et, en conséquence, le tribunal correctionnel est incompétent. Amiens, 23 juin 1892. (Masson e. Gervoise).

(2) C (requêtes), 13 février 1899. Conformément à cet arrêt il a été jugé que le fait d'écrire et de signer faussement du nom d'un tiers, une lettre dans laquelle le signataire s'accuse d'actes de nature à porter atteinte à son honneur ou à sa délicatesse peut bien constituer vis-à-vis de ce tiers un délit de diffamation, une contravention d'injures non publiques, mais ce fait peut être envisagé simplement comme un quasi-délit dont l'auteur est responsable dans les limites du droit commun. Nimes, 22 janvier 1895, Fuzier-Herman (Rép. Vo Diffamation, no79). V. Trib. du Puy, tre chambre, 31 décembre 1895.

(3) Le fait de dire faussement qu'un individu s'est pendu constitue une fausse nouvelle. Amiens, 23 juin 1892.

Un journal, qui publie, même de bonne foi, une nouvelle inexacte, de nature à porter atteinte à la personne désignée, commet ainsi, par son imprudence, une faute qui engage sa responsabilité par application de l'art. 1382 C. civ. Paris, 3 février 1888. Dans cette espèce, on prétendait qu'un individu était devenu fou. La publication de nouvelles inexactes sur l'état mental d'un commerçant, est un acte dommageable pour ce commerçant, en ce qu'il peut porter une grave atteinte à son crédit. Paris, 7 avril 1898.

En admettant que la presse puisse servir utilement et légitimement les intérêts du commerce national en invitant les citoyens à s'adresser de préférence à des commerçants et à des industriels de même nationalité, elle cesse d'exercer un droit et commet même une faute dont elle doit supporter la responsabilité, lorsque, témérairement et sans aucune rectification, elle signale comme étrangers des citoyens français. En conséquence, la qualification d'allemand donnée à un commerçant, dans un article de journal, peut donner ouverture à l'action en dom

Dans ces derniers temps, des industriels ont imaginé de créer des journaux dans lesquels ils publient, sous des signatures mensongères, des articles en contradiction avec le talent, les idées, les opinions de leurs auteurs supposés (1). De pareils procédés sont justiciables de nos articles.

214. Fonctionnaires publics. Citoyens chargés d'un service public. — Lorsqu'il s'agit des actes de dépositaires ou agents de l'autorité publique, de personnes ayant agi dans un caractère public, le droit de discussion des journaux est entier quant à ces personnes publiques (2).

mages-intérêts de l'art. 1382, ladite qualification étant de nature à lui nuire dans ses intérêts commerciaux. Trib. de la Seine (2o chambre), 25 février 1893. Paris, 26 janvier 1894.

D'un autre côté, jugé que ne peuvent engager la responsabilité d'un journal des articles financiers qui, sans relater des faits mensongers et sans publier de pièces altérées, contiennent seulement, relativement aux valeurs recommandées, l'indication d'espérances plus ou moins certaines, d'appréciations plus ou moins discutables, qu'il est loisible au lecteur de repousser ou d'adopter. Paris (100 ch.), 17 novembre 1892.

(1) Tantôt ce sont des vers burlesques attribués à un poète, une plaidoirie quelque peu grotesque mise sur le compte d'un avocat de mérite. Ou bien on prête à un homme politique ou à un candidat des déclarations et des correspondances singulières, ridiculisant leurs programmes, etc., etc. Un auteur dramatique voit éditer une pièce dont la paternité, peu enviable, lui est audacieusement conférée.

On ne peut pas, dans la généralité des cas, considérer que la publication ou la reproduction constitue une diffamation. Il arrive sans doute parfois que l'écrit, par son caractère, est diffamatoire ou injurieux; mais, le plus souvent aussi, il ne pourra pas être entrepris sous ce rapport.

Tel est l'avis de M. Chassan (t. I. p. 437): « Cette question a été résolue négativement, en Angleterre, par la cour du banc du roi »,

De Grattier, t. I, p. 185.

