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274. Qu'est-ce qu'un simple particulier? - Cette question présente le plus grand intérêt, parce qu'aucune preuve n'est admise en matière de diffamation envers les particuliers (sauf pour les sociétés financières) et que la compétence appartient aux tribunaux correctionnels et aux tribunaux civils.

Le particulier, latissimo sensu, est celui qui n'exerce aucun emploi ou dignité, qui n'est revêtu d'aucun caractère public conféré par l'autorité, l'élection, ou la loi; dont la mission ne se lie, en aucune façon, ni directement ni indirectement, à la politique ou aux intérêts généraux de la société (1).

On doit entendre par « particuliers », non seulement les personnes privées, mais encore les établissements, sociétés ou corps privés. Il en est ainsi des sociétés financières, commerciales et civiles, des syndicats professionnels, des corporations, réunions ou sociétés savantes, des Congrégations, des communautés religieuses reconnues, des caisses d'épargne, des comptoirs d'escompte, du Crédit Foncier; de la Banque de France, des loges maçonniques, etc. (2).

ficié le poids de soupçons nouveaux contre lesquels il est impuissant à se défendre ». Trib. civil de la Seine. 5 septembre 1895.

(1) Cpr. Chassan, t. II, p. 181. - Grellet-Dumazeau, t I, nos 309 et suiv.

Notre article 32, en parlant des particuliers, ne distingue pas entre les Français et les étrangers. Ainsi, la diffamation commise en France par un étranger envers un autre étranger peut être poursuivie en France. Un étranger peut aussi actionner un Français qui l'aura diffamé, mais alors, à moins d'un traité international, la caution judicatum solvi devra être fournie.

- Dalloz, vo Presse, no 1130.

Cpr. C., 22 juin 1826. De Grattier, t. I, p. 216.
Mangin, Traité de l'action publique, no 103 à 107.
Un consul étranger est un simple particulier. V. article 37. Paris, 28 juin

1883.

(2) Mais les êtres moraux que la loi a entendu protéger, sont ceux seulement qui constituent des personnes civiles, possédant, par conséquent, une certaine capacité juridique et la faculté d'ester en justice. Ainsi pour les congrégations religieuses autorisées, le supérieur a qualité pour poursuivre les diffamations ou injures dont elles sont l'objet. La communauté peut être atteinte par des imputations formulées contre un seul de ses membres. Bourges, 24 novembre 1881. Les congrégations non autorisées, étant inexistantes, aux yeux de la loi, n'ont aucune action; mais leurs membres, atteints personnellement, ou même indirectement. peuvent agir. Angers, 24 mars 1842. C., 29 janvier 1875. Décider autrement équivaudrait à dire que par cela seul qu'une association n'est pas autorisée, on peut impunément la diffamer. Cela est vrai sans doute in abstracto, mais indirectement on peut atteindre ceux qui la composent.

On a répondu : « Que les membres d'une congrégation non autorisée ne pouvaient avoir des droits qu'elle-même ne possédait pas; qu'ils n'avaient d'autre qualité à invoquer que celle de membres de ladite congrégation, qualité qui, légalement, n'existe pas davantage que la congrégation elle-même en tant que personne morale. Que, dès lors, ils étaient sans action. Sans doute, une association non autorisée, lorsqu'elle est diffamée dans son institution, se trouve désarmée devant la justice et ne peut demander la réparation du préjudice qui lui est causé.

Le fonctionnaire public et les diverses personnes énumérées dans l'article 31 sont des particuliers, lorsque les imputations diffamatoires dirigées contre eux sont relatives à leur vie privée (1).”

275. De l'action. Le ministère public ne peut poursuivre d'office (sauf en ce qui concerne les ministres) aucun délit de diffamation et d'injure publiques, sans distinction de corps ou de personnes (art. 47, $ 1, 2, 3; article 60, §§ 2 et 3) (2).

Mais cette situation fâcheuse est son fait; elle ne s'est point soumise aux lois qui régissent les associations, Il dépendait d'elle d'avoir dans le pays une situation régulière. Elle ne l'a point voulu; elle en subit les conséquences. Quand les membres d'une congrégation, même non autorisée, auront été pris individuellement à partie, ils pourront poursuivre leurs diffamateurs, cela va de soi, mais ils ne peuvent, en dehors de ce cas, se substituer à la congrégation, c'est-à-dire au néant.

<< Comment admettre, d'ailleurs, qu'on puisse invoquer en justice la qualité d'assomptionniste, quand la justice vient de décider que les assomptionnistes faisaient partie d'une association illicite de plus de vingt personnes et, par conséquent, délictueuse aux termes de l'article 291 du Code pénal. Ne serait-ce point, par voie indirecte, reconnaitre l'existence d'une association qui a été dissoute? ».

