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Pour que la provocation constitue l'excuse légale de l'article 33 de la loi du 29 juillet 1881, il faut qu'il y ait une relation directe entre cette provocation émanant de l'une des parties et les injures de l'autre partie.

Ainsi, une demande d'arbitrage formée par une partie, ne peut constituer une provocation de nature à motiver et excuser les épithètes de lâche et pleutre, par lesquelles l'autre partie répond à cette demande d'arbitrage. Il en est de même, à plus forte raison, d'une seconde lettre reproduisant les mêmes injures.

En admettant même l'existence d'une provocation, il est inadmissible que celui qui en aurait été l'objet, puisse indéfiniment accabler d'injures son adversaire qui garde le silence (1).

Le législateur de 1881 n'a pas entendu exiger l'absence de provocation comme une condition nécessaire à la constitution du délit d'injure publique envers les particuliers; il a seulement voulu, par assimilation avec les dispositions du Code pénal relatives à l'injure non publique, que la provocation, lorsqu'elle est établie, soit une excuse qui affranchit de toute peine l'auteur du délit Et de ce que la provo

La provocation peut ressortir de gestes (Carnot, sur l'art. 471, no 11, du Code pénal),

De la dénonciation adressée par le plaignant contre le prévenu, au supérieur de ce dernier; C., 26 mai 1853.

D'une contradiction ou d'un démenti. C. 3 juin 1881.

De même il appartient au juge du fait de décider souverainement que les mots « vous êtes un faux. Vous ne faites que des faux » ne constituent qu'un démenti opposé à une interpellation et ne doivent pas être considérés comme injurieux. C., 3 juin 1881. Cpr. C., 27 mai 1880.

Elle existe lorsque le plaignant a commencé à injurier lui-même l'inculpé, ou quand il a pris à son égard, dès l'abord, une attitude offensante. Tribunal de Corbeil, 26 octobre 1881.

Les expressions « A bas le masque » et «rénégat de la franc-maçonnerie », adressées (sur des affiches) par un candidat aux élections législatives à l'un de ses concurrents ne peuvent que, dans une mesure relative, excuser celles beaucoup plus graves de « faussaire », de « candidat de l'ile du Diable » et de « dreyfusard »>, employées par l'autre partie. Trib. corr. de la Seine (9 ch.), 18 mai 1898.

(1) Lyon, 28 juillet 1894.

De même ne peut constituer l'excuse de la provocation, le fait que la personne injuriée, aurait fait jouer sur un théâtre une pièce dans laquelle, suivant l'auteur, de l'injure, on aurait représenté son père dans un rôle odieux. Lyon, 13 août 1888. Toutefois, ceci parait être fort délicat.

La provocation peut être morale et résulter notamment du violent défi jeté à la conscience publique par un homme qui après s'être rendu coupable d'escroque ries envers les habitants d'une localité, s'adresse aux mêmes habitants pour les engager à verser de l'agent dans la caisse d'une société dont il est le délégué général, même si cette société prétend avoir un but philanthropique.Trib.de Chateau Thierry, 10 décembre 1897.

cation est une excuse, il résulte que c'est au prévenu, qui prétend en bénéficier, à l'invoquer et à en administrer la preuve; le juge ne peut, donc être tenu de se prononcer sur son existence ou son absence, qu'au tant qu'il est mis en demeure de le faire, par des conclusions dudit prévenu, et, en l'absence de ces conclusions, il peut légalement condamner ce dernier, comme coupable d'injures envers la partie civile, sans constater l'absence de provocation (1).

La loi n'ayant pas fixé l'intervalle qu'il devrait y avoir entre une provocation et les injures, pour que celles-ci fussent ou non excusables, il n'est pas nécessaire que l'injure ait suivi immédiatement la provocation (2).

En matière d'injures il appartient à la Cour de cassation de contrôler l'interprétation donnée par un arrêt aux écrits publiés, et d'en déterminer le sens et la portée non seulement dans les rapports avec la qualification légale d'injures, mais encore en ce qui concerne l'excuse tirée de ce que l'injure aurait été précédée de provocation (3).

Lorsque les injures ont été réciproques, sans que le juge puisse reconnaître celle des parties qui, sans provocation, a commencé à proférer des injures contre l'autre, il n'y a aucune peine à prononcer (4).

(1) C., 3 décembre 1897.

Les faits constituant une provocation doivent, d'ailleurs, être appréciés suivant les circonstances: ainsi dans une période d'élection, il n'est pas possible d'interdire aux citoyens d'apprécier les actes politiques des candidats, pourvu qu'on n'emploie pas contre eux d'expression injurieuse, et qu'on n'attaque pas leur vie privée. Lyon, 19 juillet 1894.

(2) C.. 18 août 1836, 4 mai 1889. Contrà. Chassan, t. I, p. 376. Grellet-Dumazeau, t. I, no 305.

(3) Lorsque des écrits injurieux ont été publiés, en réponse à une autre publication, la Cour de cassation a le droit de vérifier si cette publication était aussi injurieuse, afin de rechercher le fondement de l'excuse de provocation. C., 28 février 1890, 25 mai 1894.

