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CHAPITRE PREMIER

DES DÉLITS D'AUDIENCE CONTRE LES MAGISTRATS, LES JURES, ETC. CAS OU L'OUTRAGE A ÉTÉ COMMIS A L'AUDIENCE D'UNE COUR OU D'UN TRIBUNAL (art. 222, § 2 et 223 in fine).

346. Le paragraphe 2 de l'article 222 et l'article 223 s'appliquent aux cours et tribunaux de toute catégorie et comprennent ainsi toutes les juridictions indistinctement (1).

Et il n'y a pas à distinguer entre les audiences publiques et celles qui ont lieu à huis clos.

Cet outrage est puni d'une peine plus sévère. Il a évidemment plus de gravité, puisqu'il se produit dans l'enceinte même de la justice. C'est là une circonstance aggravante.

(1) Chauveau, t. III, no 973, in fine. Chassan, t. I, no 576 ter.

La Haute-Cour de justice, le 21 décembre 1899 a condamné à 2 années d'emprisonnement M. Déroulède :

« Attendu qu'à l'audience de ce jour, l'accusé Déroulède, ayant obtenu la parole pour s'expliquer sur la requête présentée par M. Marcel Habert a proféré, tant contre les membres de la Haute Cour, que contre M. le procureur général les propos suivants : « Les juges, comme le procureur général, sont aux ordres du gouvernement... C'est la honte de la République. Je suis venu ici pour vous jeter mon mépris au visage... vous êtes des misérables... ; » que ces outrages, ainsi adressés à des magistrats dans l'exercice de leurs fonctions, tendent à inculper leur honneur et leur délicatesse ».

V. De Grattier, t. II, p. 62.

Chassan, t. I, no 576 bis.

Le bureau de conciliation a le caractère de tribunal, et l'outrage qui y est commis envers le juge de paix et son suppléant doit être considéré comme ayant eu lieu à l'audience,

V. MM. Dutruc, Journal du ministère public, t. VI, p, 303, no 2. De Grattier, t. I, p. 236. Chassan, t, 1, p. 92. Bordeaux, 8 août 1833.

Notre article doit se combiner avec les articles 505 et 181 du Code d'instruction criminelle.

V. nos 99 et 100.

Pour les manquements injurieux,

V. aussi les articles 504, et 505, 509, du Code d'instruction.

Les outrages commis à l'audience contre les magistrats sont censés commis contre la justice dont ils sont les organes. Par suite, le magistrat outragé n'est pas tenu de s'abstenir et peut juger lui-même l'outrage. C'était déjà dans l'ancien droit et à Rome, un principe incontestable. Ce que nous disons pour les magistrats, s'applique aux jurés.

Le paragraphe 2 de l'article 222 confère aux cours et tribunaux le pouvoir de prononcer, non seulement sur les outrages publics dans l'exercice des fonctions et non publics à raison des fonctions, mais encore sur les outrages publics à raison des fonctions, commis à l'audience (1). Il en est de même pour l'article 223.

L'outrage à l'audience peut être commis soit individuellement envers un des magistrats ou des jurés siégeant, soit collectivement contre le tribunal ou le jury. Il n'est pas nécessaire que les magistrats et jurés outragés soient désignés ou visés nominativement (2).

Bien que des paroles offensantes pour les magistrats, tenues à l'audience, ne soient pas parvenues à leurs oreilles, elles n'en sont pas moins constitutives de l'outrage prévu par notre article lorsque, au lieu d'être dites confidentiellement, elles ont été articulées de manière à être entendues par quelques-uns des assistants (3). Il en est de même des gestes et menaces.

(1) C., 23 avril 1850, 10 janvier 1852. V. pour les jurés, suprà p. 528. Pour la définition de l'outrage, V. suprà, no 329. Carré et Chauveau, Lois de la procédure, Quest., 435.

Il suffit, pour que l'outrage soit punissable, qu'il soit commis à l'audience; il n'y a pas à rechercher s'il a ou non trait à l'affaire que l'on juge.

De Grattier, t. II, p. 62, no 9. Chassan, t. I. no 578.

La Cour ou le tribunal ont le droit de statuer nonosbtant les dispositions de la loi du 29 juillet 1881. Haute-cour, 21 décembre 1899, précité. C. 4 mai 1888.

