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Revenons à l'article 222. § 1er.

Ainsi donc l'outrage, pour être punissable, doit tendre à inculper l'honneur ou la délicatesse du magistrat ou juré auxquels il s'adresse (1).

Est à bon droit puni pour outrage, le prévenu qui n'a pas nommé les magistrats, si les juges du fait constatent les circonstances qui rendent la désignation non équivoque et l'intention vainement désavouée (2).

L'articulation, dans une dénonciation adressée au ministère public ou à l'autorité administrative, de faits de nature à entraîner soit la mise en jugement, soit la destitution d'un fonctionnaire, ne constitue pas un outrage. Il y a là une dénonciation qui, vérifiée, pourra être reconnue calomnieuse et réprimée seulement comme telle, s'il y a lieu (3).

Une lettre contenant l'expression intime et secrète de la pensée de son auteur est confiée à la discrétion du destinataire, et elle ne peut être divulguée sans l'assentiment de l'expéditeur. Ce principe protège plus spécialement encore les communications échangées entre un avocat et son client.

En conséquence, une lettre écrite par un avocat à son client ne peut servir de fondement à une poursuite même, à raison des imputations outrageantes qu'elle contient pour un magistrat, alors que, dans l'in

un diner qu'on vous paiera, vous ferez rendre (il s'agissait d'un commissaire de police) des jugements tant qu'il vous plaira. C., 22 août 1862.

Je ne veux pas être jugé par ce juge; c'est un capon et un làche. C., 22 janvier 1854. Vous devriez m'aider à obtenir une décision favorable et je vous en récompenserai. Cpr. C., 25 janvier 1866. Vos enfants auront un jour à rougir de vous. C., 22 août 1878.

Vous êtes un fanfaron. Cpr. C., 17 janvier 1879.

En conservant la présidence du tribunal des conflits, M. le garde des sceaux avilit les fonctions judiciaires. Nancy, 27 novembre 1880. La Loi, no du îor dẻcembre.

(1) C., 13 juillet 1878.

(2) Rennes, 7 mars 1887. L'immunité de la défense peut être invoquée devant toutes les juridictions contentieuses, et notamment devant les juridictions disciplinaires. Mais si un avoué, poursuivi devant la juridiction correctionnelle comme coupable d'un délit d'outrage à raison d'un acte de récusation fait devant une juridiction disciplinaire, se borne à soulever une question de compétence, l'arrêt qui se déclare compétent en écartant l'immunité de la défense, n'encourt pas la cassation, malgré l'erreur de droit qu'il contient, le moyen de défense pouvant être produit lors du débat sur le fond. C., 1er avril 1887. Cpr. 11 février 1839. Sic : Chauveau et F. Hélie, t. 4, p. 358.

(3) La Cour de cassation a le droit de rechercher si les expressions qui ont été employées sont de nature à atteindre l'honneur et la délicatesse dans le sens cidessus exprimé.

Chauveau et Hélie, t. III, no 969. Carnot, sur l'article 222. C., 28 mars 1856, 30 décembre 1858. Consulter C., 8 mars 1851. Cpr. C., 2 avril 1825.

tention de l'écrivain, elle ne devait être connue que de son confident et qu'elle n'a reçu publicité que par suite d'un acte délictueux; spécialement, par le fait du notaire, chargé d'inventorier les papiers domestiques du destinataire et qui, au mépris de ses devoirs et de la volonté des héritiers, a détourné la lettre pour la faire parvenir à la personne qu'elle devait offenser (1).

L'outrage par paroles doit être adressé au magistrat ou au juré en leur présence, ou tout au moins en présence de personnes dont les relations avec eux en font des intermédiaires naturels pour sa transmission (2).

La même règle s'applique aux outrages par écrit ou par dessin (3). Donc l'article 222 C. pén. exige, comme condition essentielle de l'existence du délit prévu et puni par son texte, que l'outrage ait été reçu par l'outragé, c'est-à-dire qu'il ait été adressé à sa personne.

Mais si cette condition peut être dans certains cas suppléée, ce n'est qu'autant qu'il ressort manifestement des faits et circonstances, que la

(1) C., 7 février 1868.

(2) C, 15 décembre 1865, 17 mars 1866, 27 mai 1876, 14 février 1874, 5 décembre 1885, 16 novembre 1888, 5 juin 1890, 9 novembre 1899.