En principe, si d'une manière générale, les décisions de cour d'appel sur le fait sont souveraines, le contrôle de la Cour de cassation sur le point de droit s'étend, en ce qui touche les délits de publicité par la voie de la presse à l'interprétation des écrits incriminés. Dans cette matière, il faut nécessairement comprendre, sous peine de rester illusoire, le droit d'examiner lesdits écrits, d'en vérifier le sens et la portée et d'apprécier; par suite, sauf la question d'intention et de bonne foi, la Cour de cassation détermine quelle qualification légale leur appartient. C., 16 février 1893. V. no 56.

(4) C., 1er septembre 1826. Faustin-Hélie. Code d'instruction criminelle, t. VII, p. 351. Cpr. Riom, 23 novembre 1852,

SECTION II

De la diffamation et de l'injure vis-à-vis des corps constitués, des administrations et des personnes autres que les simples particuliers.

Observations générales.

299. Les articles 30 et 31 de la loi de 1881 visent, le premier, des collectivités, des êtres moraux; le second, des individualités. A dire vrai, l'article 30 réprime de véritables délits d'opinion. En effet, en principe, les attaques générales, dirigées contre les magistrats ou la magistrature, contre les journalistes ou la presse, contre l'armée, etc., etc., ne constituent pas des diffamations ou injures.

L'armée, par exemple, forme non un corps particulier, mais une classe de citoyens. En 1822, Royer Collard disait : « Les classes n'ont pas besoin d'être défendues, en tant que classes, puisqu'elles n'existent pas ce sont des êtres de raison, de pures abstractions de nos esprits, qui ne tombent pas sous l'action de la loi, et qu'il est aussi impossible de protéger qu'il le serait de les punir ».

Ce n'est pas qu'à notre avis, l'armée en tant qu'être moral, n'ait droit à la protection. Seulement on doit être circonspect, dans la mise en exercice à son sujet de l'action de l'article 30 (1).

Mais si le législateur de 1881 a eu raison de tenir compte de la différence profonde qui sépare la diffamation de l'injure et de les distinguer, il a eu le tort grave, selon nous, de décider que l'injure envers les hommes publics, fonctionnaires, citoyens chargés d'un service et d'un mandat publics, à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, serait justiciable de la Cour d'assises (2).

(1) Cpr. Alger, 24 juillet 1873. C., 9 février 1877. V. no 225.

(2) M. Lisbonne l'avait bientôt compris et le 18 février 1889, une proposition de sa part, modifiant en ce sens l'article 45, avait été votée au Sénat. Cette proposition échoua à la Chambre malgré les efforts de M. Lisbonne.

C'est avec beaucoup de raison, que l'exposé des motifs de cette proposition

TOME II

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La diffamation, seule, devrait donc être justiciable de la Cour d'assises. Mais si, en cela, nous sommes d'accord avec MM. Lisbonne, Tra

compare à une voie de fait l'injure publique, imprimée et mise sous les yeux de tous. «Il y a là un acte brutal, attentatoire à la sécurité morale, comme la voie de fait compromet la sécurité matérielle : la liberté de la presse n'est pas plus en question, lorsqu'il s'agit de réprimer rapidement et sûrement cet attentat, que la liberté individuelle lorsque la loi punit les violences volontaires, car il n'est pas de liberté qui ne trouve sa limite dans le droit d'autrui; la liberté sans bornes, c'est le retour au droit du plus fort, c'est-à-dire à l'état sauvage.

« D'un autre côté, est-il possible de prétendre que les injures doivent rester impunies parce qu'au lieu de s'adresser à de simples particuliers, elles tendent à déshonorer des hommes revêtus d'une part plus ou moins grande de la puissance publique, et que des fonctionnaires, parce qu'ils représentent l'Etat, doivent être moins protégés dans leur honneur que de simples citoyens ? Au point de vue de l'équité, cette distinction est absolument inadmissible; au point de vue politique, elle conduit tout droit à l'anarchie,

«La législation actuelle aboutit d'ailleurs à d'étranges inconséquences. Qu'un ivrogne outrage un sergent de ville, il est arrêté, conduit au poste, puis traduit devant le tribunal correctionnel, qui lui inflige, séance tenante, quelques jours ou quelques semaines de prison; mais qu'un journaliste, calculant froidement dans le silence du cabinet la valeur et la portée de ses expressions, écrivant pour une feuille tirée à cent mille exemplaires, traite un fonctionnaire de l'Etat, un ministre, de Troppmann, de Papavoine ou de Lacenaire, il restera impuni : car, soumettre l'affaire à un jury, deux ou trois mois après, quand personne n'a plus souvenir de l'article, quand les événements se sont succédé et que le ministre outragé n'est plus ministre, n'est-ce pas courir au devant d'un acquittement, plus regrettable cent fois pour la personne lésée et pour le principe d'autorité, que le défaut même de poursuites? »

« Les injures, dit Chassan (II, p. 304) — alors même qu'elles contiendraient l'imputation d'un vice déterminé, ne peuvent donner lieu à aucune preuve. La demande de prouver la vérité d'une injure n'est pas admissible. Ici, le principe général qui prohibe la preuve reprend son empire, et l'exception qui autorise cette preuve doit être restreinte dans ses plus étroites limites. S'il importe à la société d'être fixée sur la vérité des faits imputés à ses agents, elle n'a pas le même intérêt à s'enquérir de la vérité d'une injure ».

