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Ainsi que nous l'avons vu, en recherchant quels sont les agents dépositaires de la force publique, il faut, dans quelques occasions, considérer comme citoyens chargés d'un service public:

Les gardes champêtres, les agents de police, les sous-officiers et militaires de la gendarmerie (1) ou des armées de terre et de mer.

340. L'art. 224 n'exige pas, comme l'article 222 que l'outrage soit de nature à porter atteinte à l'honneur et à la délicatesse (2).

Nous avons dit que l'outrage existe, bien qu'il ne consiste pas en invectives, expressions injurieuses, etc. La jurisprudence fourmille d'espèces. Il nous suffira d'en citer quelques-unes (3).

(1) Le maire qui outrage la gendarmerie sur le territoire de sa commune ne peut décliner la compétence correctionnelle, et se prévaloir de l'article 483 du Code d'instruction criminelle que s'il agissait comme officier de police judiciaire. Si, au contraire, il agissait comme représentant de l'autorité administrative, il est justiciable du tribunal correctionnel. Bordeaux, 13 juin 1878. Cpr. Limoges, 25 février 4863. C., 8 mai 1862. Naney, 27 janvier 1875.

(2) Paris, 2 janvier 1868, 1er juillet 1883. Douai, 9 mars 1883. Toulouse, 29 juin 1892. C., 7 mai 1853, 2 février 1871.

Dans son rapport (déjà cité M. Sallantin a dit : « Qu'importe, n'est-ce pas le propos lui-même qui constitue l'outrage ? Dans votre arrêt du 12 juin 1886 un sieur Canac avait dit devant deux personnes que les gendarmes s'étaient introduits pendant son absence dans son domicile et lui avaient pris 40 franes. On ne relevait à la charge de Canac ni injures ni invectives. Vous avez déclaré que la loi du 29 juillet 1881 était inapplicable et que le délit cominis par Canac tombait sous l'application de l'art. 224 du Code pénal ».

Toutefois les actes offensants ne prennent le caractère de l'outrage prévu par l'art. 224. C. pén, que s'il en résulte une atteinte au respect dont les fonctions publiques doivent être entourées pendant qu'elles sont exercées, ou tout au moins une attaque qui ait sa cause dans ces fonctions ou dans la qualité de celui auquel elles ont été confiées. Trib. d'Orthez, 27 février 4891.

(3) Sont des outrages, dans le sens de l'article 224, les mots :

<< Lâche, maquereau, souteneur de filles, fainéant, mangeur de blanc, videur de pots de chambre, échappé du bagne, homme indigne de porter le sabre, canaille, ete ».

V. Alger, 27 octobre 1877, 15 novembre 1879. Tribunal de Corbeil, 26 octobre 1881.

Il y a encore outrage dans le fait de crier: « A bas les crocheteurs » ! sur le passage des agents de police qui, sur les ordres de l'autorité, et pour l'exécution des décrets, ont procédé à l'ouverture des portes et cellules d'une maison religieuse. Paris, 20 janvier 1881.

Le fait de cracher à la figure d'un officier ministériel, à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, constitue l'outrage de l'article 224. C., 29 mars 1845, 5 janvier 1855.

Mais la proposition à un agent de l'autorité de dons ou promesses pour le corrompre n'a pas le caractère d'outrage de l'article 224, en dehors de l'intention d'outrager et de l'emploi d'expressions injurieuses et diffamatoires. C., 25 janvier 1866.

Il n'est pas besoin que l'outrage ait lieu, en présence de l'agent ou citoyen qu'il vise. Il suffit qu'il doive lui être rapporté (1).

Une question assez délicate est celle de savoir si le fait de dénoncer un délit imaginaire à la gendarmerie ou aux agents compétents, constitue un outrage dans le sens de l'article 224 (2). Il en est de même pour les cris et signaux destinés à avertir de l'arrivée des gendarmes (3).

(1) Ainsi jugé pour le directeur d'un abattoir municipal.

Sa fille, habitant avec lui, est placée vis-à-vis de lui dans de telles relations de famille et d'existence que les propos outrageants tenus en sa présence doivent être considérés comme tenus en présence de son père, pourvu que l'auteur de ces propos ait su qu'il les tenait en présence de cette fille et connu les liens qui l'unissaient au fonctionnaire outragé. Trib. de Baugé, 20 juin 1898. (2) V. C., 29 juin 1838, 13 juillet 1878. 18 novembre 1886. (3) V. pour la négative. Paris, 13 janvier 1892. Besançon, 31 mai 1871. Douai, 20 mars

1883. Paris, 24 juillet 1883. Orléans, 23 février 1886. Adde: Chauveau et Hélie, Théorie du Code pénal, III, art. 224, n° 978; de Grattier, Lois de la presse, II, p, 51; Blanche, Etudes, art. 224.

