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M. Maigne, à la Chambre, en 1884, a dit : « Qu'est-ce que le cri sédi<< tieux sous la Restauration? C'est Vive la République ! vive l'Em<< pereur! » Et sous la Monarchie de Juillet? C'est « Vive la République Vive l'Empereur! Vive le drapeau blanc ! » Continuons << et arrivons au second Empire; nous trouvons que, cette fois, le cri << de « Vive l'Empereur! n'est pas séditieux, mais les cris de « Vive « le Roi ! » et « Vive la République ! » sont des cris séditieux. Sous la « Restauration, c'est « le drapeau tricolore » qui est séditieux; sous « la Monarchie de Juillet, c'est le « drapeau blanc » (1).

(

Le sens des mots : « cris et chants séditieux» est très général, et il ne sera pas nécessaire qu'il y ait eu désordre ou troubles. Ce sera au jury qu'il appartiendra d'apprécier. Le cri séditieux est habituellement celui qui a pour but, qui peut avoir pour résultat d'occasionner une sédition, c'est-à-dire une atteinte sérieuse à la paix publique. Il a pour but ou effet, de provoquer implicitement, soit au rétablissement d'un des anciens régimes, soit au renversement de la République ou des pouvoirs qu'elle a institués, et à l'institution de nouveaux pouvoirs (2).

(1) Il serait pourtant utile a dit M. Maigne de sortir de ce vague..... quelle définition adopter ?.., On m'a fait observer d'un côté que, si je renfermais dans ces mots << renversement de la République » ou « rétablissement de la monarchie », le caractère délictueux des actes mentionnés dans cette loi, je ne couvrirai peut-être pas assez la République elle-même; que je laisserai trop à découvert, peut-être les grands pouvoirs qui constituent son gouvernement. J'ai répondu à cette objection en ajoutant « Et les pouvoirs constitués quelle a institués ». Ces pouvoirs... ne sont pas seulement le pouvoir exécutif, c'est aussi la Chambre et le Sénat, aussi bien que le président de la République.

D'autres ont pensé qu'il y avait une certaine obscurité dans les mots « emblèmes et symboles ». Le symbole de la royauté légitime est ou a été le drapeau blanc. Nous avons avec les fleurs de lis et les cris de « Vive le Roi!» l'embleme de cette royauté. Le drapeau tricolore devient l'emblème du bonapartisme lorsqu'on y ajoute l'aigle et le cri de « Vive l'Empereur ! » De même, si le drapeau tricolore porte un coq, avec ce cri de « Vive le Roi ! » c'est l'emblème de la royauté de Louis-Philippe ou de Philippe VII. Il y a des emblèmes séditieux fort inoffensifs, mais aussi d'autres qui le sont moins, comme ceux qu'on étalait à Challans et à Fonteclose, alors qu'on faisait appel aux souvenirs de la guerre civile d'autrefois, pour exciter à une guerre civile nouvelle ».

(2) Ainsi le eri de « Vive la République sociale ! » est séditieux. M. Odilon Barrot, ministre de la justice, disait dans une circulaire du 22 juin 1849 (voir Moniteur du 23) que ce cri, devenu le signal et le symbole de la guerre civile, ne saurait rester impuni.

V. Paris, 18 août 1849 (P.. 49, 2, 432) Vive Napoléon, C., 2 décembre 1880, 11

mars 1881.

De même le cri de « Vive la Commune, etc., etc. Vive le roi ! A bas la République !... » « » « A bas la Chambre des députés » C., 26 avril 1877.

A la Chambre des députés, M. Gatineau a vivement critiqué l'absence de défini

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Ainsi aujourd'hui, et quoique la loi sur la presse ne contienne pas d'incrimination spéciale pour les écrits, imprimés et discours séditieux, puisqu'elle ne parle que des cris et chants, il est certain que les affiches, écrits séditieux publiés, comme les discours séditieux proférés dans des lieux ou réunions publics, sont réprimés par l'article 24, § 1er, de notre loi, lorsqu'ils provoquent directement, sans résultat, aux crimes contre la sûreté de l'Etat, notamment au crime de sédition prévu par les articles 91 et suivants du Code pénal. Si les provocations adressées par des discours, écrits, affiches séditieux, étaient suivies d'effet, l'article 23 serait applicable (1).