Il y a de même outrage, dans le fait par un prévenu de délit de presse en Cour d'assises d'interrompre l'avocat général en lui disant : « C'est votre arrêt de mort que vous venez de prononcer ».

Cour d'assises du Rhône, 16 août 1882.

Le tribunal n'est pas tenu de juger immédiatement: il peut, dans le silence de l'article 222, § 2, ordonner une instruction, ou continuer l'affaire à une autre audience. Il suffit de dresser état des paroles, de l'écrit, etc., etc.

C., 9 novembre 1866.

L'article 222, § 2, est inapplicable lorsque l'outrage commis à l'audience s'adresse à un magistrat présent dans la salle, mais ne siégeant pas.

C'est alors l'article 222, § 1, qui est applicable et l'article 181 du Code d'instruction criminelle, permet de réprimer immédiatement.

Amiens, 4 décembre 1863.

(2) De Grattier, t. II, p. 61, no 8. Chassan, t. I, no 580.

(3) « Considérant qu'il résulte de l'instruction et des débats, que le 27 juillet 1892, à l'audience de la Cour d'Assises de Versailles, Jarry, qui se trouvait dans l'auditoire, a prononcé les paroles suivantes : « le président est un vieux c....; les accusés le rouleront, ils sont plus malins que lui ; »

Les conclusions écrites renfermant des outrages aux juges, lues publiquement à l'audience, rentrent dans les dispositions de l'article 222, § 2 (1).

La loi sur la presse ne faisant pas échec à l'application de nos articles, la juridiction qui prononce peut faire procéder à l'arrestation immédiate, préventive (2),

Le juge de paix qui, siégeant en audience civile, a prononcé une condamnation correctionnelle à l'emprisonnement, en vertu de l'article 222 du Code pénal, en répression d'un outrage commis contre lui à l'audience, doit être considéré comme jugeant en matière criminelle, et, dès lors, l'appel contre sa décision doit être porté devant la juridiction correctionnelle (3).

« Que ces propos ont été entendus par plusieurs personnes et notamment par des inspecteurs de police qui assistaient à l'audience;

« Considérant qu'en s'exprimant comme il l'a fait à une audience publique de la Cour d'Assises et en la présence du magistrat auquel les paroles s'appliquaient, le prévenu ne pouvait pas ignorer qu'en supposant que le président ne les eût pas entendues, elles lui seraient nécessairement rapportées par des personnes qui les auraient entendues, ces personnes étant nombreuses, n'ayant aucun entretien particulier ou confidentiel avec Jarry et n'étant même pas connues de lui;

Paris, 7 octobre 1892 (affaire Jarry). Cpr. C., 24 décembre 1836. Chassan, t. I, p. 459.

Contrà, Chauveau, t. III, no 973.

(1) C., 11 janvier 1851.

Il en est de même pour les imputations contre les magistrats, renfermées dans un acte signifié à l'audience. d'avoué à avoué. C., 21 septembre 1838. Idem, de dire au ministère public: « Vous en avez menti, c'est faux. >> C.. 8 décembre 1849.

Je ne ne veux pas me défendre, je suis condamné d'avance. C., 15 avril 1853, (2) C., 31 juillet 1891.

(3) C., 26 janvier 1854, 7 janvier 1860. C., 8 mars 1873. Bioche, Dictionnaire de procédure, vo Audience, no 31. Boitard, no 951. Chauveau sur Carré, Lois de la procédure civile, question 432. Faustin Hélie, Instr. crimin, t. VII. 7, p. 561; Chassan, t. II, no 2145; Morin, Journ. de dr. crim. 1860, article 6964; Berriat Saint-Prix, Trib. crim., t. II. no 1110.

Dans ses arrêts précités, la Cour suprême part de ce principe que la juridiction d'appel est déterminée non par la nature de l'affaire ou de la peine encourue mais par celle de la juridiction qui a prononcé en premier ressort; elle admet que l'appel de tous les jugements de simple police doit être porté devant le tribunal correctionnel, alors même qu'il s'agit d'un jugement prononçant une condamnation correctionnelle, par exemple pour un délit d'outrage commis à l'audience envers un magistrat dans l'exercice de ses fonctions.