Contrà Aix, 1er juin 1870. Douai, 29 avril 1874. Loudun, 1er avril 1882.Poitiers, 1er juillet 1883.

Si, en principe, dans un cas isolé et accidentel, des cris ou signaux ayant pour but de prévenir un chasseur de l'approche des gendarmes peuvent ne pas constituer le délit d'outrages envers les agents dépositaires de la force publique, il n'en est pas de même lorsque ces signaux se produisent dans une contrée où il est d'usage de signaler, soit par des cris, des signaux ou à son de trompe, la présence de la gendarmerie, soit des agents forestiers en tournée et qu'ils ont pour but et pour effet de soustraire le délinquant à la poursuite de la gendarmerie et de paralyser l'action de celle-ci. Trib. de Barcelonnette, 28 janvier 1892.

C'est là surtout une question d'intention, que les juges apprécient suivant les circonstances. La Cour de Pau a jugé, le 7 avril 1859, une espèce analogue dans les termes suivants : « Attendu qu'en admettant que le eri: Bahu! Bahu! proféré dans un cas isolé et accidentellement pour avertir un chasseur de l'approche des gendarmes, peut ne pas constituer le délit d'outrage envers les agents dépositaires de la force publique, il n'en est pas de même dans l'espèce actuelle ; qu'en effet, il est d'usage dans la commune de Saint-Paul en Béarn et dans les communes voisines, que, lorsqu'on s'aperçoit que les gendarmes sont en tournée, on crie de tous côtés : « Bahu! Bahu » ! mot répété au loin ».

Le fait de sonner dans une corne à la vue des gendarmes, sans intention outrageante pour ceux-ci, mais dans le but unique d'avertir de leur présence des chasseurs contrevenants, est incontestablement blamable, mais ne tombe pas sous le coup de la loi. Le son de la corne, qui n'est accompagné ni de paroles, ni de menaces, ni de gestes, n'a par lui-même rien d'offensant ni d'injurieux. Pau, 4 mai 1864.

Le tribunal de Bagnères a jugé le 1er novembre 1900 que le fait par un chasseur, muni d'un permis de chasse, de prendre la fuite à l'aspect des gendarmes constitue le délit d'outrages par gestes, s'il résulte des circonstances de la cause, que le chasseur a voulu, par sa fuite, faire courir inutilement les gendarmes. On ne saurait approuver cette décision.

Le délit d'outrage par paroles envers les agents de la force publique ne résulte pas du fait d'avoir crié : Sauve ! à l'approche des gendarmes dans l'intention unique de prévenir les délinquants du danger qu'ils courent et de favoriser ainsi leur fuite. Montpellier, 18 mai 1874. Il en est autrement lorsque les cris répétés de Sauve-toi ! Sauve-toi! poussés à la vue des gendarmes sont accompagnés

L'outrage peut être public ou non public (1).

Pour que le délit existe, il faut l'intention. Il n'y a pas délit d'outrage si l'intention n'est pas établie (2).

Mais l'article 224 ne s'appliquant qu'aux outrages par paroles, gestes ou menaces, les outrages contenus dans une lettre missive, dans un écrit, ne sont pas punissables par ce texte (3). .

L'article 224 s'applique, tant aux outrages commis dans l'exercice, qu'à ceux commis à raison de l'exercice des fonctions (4).

Les juges apprécieront si l'outrage est commis dans l'exercice des fonctions ou à l'occasion de cet exercice (5).

de termes ironiques : (« Je demeure chez moi... sur la porte regardant dehors ») et des gestes menaçants. Bordeaux, 28 février 1867, V. Paris, 13 janvier 1892.

(1) Garraud, III, n. 414. Faustin Hélie, Pratique criminelle, II, n. 402. Blanche, IV, n. 109. Boitard, Leçons de Dr. crim., 11 édit., n. 283. Les quais des gares sont d'ailleurs des quais publics: voir trib. corr. de Nevers, 13 août 1881 (Bull. ann, des chem. de fer,1882, p. 60), et trib. de simple police de Paris, 7 septembre 1886 (la Loi du 10 septembre).

(2) C., 25 janvier 1866. Dijon, 16 octobre 1890.