Cette argumentation est, à notre sentiment, paradoxale. On ne peut mettre, hors la loi, toute une catégorie de citoyens.

Par arrêt du 15 février 1901, la Chambre criminelle a cassé un arrêt de la cour de Rennes, rendu contre l'Avenir de Rennes au profit du père Bailly et de plusieurs assomptionnistes, dans une affaire de diffamation et injures publiques.

La cour suprême contrairement à ce qu'avait jugé la cour de Rennes, exerçant son droit de contrôle des diffamations et injures relevées par les plaignants, a décidé qu'elles ne visaient pas des personnes spéciales.

A la vérité, les articles incriminés constituaient des polémiques violentes contre les congrégations en général et la congrégation des Assomptionnistes en particulier, au point de vue philosophique et social. On pouvait même y relever des diffamations contre la congrégation des Assomptionnistes en particulier, mais ces diffamations visant une congrégation qui n'a point la personnalité civile ne sauraient être l'objet d'une poursuite de la part de cette congrégation, aucune personnalité spéciale n'ayant été désignée.

Quand il s'agit de sociétés ordinaires, l'action, pour les sociétés anonymes est exercée valablement par le directeur (C., 24 juillet 1854) et pour les sociétés civiles, par les membres de la Société, agissant en leur nom personnel.

En ce qui concerne les associations littéraires, scientifiques et autres, régulièrement autorisées, elles peuvent agir, bien qu'elles n'aient pas la personnalité civile, laquelle n'appartient qu'à celles qui ont été reconnues établissements d'utilité publique.

Les syndicats professionnels ont, de par la loi du 21 mars 1884, la personnalité civile.

Une société de fait composée de négociants appartenant à une profession déterminée ne peut poursuivre que les imputations individuelles. Trib. corr. de la Seine, 3 janvier 1868. V. no 105 et ss.

(1) M. de Serre exprimait cette idée : « La loi sépare soigneusement la vie privée de la vie publique du fonctionnaire; sa vie privée est mise à couvert; comme celle de tout citoyen, elle est impénétrable... ». (Moniteur Universel du 29 avril 1819, p. 529).

(2) V. n's 104 et ss.

Sur la plainte et le désistement nous nous sommes déjà expliqué (1).

276. La provocation rend entre particuliers la diffamation et l'injure excusables. Il n'en est pas de même pour les diffamations et les injures envers les corps et les personnes désignées par les articles 30 et 31.

277 De la preuve et du sursis. Le principe de la loi de 1881 est que les diffamations et injures contre les particuliers ne peuvent être prouvées (2).

Mais, aux termes de l'article 35, que nous avons déjà étudié, il peut ètre sursis au procès de diffamation lorsqu'il s'agit d'un fait délic tueux reproché et si ce fait est établi, l'acquittement doit s'ensuivre (3).

En ce qui concerne les imputations diffamatoires (ou la diffamation injurieuse) de faits retatifs aux fonctions, contre les corps et personnes énumérés dans les articles 30 et 31, comme aussi contre les directeurs et administrateurs de toute entreprise industrielle, commerciale ou financière faisant appel à l'épargne ou au crédit (art. 35, § 2), elles peuvent être prouvées. Si la preuve est rapportée, le prévenu sera renvoyé des fins de la plainte (4).

(1) V. nos 103 et 108.

(2) V. no 132. L'article 39 interdit de rendre compte des procès en diffamation dans lesquels la preuve n'est pas autorisée.

V. article 39.

(3) V. n° 133.

(4) V. no 134. C'est par une exception formelle de l'article 35, que la preuve dés faits diffamatoires, est autorisée contre les directeurs ou administrateurs des entreprises financières, industrielles ou commerciales faisant appel à l'épargne et au crédit.

CHAPITRE TROISIÈME

ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE LA DIFFAMATION

L'article 29, § 1er définit la diffamation: « L'allégation ou l'imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne, ou du corps auquel le fait est imputé » (1).

La diffamation comprend des éléments divers dont la réunion est nécessaire pour constituer le délit.

Indépendamment des règles générales que nous venons d'énoncer dans le chapitre premier, ces éléments sont :

1o L'imputation ou l'allégation; 2o d'un fait ou d'une chose déterminés, objet de l'imputation ou allégation; 3° s'adressant à une personne ou à un corps; 4o de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de cette personne ou de ce corps; 5o avec intention de nuire; 6o pouvant causer un préjudice ; 7o se produisant par publicité.