Le plaignant qui peut se défendre contre une imputation de faits reste le plus souvent désarmé devant une expression injurieuse, dont le vague ne lui permet presque jamais de faire la preuve contraire.

En 1896, une nouvelle proposition de M. Marcel Barthe, adoptée aussi par le Sénat, a été repoussée par la Chambre.

Enfin, en juin 1900, M. Joseph Fabre a, au Sénat, repris le même projet. Voici ce qu'il dit à ce sujet : « C'est M. Lisbonne, l'auteur de la loi de 1881, qui, se critiquant lui-même, proposa en 1889 cette correction à son œuvre.

« L'injure, disait-il, continuerait à être impunie, si le jury continuait à en con

naître.

«En effet, le jury n'a jamais compris qu'on mette en mouvement cette grande machine de la cour d'assises pour prononcer sur un abus de gros mots. Il acquitte done toujours.

« Et l'on veut qu'un homme public aille en cour d'assises pour s'entendre crier le lendemain que la justice du peuple l'a reconnu goujat, faussaire, escroc ?

« L'homme public laisse dire.., De là licence entière. C'est une pluie quotidienne d'ordures.

rieux, Bozerian, Chautemps, Joseph Fabre et autres, nous ne saurions souscrire aux vues de ces deux derniers qui ont proposé et fait adopter par le Sénat, l'action civile séparée, devant les tribunaux civils, en réparation de la diffamation de l'article 31 (1).

« Il est possible qu'une diffamation soit une dénonciation véridique, courageuse, louable. Mais que prouve une injure? Ce que prouve un coup de poing.

« L'injure, véritable voie de fait, mérite d'être toujours réprimée.

« On envoie aux juges correctionnels, sous l'inculpation d'outrages, ceux qui insultent les dépositaires de l'autorité publique dans l'exercice de leurs fonctions.

« Pourquoi ne pas leur envoyer également ceux qui insultent les hommes publics à raison de leurs fonctions ?

« Dans deux amendements qui vous sont connus, signés l'un par MM. Maxime Lecomte et Bernard, l'autre par MM. Trarieux, Léopold Thézard, Guyot et Victor Leydet, nous trouvons quelques divergences sur la mesure où l'injure peut être isolée de la diffamation, mais plein accord avec nous sur la nécessité de correctionnaliser le délit d'injure.

« Cette concordance de vues entre les membres si divers du Sénat ne décidera-telle pas le gouvernement à se prononcer pour une réforme qu'a jadis soutenue le ministère Floquet. »

Toutes ces considérations sont justes. L'injure proférée par la voie des journaux a une gravité particulière. Qu'un ivrogne vous insulte; que quatre imbéciles vous diffament dans le fond d'un café, la chose est de peu de valeur. Elle en prend une considérable quand la vilenie se trouve dans un journal lu par cent mille personnes, avec l'autorité de la chose écrite. Ceci est hors de doute.

Le point délicat, en ce qui concerne la correctionnalisation des injures, c'est l'indivisibilité entre les injures et la diffamation. C'est pour cela que M. Deschanel s'est prononcé publiquement contre la réforme. V. no 88. Ce sera à la Cour de cassation de le résoudre.

(1) On sait que la proposition Joseph Fabre permet au cas de diffamation, l'action civile séparée devant les tribunaux civils, avec admission de la preuve et qu'elle ne réserve à la Cour d'assises que la poursuite pénale.

Voici ce que dit, à cet égard, l'honorable sénateur: « Toutes les fois qu'ils seront diffamés à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, les hommes publics, juticiables de l'opinion, ne pourront attendre répression que du tribunal d'opinion le jury.

«La presse a vis-à-vis d'eux un droit et un devoir de censure.

«Le gouvernement pense que ce droit et ce devoir seraient moins protégés si, à la juridiction de faveur, ou substituait la juridiction de droit commun, comme le demandaient jadis, à la tribune du Sénat, Tolain, Tirard, Challemel-Lacour et M. de Marcère.

« Donc, au jury seul de prononcer la responsabilité pénale des diffamations ». C'est également dans ce sens, qu'est conçue la proposition déposée par M. Chautemps, à la Chambre, le 28 février 1899.

Dans notre introduction. p. 220, nous avons soigneusement mis en lumière les vrais principes. Nous n'insisterons donc pas sur les dangers d'une telle modification. Il faut prévoir les lendemains et être utilitaire, si l'on est pas foncièrement libéral.

A part cela, nous souscrivons aux autres propositions de M. Joseph Fabre. Il a dit avec raison :

« Avant 1881, il existait dans la loi un texte qui interdisait de faire connaître

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