Est souveraine la déclaration des juges du fait sur la question d'intention de la part de l'inculpé.

Ainsi le propos tenu à un notaire dans son cabinet : « On a mis dans l'acte ce qu'on a voulu; je ne sais ni lire ni écrire », peut, selon les circonstances, être regardé comme dépourvu de caractère outrageant. C., 22 juin 1877.

Chauveau et Hélie, t. III. n° 978. Paris, 10 décembre 1834. Colmar, 31 mars 1857 (P., 58, 660). Paris, 24 juillet 1883. La Loi, 1883, no 85 (Palais, 1884, 1, 81).

(3) Une lettre missive non publique ne peut être poursuivie qu'en vertu de l'article 33, §3 de la loi du 20 juillet 1881. Si elle est publique, les articles 31 et 33 $4 de cette loi sont afférents. Trib. de Valenciennes, 15 mai 1885. Contrà: Trib. de Château-Thierry, 7 mars 1890.

Les articles 224 et 225 ne prévoient pas les outrages par écrits, imprimés, dessins, emblèmes, etc. Avant la loi du 29 juillet 1881, les injures publiques, par écrit ou autrement, contre les agents de l'autorité publique étaient punies par l'article 19 de la loi du 17 mai 1819; mais elles ne sont plus réprimés par aucun texte, dans l'exercice des fonctions, car cette loi est abrogée. Dès lors les outrages (diffamations ou injures par écrits, imprimés, etc.) dans l'exercice des fonctions ne sont pénalement punissables que lorsqu'ils n'auront pas de publicité. Ce seront alors des injures dans le sens de l'art. 471, no 11, du Code pénal.

Mais l'article 224 n'ayant pas distingué pour les menaces, on pourrait considérer qu'il punit les menaces écrites comme les menaces verbales, sans qu'il y ait lieu d'exiger, pour les menaces, les caractères des articles 305 et suivants du Code pénal.

(4) Chambéry, 24 août 1882. Cpr. suprà p. 529 et s.

(3) Est dans l'exercice de ses fonctions un notaire, lorsqu'il donne aux parties intéressées, sur leurs réquisitions, lecture d'un testament dont il est dépositaire. C., 22 juillet 1809. De Grattier, t. I, p. 24, note.

Des agents de la force publique sont dans l'exercice légal de leurs fonctions lorsqu'ils investissent pendant la nuit, en attendant le jour, une maison où s'est réfugié un individu frappé d'un mandat de justice. C., 8 mars 1851.

Ou lorsqu'ils pénètrent en vertu d'un jugement criminel ou d'un mandat de justice, dans le domicile du condamné ou de l'inculpé. C.. 12 juin 1834.

Un garde champêtre est dans l'exercice de ses fonctions lorsque, sollicité de

L'outrage à un agent de la force publique tombe sous le coup de l'article 224 par cela seul qu'il lui a été fait dans l'exercice de ses fonctions, encore qu'il ait eu pour cause des faits entièrement étrangers aux fonctions et ne s'adressât qu'à la personne privée (1).

Nous nous sommes déjà expliqué sur la provocation, l'illégalité, la qualité de l'agent outragé, le peu de gravité des outrages, etc.

La peine est de six jours à un mois et d'une amende de 16 fr. à 200 fr. ou de l'une de ces deux peines seulement.

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340. La peine est plus grave quand l'outrage est adressé à un commandant de la force publique (Emprisonnement de 15 jours à 3 mois et amende de 16 fr. à 500 fr.).

faire un acte qu'on lui demande ou qu'on exige de lui, en sa qualité, il s'y refuse en déclarant qu'il n'est pas de son ressort ou de son service. L'outrage qui lui est adressé alors, l'est dans l'exercice de ses fonctions. Grenoble, 18 juillet 1873 (P., 73, 1022).

Le fait de traiter de canaille un garde particulier, à cause d'un procès-verbal dressé par lui pour délit de chasse, constitue l'outrage à raison de l'exercice de ses fonctions. Trib. de Corbeil, 26 octobre 1881.

Mais un garde qui, hors le cas de flagrant délit, s'introduit dans une maison pour constater un délit, n'agit point dans l'exercice de ses fonctions. C., 25 mars 1852.

(1) V. C., 27 août 1858.

En matière d'outrage à agent le juge doit, avant tout, rechercher si l'outrage ne visait pas plutôt l'homme privé que le dépositaire de l'autorité publique, et, pour cela, consulter les circonstances de la cause. Si à cet égard il existe un doute, ce doute doit profiter à l'accusé.