Cette condition se trouve remplie lorsque, par la volonté de l'inculpé, l'outrage a été porté à la connaissance du magistrat. C.. 28 janvier 1876, 21 juin 1873, 17 mars 1866.

Ainsi, il y a outrage lorsqu'un conseiller municipal, au cours d'une délibération du conseil, réuni pour entendre lecture d'une lettre du préfet annulant une précédente délibération, tient des propos offensants pour le préfet. Il suffit que les juges déclarent que le maire devait les rapporter à son chef hiérarchique et que l'inculpé a eu la volonté de les faire parvenir au préfet. C., 27 mai 1876.

Il en est ainsi d'outrages proférés dans un estaminet contre un maire en son absence, mais en présence de garde chasse, de conseillers municipaux et d'autres intermédiaires obligés qui devaient nécessairement lui en rendre compte. Douai, 28 mars 1899.

V. également au cas d'outrage par écrit non public: Montpellier, 3 mai 1869. C., 14 février 1874, 29 janvier 1880. Sic : Chauveau et Faustin Hélie, Th. du C. pen., t. III, no 968. p. 129; Pellerin, Comm. de la loi du 13 mai 1863, p. 129; Blanche, t. IV, no 88. Comp. aussi, Nancy 19 mai 1875; Trib. corr. La Roche-surYon, 6 décembre 1883; Trib, corr. Toulouse, 5 juillet 1881.

Les travaux préparatoires de la loi de 1863 (V. Chauveau et Faustin Hélie, loc. cit.) sont d'ailleurs formels en ce sens.

Les imputations outrageantes contre les membres d'une commission municipale, insérées dans un acte d'appel d'une décision rendue en matière électorale par cette commission, et portées à leur connaissance, conformément à l'intention des prévenus, est un outrage non rendu public. C., 20 décembre 1873, 14 février 1874.

(3) L'application de notre article est justifiée, lorsque l'arrêt rapporte que le prévenu, en remettant à l'impression un écrit outrageant pour le préfet, savait que, par suite de la formalité du dépôt, cet écrit devait arriver à la connaissance du magistrat outragé. C., 25 juin 1875. De même pour les dessins. Chauveau et Hélie, t. III, no 964, in fine.

volonté formelle de l'auteur de l'outrage a été de le faire parvenir à celui qui en a été l'objet, en le proférant devant des auditeurs qui devaient nécessairement lui en transmettre l'expression (1).

Si le magistrat outragé n'est pas présent, il est nécessaire qu'il ressorte manifestement des faits de la cause que les propos outrageants ont été tenus devant des auditeurs qui devaient nécessairement le communiquer.

Les juges du fait constatent souverainement que les outrages, prononcés contre un magistrat hors sa présence, l'ont été dans l'intention qu'ils lui fussent rapportés (2).

Mais l'arrêt, rendu sur la poursuite d'un délit de cette nature, ne peut être déclaré nul parce qu'il ne constate ni le caractère de l'outrage, ni l'intention coupable du prévenu, ou parce qu'il n'énonce pas que l'outrage a été commis à l'occasion de l'exercice de la fonction du magistrat auquel il était adressé, lorsque ces circonstances résultent nécessairement de la nature même des faits, expressément relevés comme constitutifs du délit (3).

L'intention d'outrager est l'élément constitutif et essentiel du délit d'outrage. Le délit d'outrage ne peut exister sans intention. L'absence d'intention peut être déduite notamment de la bonne foi.

Le caractère délictueux du propos incriminé, peut être déterminé par l'examen attentif des circonstances, dans lesquelles ce propos a été tenu (4).

(1) Paris, 13 mai 1891.

Cette condition étant essentielle à l'existence du délit, doit être expressément constatée par le juge de répression dans sa décision, à peine de nullité. C., 5 décembre 1885, 9 novembre 1899.

Deux arrêts des 29 janvier 1880 et 16 novembre 1888 ont même jugé qu'il est nécessaire qu'il soit établi que le propos outrageant a été effectivement rapporté à la personne qu'il visait. M. Garraud mentionne cette jurisprudence, mais est 'd'avis qu'il faut que les paroles outrageantes aient été prononcées en présence de la personne ou au moins entendues par elle (t. III, no 418). Cpr. C., 12 novembre 1897.

