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ARTICLE 14 DES LOIS DE 1881 ET 1895.

La circulation en France des journaux ou écrits périodiques publiés à l'étranger ne pourra être interdite que par une décision spéciale délibérée en conseil des ministres.

La circulation d'un numéro peut être interdite par une décision spéciale du ministre de l'intérieur.

La mise en vente ou la distribution faite sciemment, au mépris de l'interdiction, sera punie d'une amende de 50 francs à 500 francs.

L'article 14 est applicable aux journaux publiés en France, en langue étrangère.

(Loi du 22 juillet 1895.)

L'article 14 vise non seulement les journaux politiques ou d'économie sociale, mais encore tous les écrits périodiques, quelle qu'en soit la nature, publiés à l'étranger, ou en France, en langue étrangère (1).

Pour que la circulation, en France, des feuilles étrangères publiées à l'étranger soit interdite, il faut une décision spéciale, délibérée en conseil des ministres. C'est là une garantie considérable de l'indépendance de la presse étrangère (2).

(1) A la différence du législateur de 1852, qui imposait aux journaux étrangers l'autorisation préalable d'admission en France, le législateur de 1881 a proclamé la franchise absolue de l'entrée et de la circulation des écrits périodiques étrangers. Ceux-ci n'ont plus rien à solliciter. Si le gouvernement veut les arrêter à la frontière, il faudra, pour l'interdiction d'un seul numéro, une décision spéciale du ministre de l'intérieur, et pour l'interdiction totale ou partielle, une décision spéciale délibérée en conseil des ministres. Les deux mesures, étant d'inégale importance, ont été entourées de garanties inégales.

(2) Le paragraphe 1o de notre article est la reproduction d'un amendement de M. Goblet, présenté en seconde lecture. Adopté par la Commission, soutenu en son nom par un de ses membres, M. Lelièvre, combattu par M. Floquet, il a été voté par la Chambre des députés à une faible majorité. Le Sénat l'a accueilli sans discussion.

Il est clair qu'il ne peut être question de l'avis conforme de tous les ministres: la décision peut être prise à la majorité, comme cela est de règle dans les délibérations.

Des explications de M. Goblet, il résulte que le paragraphe 1er de l'article 14 s'applique, aussi bien quand il s'agira d'arrêter définitivement un journal, que d'interdire seulement quelques numéros.

Dans le projet primitif de la Commission, il était dit que « l'interdiction spéciale de la part du gouvernement serait portée à la connaissance du public par

On s'est demandé si l'interdiction pouvait être déclarée pour un certain délai seulement, ou bien d'une façon absolue, sans qu'il fût possible de rétracter la décision prohibitive.

Le bon sens et la raison indiquent que le conseil des ministres peut limiter la durée de la défense ou rétracter sa décision (1).

S'il s'agit de l'interdiction s'appliquant à un seul numéro, une décision spéciale du ministre de l'intérieur suffira.

Le droit du ministre de l'intérieur étant restreint à l'interdiction d'un numéro, ce haut fonctionnaire ne pourrait, sans excès de pouvoirs et sans s'exposer à une responsabilité civile pour fait personnel, arrêter chaque numéro, successivement, par interdiction spéciale. Il empiéterait sur la prérogative qui appartient au conseil des ministres de prohiber partiellement, ou complètement, l'entrée de la feuille étrangère et violerait la loi (2).

Le dernier paragraphe de notre article a été ajouté par une loi du 22 juillet 1895, à la suite du scandale causé par la publication à Nice, en langue italienne, d'un journal, appelé il Pensiero di Nizza, avec ce sous titre « organe séparatiste » (3).

La mise en vente ou la distribution faites sciemment, au mépris de l'interdiction, sera punie d'une amende de 50 à 500 francs.

Les mots « faits sciemment » indiquent qu'il faudra prouver que le

arrêté du ministre de l'intérieur inséré au Journal officiel ». Cette prescription ne se trouve pas reproduite, mais dans la pratiq elle sera toujours accomplie.

Les craintes que l'on émettait de voir le gouvernement abuser du droit d'interdiction ne se sont pas réalisées. La responsabilité parlementaire est, en effet, un sûr garant de sa modération. C'est au cours du Boulangisme et de l'affaire Dreyfus qu'ont eu lieu les principales interdictions.

(1) V. Observations de M. Goblet à la Chambre. Rapport de M. Pelletan au Sénat. p. 12. Dutruc, no95. Faivre et Benoit Lévy, p. 75. Contrà, Celliez et Le Senne P, 115.

(2) V. no 91, 93, 198, 199.