Si le propos outrageant a été proféré alors que son auteur ne s'adressait pas directement à l'agent de l'autorité, il ne saurait constituer le délit de l'art. 224 du Code pénal et entrainer une condamnation qu'à la condition qu'il présente un caractère de certitude absolue.

Notamment le délit d'outrage indirect ne pourrait être basé sur l'attestation unique d'un témoin de l'injure, surtout si ce témoignage a, par la suite, été retracté. Trib. d'Alger, 26 octobre 1889. Bien qu'un instituteur puisse être considéré comme un citoyen chargé d'un ministère de service public, les propos outrageants qui lui sont adressés ne tombent pas sous l'application de l'art. 224 Code pénal, alors que ces outrages ne lui ont pas été adressés à l'occasion de ses fonctions ou de sa qualité.

Trib. d'Orthez, 17 février 1891.

Il en est de même pour l'huissier qui sur l'invitation d'un particulier dresse un procès-verbal de constat. Cette mission ne rentre pas en effet dans les attributions de l'huissier. Trib. corr. d'Agen, 31 mai 1899.

Consulter aussi pour d'autres applications: C., 12 mars 1864.

TOME II

35

« Cet article, dit Carnot (sous l'art. 225), protège celui qui a le commandement à l'instant qu'il est outragé, quel que soit son grade » (1).

Il faut observer que l'outrage de l'article 225 est le même que celui de l'article 224 et par conséquent punissable, qu'il soit public ou non public; qu'il soit reçu dans l'exercice des fonctions ou à l'occasion de cet exercice. Il peut donc être réprimé, même lorsqu'il se produit en dehors du service.

§ 3. Outrages envers un bureau électoral ou l'un de ses membres.

341. - L'article 45 du décret du 2 février 1852 s'applique (2):

(1) D'abord, tous les officiers ont, d'une manière permanente, la qualité de commandants de la force publique,

La jurisprudence est en faveur de notre opinion. Ainsi jugé, que sont commandants de la force publique :

Un capitaine de l'armée, dans le lieu de sa garnison;

Angers, 2 juin 1873. Alger, 2 mars 1877.

Un chef de bataillon d'un régiment territorial. C., 2 février 1889.

Un sous-lieutenant faisant partie d'un bataillon de marche;

Paris, 14 novembre 1867.

Il suffit que l'officier qui se trouve dans le lieu de sa garnison soit révêtu des insignes de son grade.

Mais un lieutenant d'infanterie, en tenue civile, voyageant isolément dans une voiture publique, ne saurait être considéré comme un commandant de la force publique. En conséquence, l'injure verbale qui lui est adressée ne saurait constituer l'outrage réprimé par l'article 225 du Code pénal et elle rentre exclusivement dans les prévisions de la loi du 29 juillet 1881. Aix, 17 février 1897.

Les simples sous-officiers, brigadiers et caporaux ne sont pas, en principe des commandants de la force publique. Mais ils le deviennent lorsqu'ils commandent. Il en est ainsi d'un sous-officier,un caporal, même un simple soldat commandant une patrouille.

Blanche, t. IV, no 175.

Quant aux brigadiers et maréchaux des logis de gendarmerie, ils sont dans l'étendue du territoire qui leur est assigné et dans le cercle de leurs attributions des commandants de la force publique, bien qu'ils ne se trouvent à la tête d'aucun de leurs gendarmes.

C., 24 mai 1873. C., 2 décembre 1880. Cpr. Coffinières, Libertè individuelle, t.II p. 406. Chassan, t. I, p. 399. Rennes, 15 mars 1853. Metz, 29 août 1860. Contra. Limoges, 23 novembre 1851. Pau, 23 juillet 1857. Riom, 9 novembre 1851,

C'est outrager le brigadier de gendarmerie comme commandant de la force publique que de lui dire, au moment où il dresse un procès-verbal pour infraction en matière de fermeture de cabarets: «Allez plus vite, nous n'avons pas le temps d'attendre jusqu'à minuit. Vous ne savez pas votre métier; vous aurez de mes nouvelles, je me charge de votre affaire... la justice a deux poids et mesures. Je dis cela pour vous. » C., 2 décembre 1880.

(2) C., 28 juin 1866. Emprisonnement de 4 mois à 1 an, amende de 100 fr. à 2000 fr.; si le scrutin a été violé, 1 an à 5 ans, amende de 1000 à 5000 fr.

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