Les jugements ou arrêts doivent constater les éléments du délit, car autrement, la peine manquant de base légale, leur décision serait annulée. Chassan, t. I, p. 555. De Grattier, t. II, p. 56. Bories et Bonassies, v° Outrages et violences, no 9. (2) C., 5 juin 1890. Il est indifférent, d'ailleurs, que les outrages aient été proférés, non point en présence des magistrats, mais en présence d'un commissaire de police qui devait nécessairement les leur rapporter, alors surtout que, comme dans l'espèce, le prévenu a dit : « je sais que mes paroles seront rappor tées ». C., 15 septembre 1898.

(3) C., 12 juillet 1885.

(1) L'article 222 ne peut être appliqué au plaideur qui a produit, à l'audience, un écrit outrageant pour un juge de paix précédemment chargé d'une enquête, si le jugement ne constate, outre l'intention malveillante, la volonté d'adresser l'outrage au magistrat. C., 23 août 1872.

Mais le juge du fait constate, suffisamment, cette intention, quand il déclare que l'inculpé ne s'est pas fait illusion sur la portée outrageante de son acte (1).

Le juge du fond est souverain appréciateur de l'intention (2).

333.- Quelles sont les personnes qui sont protégées par l'article 222. — L'article 222 protège, d'abord, les magistrats de l'ordre administratif ou judiciaire.

Le Président de la République qui est le premier magistrat du pays, est incontestablement protégé par l'article 222 (1).

Le propos: « Vous avez rendu un jugement détestable » adressé par un homme d'affaires à un magistrat, sera délictueux ou ne le sera pas, selon que l'on y pourra voir l'expression d'un sentiment d'irritation malveillante accompagnée d'une intention blessante ou, au contraire, la critique formulée, avec plus ou moins de vivacité, des motifs qui, en fait et en droit, servaient de fondement à la décision que ce magistrat lui faisait connaître. Pau, 4 novembre 1890.

La dénonciation d'un crime imaginaire faite à un membre du parquet, par un prévenu, dans le but d'apporter une diversion à son emprisonnement et de se créer un moyen d'évasion, ne constitue pas le délit d'outrage prévu par l'art. 222 du Code pénal. Orléans, 23 février 1886.

La déclaration à un commissaire de police, d'un délit imaginaire, ne constitue pas le délit d'outrages prévu et puni par l'article 222 du Code pénal, s'il n'est pas établi que l'auteur de la déclaration mensongère faite dans son intérêt privé, pour cacher à sa mère des pertes d'argent et des dettes de jeu, ait eu l'intention d'outrager le commissaire de police en se moquant de lui. Trib. corr. Lyon, 31 mai 1898. C., 25 mars 1875, 22 juin 1877, 17 janvier 1879, 6 février 1880.

Aussi, le propos outrageant qui n'est pas spontané, se produit sans intention coupable et n'est qu'une réponse irréfléchie à une question, à une interrogation inopportunément adressée, peut n'être pas considéré comme un outrage. Dans l'espèce, il s'agissait d'un électeur qui, interpellé par le président du bureau électoral, s'était ainsi exprimé : « Oui, j'ai dit que vous aviez changé mon bulletin aux dernières élections ». Nimes, 27 novembre 1875.

Toutefois, il faut reconnaître que ce sont là, avant tout, des décisions d'espèce. (1) C., 8 mai 1891. Paris, 20 janvier 1881. 24 novembre 1891.

(2) Cpr. Colmar, 31 mars 1857. Besançon, 31 mai 1871. Orléans, 13 février 1886. (3) L'offense au président de la République est déférée à la Cour d'assises en vertu de l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881, lorsqu'elle a été commise par l'un des moyens énoncés dans l'article 23 et dans l'article 28 de ladite loi, mais elle doit être déférée au contraire au Tribunal de police correctionnelle conforméinent à l'article 222 du Code pénal, lorsqu'elle est proférée en présence du Président de la République, alors même que la publicité aggrave les propos offensants.

L'article 26 de la loi de 1881 réprime seulement les offenses non qualifiées outrages par le Code pénal, dirigées par la voie de la presse ou par les discours proférés dans les lieux ou réunions publics contre le Président de la République et laisse subsister en son entier la compétence des Tribunaux correctionnels pour les outrages prévus par les articles 222 et suivants du Code pénal.