La Cour de cassation applique sa théorie de la transformation fictive des juridictions, en décidant qu'en cas de cassation d'un jugement rendu pour la répression d'un délit d'audience. L'affaire doit être renvoyée devant la juridiction compétente à raison de la nature de l'infraction et non devant un tribunal de même nature que celui qui en a connu à titre exceptionnel. V. C., 17 août 1860 et 4 janvier 1862.

V. Contrà: Trib. corr. Châtillon-sur-Seine. 10 juillet 1862 et Douai, 16 août

De même, quand la décision annulée émane d'une Cour d'appel, les règles de la compétence ordinaire en matière de délit, qui exigent le renvoi devant un tribunal correctionnel, se trouvent en conflit avec le principe fondamental de notre organisation judiciaire, qui ne permet pas de référer la décision du juge supérieur à la censure d'un juge inférieur.

La Cour suprême a décidé que c'est devant un tribunal correctionnel, hors du ressort de la Cour d'appel, et non pas devant une autre Cour d'appel, que l'affaire doit être renvoyée (1).

Une Cour d'appel ne saurait sans contrevenir de la manière la plus grave à la règle de la séparation des pouvoirs, connaître du recours formé contre un arrêté d'un Conseil de préfecture prononçant une condamnation pour outrages à des magistrats dans l'exercice de leurs fonctions, car elle se subordonnerait les Conseils de préfecture, en faisant dépendre de son appréciation le libre exercice de leur juridiction et le respect qui lui est dû. Au surplus la juridiction d'appel est déterminée, non par la nature de l'affaire ou de la peine encourue, mais par celle de la juridiction qui a prononcé en premier ressort (2).

347. Le législateur de 1857 et de 1858 s'est inspiré des mèmes principes dans l'élaboration des Codes de justice militaire pour l'armée de terre et pour l'armée de mer.

Non seulement les rédacteurs de ces Codes ont compris la nécessité d'y insérer des dispositions analogues à celles de l'article 505, mais ils ont cru qu'il était indispensable de les aggraver en ce qui concerne les militaires marins ou assimilés (3).

1869. Trib. corr. Guingamp, 7 décembre 1871. Trib. de Bourges, 11 novembre 1885.

(1) C., 5 décembre 1885, La Cour de cassation a voulu dans l'intérêt du droit de la défense, assurer au prévenu, le bénéfice des deux degrés de juridiction. (2) Aix. 5 décembre 1884. V. no 93.

(3) Article 116 loi des 9 juin 4 août 1857; article 146 des lois des 4 5 juin

1858.

Dans l'exposé des motifs du projet du Code militaire pour l'armée de terre, on lit : « Le projet autorise le Conseil de guerre à punir, audience tenante, les perturbateurs, même ceux de l'ordre civil, d'un emprisonnement de deux ans. On comprend la nécessité de cette dérogation au principe qui règle la compétence. L'individu qui vient s'attaquer à la justice militaire, mettre obstacle à ses graves fonctions, sait à quoi il s'expose; il n'a pas droit de se plaindre, et si la répression instantanée est quelquefois indispensable, c'est surtout quand il s'agit de faire respecter la justice. Le projet dispose que la voie de fait, l'outrage ou la menace seront jugés séance tenante. La peine, pour celui qui n'est ni militaire ni assimilé, quels que soient ou son grade ou son rang, sera celle que prononce

C'est en effet, en se plaçant dans cet ordre d'idées, qu'ils ont décidé que tous les membres des Conseils de guerre, en tant que juges, seraient désormais considérés comme les supérieurs de l'accusé, quel que fût son grade, et que les offenses qui leur seraient adressées, par des militaires, prendraient le caractère de délits commis envers les supérieurs pendant le service. En modifiant sur ce point la législation antérieure, ils ont voulu protéger avec plus d'efficacité la personne des juges, affirmer avec plus de force leur autorité et le respect qui leur est dû (1).

le Code pénal militaire contre les crimes ou les délits, commis envers ses supérieurs pendant le service. » — Le projet est devenu le texte définitif,

L'exposé des motifs du Code de justice militaire pour l'armée de mer développant les mêmes idées, insiste sur ce point que l'outrage à la majesté de la justice en fonction exige une réparation immédiate, et le texte de la loi reproduit, à cet égard, des dispositions analogues à celle qu'édicte le Code de l'armée de terre. (1) Quant aux outrages par les militaires, V. suprà. p. 527, note.

TOME II

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