Revenons aux cris et chants. Il ne faut pas confondre le « cri » qui

tion: « le texte actuel n'indique pas,ne décrit pas,de telle sorte que le eri séditieux, qui est un protée, je le reconnais, échappant à l'analyse et à la description, sera le délit le plus vague du monde. L'histoire nous montre que le cri qui est séditieux à certains moments devient louable à une autre époque, et que le cri qui aura été inoffensif à une date, deviendra plus tard séditieux, c'est-à-dire dangereux... Il y a quelques années, n'avons-nous pas vu condamner comme cris séditieux, sous la République, le cri de : « Vive la République ! » N'avons-nous pas vu pourchasser, comme cri séditieux, à presque toutes les époques de notre histoire, le cri de « Vive la liberté ! » N'avons-nous pas vu, selon les dates et les gouvernements, le cri changer de nature, et être tantôt exécrable et exécré et tantôt louable ?..... C'était un cri sêditieux, sous la Restauration, de dire dans les danses du village: En avant deux ! » C'était se prononcer pour Napoléon II; et si le ménétrier, au lieu de crier aux danseurs : « Balancez 8 » disait : « Balancez 18 », c'était un ennemi du roi et de la dynastie. Nous avons eu à plaider, avant la guerre d'Italie, pour défendre des gens coupables de cris séditieux, pour avoir crié: «Vive Garibaldi ! » A l'époque de la guerre d'Italie, au contraire, c'étaient les agents de police qui donnaient le signal du eri : « Vive Garibaldi ! » sous la même administration! Crémieux a eu un jour à défendre des prévenus, coupables d'avoir chanté « la Marseillaise ». Crémieux, avec son talent inimitable, ne chanta pas la Marseillaise, il la lut, et tout l'auditoire d'écouter et d'applaudir. Savez-vous quel jugement répondit à cette démonstration dont le sentiment avait été partagé par les juges eux-mêmes? Un jugement qui déclare qu'il faut tenir compte, dans l'appréciation du cri séditieux, non pas du eri lui-même, mais de l'attitude de celui qui le prononce ».

Cet orateur s'est aussi appliqué à combattre le principe même de l'article : « Le cri séditieux en lui-même, qui n'entraîne aucune espèce de conséquence, ne doit pas être considéré comme un désodre social suffisant pour mériter une répression pénale. En le maintenant comme délit, c'est forcer la police à une intervention presque toujours fàcheuse. En somme, je demande que vous laissiez à chacun la liberté de faire connaitre son opinion, même par des exclamations ou par des cris désagréables ».

Il ne faut pas confondre les cris proférés contre certains corps constitués ou contre les agents de l'autorité, avec les cris séditieux. Articles 222 et ss. du Code pénal, 30, 33 de la loi de Presse.

(1) Alger, 13 août 1881 s, C., 29 septembre 1881. Cpr. Chassan. t. I, no 63. Parant, p. 70.

Les écrits, imprimés, discours séditieux, doivent être publiés ou publics (article 23; ainsi, il est évident que les discours séditieux, tenus dans un cabaret, mais dans un corridor écarté, et avec le secret d'une confidence faite à une ou deux

tient dans une forme laconique, avec un discours (1). Il en est de même pour le chant qui suppose la reproduction d'une chanson. Toutefois, il n'est pas nécessaire que la chanson soit composée d'avance. Elle peut être improvisée.

Ce serait dénaturer aussi la portée de la loi, que de transformer un cri séditieux, en un simple tapage (2). Il en est de même des chants et ceci a un grand intérêt, en ce qui touche la propagande anarchiste (3).

personnes seulement, n'ont pas le caractère de publicité prévu par l'article 23, et dès lors ne constituent ni crime ni délit.

Cpr. C., 1er février 1821.

De plus, quelque séditieuses que soient les pensées exprimées dans un discours elles ne peuvent être atteintes, en tant que discours, que s'il y a provocation. Mais on pourrait les réprimer avec l'article 24, § 3, à titre de eris séditieux.

Nous devons signaler une observation qui fut présentée, en première lecture par M. Cunéo d'Ornano. Elle servira à préciser la portée de la disposition de l'article 24, § 2:

« Je demande, a dit M. Cunéo d'Ornano, la suppression pure et simple du paragraphe 2. Si le cri séditieux est un véritable appel à la sédition, il rentre alors dans les dispositions générales que vous avez maintenues en matière de provocation (art. 23 et 24). »

Au cas de déclaration d'état de siège, la juridiction militaire est compétente pour les propos séditieux antérieurs à l'état de siège, bien qu'ils ne se rattachent pas aux crimes qui ont motivé l'état de siège, car ils sont un des éléments de désordre qui l'ont déterminé. C. 12 oct. 1848, 12 juillet 1850. V. T.., I, p. 356.