Spécialement, les cris de « A bas Loubet! Démission ! » tombent sous l'application des articles 222 et suivants du Code pénal et ne sauraient justifier une poursuite, pour tapage injurieux, devant le Tribunal de simple police. C., 5 janvier 1900.

En général, la dénomination de magistrats de l'ordre administratif appartient aux fonctionnaires administratifs qui ne sont ni officiers ministériels, ni agents de la force publique ; mais il faut surtout entendre par magistrats administratifs, les fonctionnaires qui participent directement aux décisions du contentieux administratif (1).

Les magistrats de l'ordre judiciaire sont les fonctionnaires qui concourent directement à l'administration de la justice pour l'application des lois civiles et criminelles (2).

Mais ledit article ne prévoit que l'outrage adressé directement ou avec la volonté formelle de l'auteur de le faire parvenir au magistrat visė.

En l'absence de ces circonstances de fait, les paroles outrageantes à l'adresse du chef de l'Etat ne peuvent être poursuivies que comme offenses, en vertu de l'article 26 de la loi sur la presse, et le délit se trouve alors de la compétence de la Cour d'assises. Trib. de la Seine (11 chambre), 9 juin 1899.

(1) Rentrent dans cette catégorie: les membres du Conseil d'Etat. de la Cour des comptes, des conseils de préfecture, Bastia, 28 mars 1876, des conseils des prises maritimes, des commissions de liquidation, des conseils de révision. C., 12 mars 1875.

D'autre part, sont magistrats de l'ordre administratif les fonctionnaires, tels que ministres. Paris, 24 novembre 1891, sous-secrétaires d'Etat, préfets, Douai, 8 mai 1883. C, 10 août 1883, secrétaires généraux, sous-préfets, C., 12 mars 1875, maires, C., 23 août 1844, 20 mars 1875, 16 février 1889 (voir en Conseil de fabrique, C., 8 mai 1869, dans la Commission scolaire, C., 16 novembre 1883, dans l'exercice de la police municipale, C., 30 juillet 1886, comme délégué du gouvernement, C., 1er mars 1833, ou comme officier de l'Etat civil), qui peuvent prendre des arrêtés ou des mesures d'ordre et de sécurité obligeant les citoyens. Il faut y faire rentrer aussi les adjoints au maire. Trib. de Narbonne, 24 novembre 1890. C., 10 mai 1845, 16 février 1889.

C., 10 mai 1845 (S., 46, 1, 39 ; D. P., 45, 4, 410).

Les commissaires de police sont comme les maires, tantôt des magistrats administratifs, tantôt des magistrats judiciaires, selon les fonctions qu'ils exercent. C., 2 mars 1838 (S. V., 38, 1, 359), 22 février 1851. 29 juin 1883, 12 juillet 1883. Amiens, 4 décembre 1863 (S., 64, 2, 68; P., 64, 498).

Parant, p. 142. Chassan, t. I, p. 454. Bories et Bonassies, vo Outrages, no* 52 et 53. Carnot, t. I, p. 551. De Grattier, t. II, p. 57, en note. Morin, vo Outrage et violence, no 4.

Le cadi et ses suppléants, le bachadel et l'adel, sont, en Algérie, des magistrats de l'ordre administratit et judiciaire. C., 1er mars 1884.

Les consuls français sont à l'égard de leurs nationaux, protégés par les articles 222, 223.

Il en est de même du président d'un collège électoral. C., 19 août 1837. Cpr. Agen, 25 mai 1838.

On ne peut regarder comme des magistrats de l'ordre administratif les sénateurs et députés (l'article 6 de la loi du 25 mars 1822 est abrogé); les membres des conseils généraux, d'arrondissement, municipaux (à moins d'une délégation). C., 17 mai 1845, Naney, 21 mars 1876; les ingénieurs des mines, Douai, 10 mai 1853: les présidents de sociétés de secours mutuels, quoique nommés par le chef de l'Etat, C., 13 mai 1859; les percepteurs des contributions directes, C., 26 juillet 1821. (2) Sous ce rapport les dispositions de notre article sont générales et étendent

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