Cpr. C., 10 décembre 1879. C., 4 août 1880.

Tribunal des conflits, 3 août 1881, 19 novembre 1881.

V. Bazille et Constant, no 78. Dutruc, n° 95. Contrà, Celliez et Le Senne, p. 114.

(3) Il n'existe pas de loi pour empêcher les étrangers de prêcher en France, la haine de la France. La loi du 22 juillet 1895 a un peu remédié à cet état de cho

ses.

Mais il va de soi que les journaux étrangers lorsqu'ils sont publiés en France, en français sont soumis à toutes nos lois. Quant à ceux édités au dehors, ce n'est que par exception que les tribunaux français peuvent être saisis. Il n'en est ainsi que dans le cas où l'auteur d'un article diffamatoire contre un Français, publié dans un journal étranger distribué en France, habite notre territoire. Paris, 25 janvier 1867, article 5, Code d'instruction criminelle,

prévenu connaissait, au moment de la vente ou de la distribution, l'existence de l'arrêté ou de la décision d'interdiction (1).

L'envoi du journal par ballots ou colis, son expédition par la poste ou par tout autre mode de transport, équivalent à la publication et à la circulation, bien qu'il ne s'agisse que d'un exemplaire.

Notre article parlant de circulation et visant des faits de publication, faudra-t-il en conclure qu'une personne qui porterait sur elle, à l'entrée de la frontière, un numéro du journal interdit, ne sera pas considérée comme un propagateur de la publication, sauf le cas ultérieur de remise, par elle faite, de cet exemplaire? Pourrait-on lui enlever son journal ou la poursuivre? La question est fort délicate, et nous inclinons vers la négative (2).

Indépendamment de la sanction pénale de notre article, nous estimons qu'il existe un droit absolu de saisie administrative qui autorise, après l'interdiction, la mainmise sur tous les exemplaires expédiés, comme aussi leur suppression et leur destruction. Les règles de l'article 49 ne s'appliquent pas ici, et l'article 14, dans le sens qui nous occupe, est placé en dehors du droit commun de la presse (3).

(1) C'est le tribunal correctionnel qui est compétent (art. 45, § 2). Le terme « sciemment > implique qu'il s'agit d'un délit contraventionnel et non d'une contravention matérielle. Aussi la complicité de l'article 60 du Code pénal est-elle admissible, et ses règles auront pour effet d'étendre, à d'autres personnes que les distributeurs ou vendeurs la répression de l'article 14.

C'est ainsi que nous déciderions que tous les faits de participation à la distribution seront punissables. Cpr. C., 3 avril 1869.

Mais comment les distributeurs ou vendeurs auront-ils été informés de l'interdiction: comment le public la connaitra-t-il? La publication du Journal officiel n'est pas, nous l'avons dit, prescrite par la loi et au reste elle ne peut établir la connaissance légale.Personne n'est censé ignorer la loi,mais on peut ignorer l'arrêté ou la décision. Dans l'application, le pénalité de l'article 14 sera donc rarement encourue. Dans les villes cependant, l'interdiction étant portée par la police à la connaissance de tous les distributeurs ou colporteurs, ceux-ci, prévenus directement, ne pourront pas se soustraire à la répression.

(2) Sous l'Empire, il en était autrement. L'affirmative n'était pas douteuse. L'article 2 du décret de février 1852 punissait la simple introduction.

(3) Le gouvernement a donc le droit de fermer l'accès du territoire français, en saisissant à la poste. La faculté d'interdiction ne serait qu'une vaine formule, si pratiquement, on ne pouvait la réaliser.

V. n 113.

TITRE II

DE LA PRESSE PÉRIODIQUE FRANÇAISE

EN GÉNÉRAL

FONDATION, PROPRIÉTÉ, RÉDACTION DES JOURNAUX. DE LA GÉRANCE, DÉCLARATION ET DÉPOT. DE LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE. RESSOURCES DES JOURNAUX, ABONNEMENTS, ANNONCES, PUBLICITÉ, RESPONSABILITÉ DES ANNONCES ET DE LA PUBLICITÉ.

SECTION 1

Fondation, propriété, rédaction, gérance, déclaration et dépôt.

CHAPITRE PREMIER

FONDATION DES JOURNAUX, PROPRIÉTÉ ET RÉDACTION

ARTICLE 5 de la loi de 1881.

Tout journal ou écrit périodique peut être publié, sans autorisation préalable et sans dépôt de cautionnement, après la déclaration prescrite par l'article 7.

L'article 5 consacre l'abolition de toutes mesures préventives et la

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