(1) V. Introduction, p. 2. Voici ce qu'a dit, en 1887, le garde des sceaux, M. Martin-Feuillée Peut-on assimiler à un discours, à un écrit, en un mot à un délit de presse, le fait de proférer dans la rue, sur la voie publique, le cri de « Vive le Roi ! » ou de « Vive l'Empereur! » ou le fait de promener sur la voie publique un drapeau blane, rouge ou noir ?... Si l'on examine la nature des choses, il me paraît évident que c'est là purement et simplement un désordre matériel; c'est une action plus ou moins violente, c'est une véritable voie de fait....... Quand il s'agit de délits de la nature de ceux que nous discutons, il faut, pour être efficace que la répression soit rapide... Or, vous savez qu'en province, les Cours d'assises siègent tous les trois mois. Je demande s'il est possible de poursuivre devant la Cour d'assises un des faits dont je parle, après un certain délai ! ».

(2) Le eri séditieux ne peut jamais rentrer dans les prévisions de l'article 479 du Code pénal. C., 6 février 1886, 6 mars 1886, 31 décembre 1896,3 mars 1900. Il en est ainsi du cri de « Vive l'Empereur » « A bas Loubet ». (Mais ce dernier eri, proféré en présence du Président est un outrage, article 222 C. pénal). Lorsque les cris séditieux et le tapage injurieux ou nocturne présentent un ensemble indivisible, le juge de police est incompétent sur le tout.

(3) La loi du 12 décembre 1893 relative à l'anarchie n'a pas touché au 2e alinéa de l'ancien article 24 qui est aujourd'hui devenu le paragraphe k.

M. Guérin, garde des sceaux, l'a déclaré à tribune de la Chambre des députés, en ces termes : « M. Maurice Faure me demande si les cris et chants séditieux sont visés par la présente loi. Je lui réponds : Non ! parce que les cris et chants séditieux étaient compris dans le paragraphe 2 de la loi du 29 juillet 1881.et que la loi du 12 décembre 1893, à laquelle nous nous référons, n'a visé et modifié que le paragraphe 1er de l'article 24 de la loi de 1881.

Le cri, le chant qui renferment une apologie tombent sous le coup de l'article 24, § 3 (1).

Le délit de cris et chants séditieux suppose: 1° l'existence de cris ou chants ayant un caractère séditieux ; 2o proférés publiquement (2); 3o avec une intention coupable.

Nous n'avons pas à revenir sur les règles de l'imputabilité (3). La peine est de six jours à un mois et d'une amende de 16 à 500 francs ou de l'une de ces peines seulement; la Cour d assises est compétente.

Au reste, la répression n'est qu'apparente lorsqu'il s'agit d'un délit justiciable de la Cour d'assises. L'infraction n'étant, en somme, qu'un délit de droit commun, il aurait fallu le déférer à la police correctionnelle.

Nous n'hésitons pas à dire que la législation, en notre matière, offre de graves lacunes.

218 bis. Il n'est pas suffisant, en effet, de réprimer de simples cris et chants séditieux, on aurait dû s'attaquer à des actes plus graves.

La législation est encore incomplète. C'est aux placards séditieux, à la dégradation, à l'enlèvement des signes de l'autorité, qu'il faudrait s'attaquer. On y a songé, il est vrai, mais le projet de loi n'a pas abouti (4).

(1) Il en est de même des cris anarchistes, des chansons anarchistes, non proférés publiquement, article 2 de la loi du 18 juillet 1894. V. infrà, p. 293. (2) V. nos 36, 54, 55, 56.

(3) V. n 51, 52.

(4) En 1884, un projet de loi avait été présenté par M. Waldeck-Rousseau. M. Dussolier, rapporteur de la commission chargée d'examiner ce projet de loi, s'est exprimé ainsi dans son rapport : « Si notre démocratie a la passion de la liberté, elle a l'amour réfléchi de l'ordre. Elle sent bien, d'ailleurs, qu'ordre et liberté sont étroitement solidaires; que l'ordre en péril, ce n'est pas seulement l'industrie inquiète, le travail menacé, l'activité commerciale ralentie, mais la liberté directement atteinte.