M. Grellet-Dumazeau (t. I. n° 11) est d'un avis contraire: «En principe, la supposition d'un ouvrage quelconque, sous le nom d'autrui, peut constituer un fait diffamatoire, sauf au juge à apprécier d'une part, l'intention de l'inculpé comme élément substantiel du délit, et d'autre part, les circonstances de la cause comme moyen d'atténuation »>.

Mais quoi qu'il en soit, il existe toujours un délit civil ou un quasi-délit. Quid d'un auteur, qui d'ailleurs, conservant son nom intact dans la vie privée publie son journal ou ses ouvrages sous un pseudonyme qui se trouve être le nom véritable d'une personne, ou sous le nom d'une personne ? Celle-ci peut avoir intérêt à ce que les doctrines émises sous un nom pareil au sien ne lui soient pas attribuées et imputées. Elle est autorisée à demander et à obtenir des mesures pour prévenir toute confusion, notamment la défense d'employer le pseudonyme susceptible d'engendrer une méprise. Cpr. no 168.

V, Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, 1869, p. 143. Note de M. Labbé, Palais, 1884, p. 428 et ss. in fine. Trib. de la Seine, 30 mars 1882.

(2) Ne saurait constituer un acte abusif ou illicite pouvant donner ouverture à une

Elles ne sont protégées par la loi, en ce qui touche leur vie publique, que contre les seules erreurs de fait, dont elles peuvent demander la rectification (1) et contre la diffamation et l'injure, mais la preuve de la vérité des faits diffamatoires affranchit l'écrivain de toute responsabilité civile ou pénale.

Toutefois, lorsque les faits imputés ne constituent ni diffamation, ni injure publique, l'action civile séparée, ordinaire, est ouverte. De plus les fonctionnaires, dépositaires de l'autorité publique, etc., sont, pour leur vie privée, assimilés aux autres citoyens. Ils peuvent donc. agir, sous cet aspect, au moyen des articles 1382, 1383 (2).

215. Grèves et coalitions. Syndicats ouvriers. Immixtion des tiers. a) Occupons-nous, d'abord, des actes des ouvriers eux-mêmes. Ils ont, depuis l'abrogation de l'article 416 du Code pénal, la liberté d'organiser la coalition qui sert à appuyer la liberté de la grève. Ainsi, ils peuvent constituer un comité directeur, nommer des délégués, créer un fonds de secours, une caisse de chômage, l'alimenter pendant toute la durée de la coalition par dons, souscriptions (3).

Il leur est licite aussi, de préconiser la grève, de la soutenir par la propagande, soit dans des conférences, soit dans les journaux, etc. Mais si les menaces de grève adressées, sans violences ni manœuvres frauduleuses, par des ouvriers à leur patron, en suite d'un plan concerté, sont licites lorsqu'elles ont pour objet la défense d'intérêts professionnels, néanmoins, elles peuvent constituer une faute (obligeant ceux qui l'ont commise à la réparer), quand, inspirées par un pur

action en dommages-intérêts, le fait par un évêque de publier, dans le journal La Semaine religieuse du diocèse, la sentence prononcée contre un prêtre qui n'a tenu aucun compte de la peine canonique qui l'a frappé, peine qu'il a été, dès lors nécessaire, pour la rendre efficace, de porter à la connaissance des prêtres du diocèse.

Le gérant du journal qui, agissant comme préposé de l'évêque, publie la note qui lui est remise par celui-ci sans l'accompagner d'aucun commentaire constituant une œuvre personnelle et spontanée, n'encourt de ce chef aucune responsabilité.

Nancy, 9 novembre 1894.

(1) V. 181 et ss.

(2) V. nos 305 à 310 et les renvois.

(3) V. n 373.

Viole la loi l'arrêt qui, pour repousser, une telle demande, s'appuie sur ce seul motif que l'instigateur des menaces n'a fait qu'user d'un droit absolu sans rechercher si celui-ci n'a poursuivi qu'un intérêt professionnel ou au contraire n'a obéi, qu'à un sentiment de malveillance injustifiée. Civ. C., 9 juin 1896.

La Cour de Lyon (2 chambre) a décidé, le 2 août 1895, que le fait par des employés d'usine, de prêter la main à la grève des ouvriers justifie leur renvoi

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