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278. L'imputation et l'allégation sont deux choses différentes (2). Imputer, c'est l'action d'attribuer à autrui une chose dont on lui reporte le mérite ou le démérite, l'éloge ou le blâme. Cette expression se prend le plus souvent en mauvaise part.

L'allégation ne présente pas, comme l'imputation, l'idée d'un

(1) Le texte de l'article 13 de la loi du 17 mai 1819, qui définit la diffamation et l'injure, a été reproduit purement et simplement par notre article 29.

(2) M. Courvoisier disait : « L'allégation c'est l'imputation d'un fait sur la foi d'autrui ou l'assertion qui se produit sous l'ombre du doute; l'imputation c'est l'affirmation personnelle de celui qui parle ou qui écrit ». C., 24 avril 1879.Gahier, de la Diffamation, p. 32.

reproche direct, d'une offense spontanée : c'est moins une proposition propre à celui qui l'émet, que la citation d'une autorité, que la propagation d'un ouï-dire, d'un bruit qui n'est ni prouvé ni contredit. L'allégation peut être aussi l'expression d'une opinion propre et personnelle à celui qui allègue, mais, alors elle est moins affirmative que l'imputation. Elle laisse à l'assertion l'ombre du doute.

L'imputation ou l'allégation peuvent être indirectes; en d'autres termes se produire par voie d'allusion, d'ironie ou d'antiphrase. La diffamation hypocrite est souvent la plus grave (1).

(1) C., 15 janvier 1869, 29 novembre 1872, 29 janvier 1875, 10 novembre 1876, 11 avril 1878, 24 avril 1879, 25 avril 1885, 6 avril 1895.

La forme conditionnelle ou hypothétique donnée aux incriminations ne peut être un moyen d'éluder la loi. Il n'y a pas à s'arrêter à la tournure du langage. Comme le dit M. Rousset (no 1620), « directe ou indirecte, interrogative ou par insinuation, hypocrite ou franche, nette ou dubitative, il suffit que l'allégation ou l'imputation se sente pour qu'elle soit. » Le simple soupçon suffit aussi.

La forme interrogative, ou dénégative importera peu. C., 24 avril 1879. Il en est de même d'un démenti.

Il appartient aux juges de dégager l'imputation des enveloppes souvent très habiles de sa manifestation. Le ton, le geste, l'attitude, la condition des parties, leurs rapports, seront autant de moyens de découvrir la vérité.

De Grattier, t. I, p. 182, 194. Chassan, t. I, no 490. Grellet-Dumazeau, t. I, n° 20.

Cpr. C., 24 avril 1879, 1er août 1879. Cpr., Paris, 9 juillet 1836.

La publication d'une anecdote véridique, même lorsque les faits rapportés sont matériellement vrais, est susceptible de devenir diffamatoire par la façon, dont ils sont présentés. Ainsi du récit, perfidement exposé, de l'aventure d'un abbé qui a été enfermé, par mégarde, dans un clocher, en même temps qu'une jeune fille.

Rennes, 15 juin 1881. C., 14 mars 1884. V. C,, 19 mai 1893.

Il en est ainsi du reproche, adressé à une personne, de n'avoir accepté la succession de son père que sous bénéfice d'inventaire, lorsqu'il est accompagné de réflexions blessantes, de rapprochements injurieux et d'interprétations malveillantes, qui dénaturent le caractère de l'acte et le représentent comme un manque de générosité et une méconnaissance des devoirs de piété filiale.

C., 14 janvier 1875.

C'est diffamer indirectement: un mari, en disant que le ruban qu'il porte à sa boutonnière est une faveur de sa femme qui, tel jour, l'obtint aprés un tête-àtête d'une heure avec tel grand personnage ?

Un père, en affirmant qu'il profite de l'argent que son fils mineur emprunte avec l'intention de se prévaloir de sa minorité pour repousser ses créanciers. Dalloz; v Presse, no 842. Chassan, t. I, no 491. Rousset, no 1749.

Le fait de présenter le diffamé, comme le personnage d'un roman: celui d'imputer frauduleusement un écrit, sont dans le même cas. V. infrà; intention de nuire, no 289.

Le ridicule déversé à l'aide de la satire, du paradoxe, d'équivoques, d'exagérations grotesques, de censures, de plaisanteries déplacées, de jeux d'esprit ou de dérision, peut-il être considéré comme une imputation ou une allégation ? Il est difficile de poser une thèse absolue, quoique les moralistes, en général (La Rochefoucauld, Fénelon, La Bruyère, Diderot), égalent le ridicule à la calomnie.

V. pour l'affirmative, Grellet-Dumazeau, t. I, no 92. V. pour la négative Chassan, t. II, p. 389.

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