« Les libertés de presse et de réunion jalousement sauvegardées; mais aussi la légalité républicaine respectée et l'ordre dans la rue assuré :

« Voilà ce que la nation veut, voilà ce qu'elle demande.

<< Les dispositions, que nous proposons d'édicter relativement aux cris séditieux, à la dégradation des signes de l'autorité, aux placards, n'intéressent pas plus la liberté de la presse que les attroupements ne constituent la liberté de réunion. Il importe de faire cesser la confusion qui s'est trop souvent introduite entre les manifestations de la rue et l'expression de la pensée par le journal ou par le livre; et l'habitude d'envelopper dans les mêmes lois des objets aussi différents, n'a pas été sans influence sur les vicissitudes subies par la législation de la presse.

« Qu'il n'y ait rien de commun entre la presse et les cris séditieux, le port de certains emblèmes, les attroupements concertés sur la voie publique, cela paraît être de toute évidence. Nous ne croyons pas qu'il y ait plus de relations entre le journal et le placard. Le journal est, comme le livre, un écrit offert aux acheteurs,

Il existait autrefois un délit, fort justifié, celui d'enlèvement ou de la dégradation des signes publics de l'autorité du gouvernement républicain. Il était prévu par le décret des 11-12 août 1848, article 6, no 1 (abrogé par la loi du 29 juillet 1881). La Commission de la Chambre saisie du projet de loi de 1884, s'était demandé ce qu'il fallait entendre par « emblèmes ou symboles séditieux », et elle avait songé à dresser une liste même de ces emblèmes et à cataloguer, pour ainsi dire, les cas où l'action publique devrait s'exercer. Dans son projet, on revenait au décret des 11-12 août 1848. Malheureusement, nous le répétons, on n'a pas abouti (1).

En l'absence, aujourd'hui, de toute disposition législative sur les drapeaux et emblèmes, les préfets (préfets de police à Paris et préfet

que le public ignore ou connaît suivant qu'il l'achète et qu'il l'ouvre. Le placard, l'affiche, frappent les yeux, s'imposent violemment à l'attention...

« Enfin, et par dessus tout, le placard s'empare de la voie publique ; il en compromet la liberté en provoquant les attroupements ; il relève, non de la législation sur la presse, mais de la police des rues, au même titre que les cris et les proclamations sur la voie publique, au même titre que les réunions en plein air, au même titre que toutes les manifestations extérieures quelles qu'elles soient et par quelque procédé qu'elles se produisent ».

Dans une proposition de loi déposée au Sénat, le 17 juin 1900, M. Joseph Fabre a dit :

« C'est un paradoxe que de vouloir traiter comme délit d'opinion les vociférations perturbatrices de l'ordre public et violemment agressives contre le gouvernement établi.

Les cris et chants séditieux ne sont pas une forme de la discussion, mais une forme de la révolte.

« Ces délits demandent à être punis aussitôt que commis, et ils doivent l'être par la police correctionnelle.

« Les déférer au jury, c'est les destiner à l'impunité. »

(1) M. Gatineau a combattu tout retour à cet article : « Je suis d'avis a-t-il dit, que l'enlèvement ou la dégradation dont parle l'article est un délit punissable. Je ne diffère done pas, quant à l'appréciation des faits, de la Commission ou du gouvernement. Mais je crois que l'article 257 du Code pénal prévoit le cas d'une façon très suffisante »>,

M. Goblet a appuyé cette théorie.

Et cependant le rapporteur s'était efforcé d'eviter toute incrimination trop arbitraire.

« Ce qu'il importe, en effet, de punir, disait-il, c'est l'affichage de placards ou l'exhibition de symboles, d'emblèmes ou signes, susceptibles d'entraîner les foules, de rallier les hommes de désordre et de violence: tels le drapeau rouge et le drapeau blanc. Des symboles, des emblèmes qui ne sont ni des drapeaux, ni des bannières, peuvent évidemment servir d'excitation ou d'enseigne à l'émeute: par exemple, des écriteaux avec l'inscription « Vive le Roi » ou « Vive l'Empereur » ! qu'on promènerait par les rues et les places publiques, sans compter nombre d'autres signes qu'il est impossible d'énumérer parce qu'il est impossible de les prévoir. Force a donc été de revenir et de se tenir à la dénomination générale « d'emblèmes », non sans déclarer formellement, avec la raison, avec le bon

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