Page images
PDF
EPUB

D'un autre côté, le trait le plus distinctif de la diffamation, c'est l'imputation ou l'allégation d'un fait de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération. La dénonciation calomnieuse peut

porter, non seulement sur des accusations de ce genre, mais sur d'autres encore (1).

Il y a cette ressemblance entre la diffamation (lorsqu'il s'agit des corps ou personnes des articles 30 et 31 de la loi de presse), et la dénonciation calomnieuse, qu'il faut constater, d'une manière préalable, la vérité ou la fausseté des faits imputés. On retrouve ce principe dans l'article 727 du Code civil.

L'immunité de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ne s'étend pas à la dénonciation calomnieuse, et par suite aux écrits ou mémoires imprimés, distribués, à la fois, à des tiers et dans une instance à laquelle ils

cultés, les journalistes se contentent de publier dans leurs feuilles, des lettres « ouvertes » qui ne sont pas envoyées par eux. C'est, qu'en effet, on a jugé qu'il y aurait dénonciation calomnieuse, si une plainte était publiée dans un journal, et si un numéro de ce journal était adressé à l'autorité compétente. Cpr. C., 16 février 1829; ou s'il lui parvenait par l'effet du dépôt (art: 10 de la loi de la presse).

Le fait d'avoir porté, dans une lettre adressée au procureur général, une dénonciation calomnieuse contre des fonctionnaires publics, pour des faits relatifs à leurs fonctions, constitue un délit de la compétence de la juridiction correctionnelle et non un délit politique de la compétence de la Cour d'assises, encore bien que les faits servant de base à la dénonciation, aient déjà été publiés par la voie de la presse. C., 19 janvier 1848. Cpr. C., 10 février 1888.

(1) Pour qu'une dénonciation puisse être poursuivie comme calomnieuse, il n'est pas nécessaire que le fait dénoncé soit un crime ou un délit. Il suffit qu'il soit susceptible de jeter le discrédit sur celui auquel on l'attribue et de lui occasionner un préjudice moral. Trib. de Château-Thierry, 11 novembre 1898. C., 25 février 1826, 3 juillet 1829, 14 mai 1869. Chassan, t. I, p. 36. Cpr. Nancy, 5 août 1895.

En admettant même, ce que nous repoussons, qu'il soit généralement nécessaire pour constituer le délit, quand il s'agit de particuliers, que la dénonciation calomnieuse ait pour objet de provoquer des poursuites judiciaires, au contraire, en tous cas pour les fonctionnaires ou officiers ministériels, employés d'administration, il suffira qu'elle ait pour but de provoquer des mesures administratives contre un fonctionnaire, telles qu'une révocation, une translation ou un changement de résidence, ou des mesures disciplinaires, lors même que les imputations seraient inefficaces pour entrainer des poursuites criminelles ou correctionnelles. Il suffit qu'elles soient susceptibles d'entrainer une répression administrative ou disciplinaire, ou le plus léger préjudice. V. Rouen, 22 avril 1825, C., 3 juillet 1829, 7 décembre 1833, 22 juin 1838, 8 juin 1844, 13 septembre 1860, 15 juillet 1864, 24 juin 1870. Cpr. C., 29 juin 1838, 13 juillet 1878, 13 novembre 1886. 15 décembre 1893, 3 décembre 1896. Chauveau et Hélie, no 1851. Ainsi, de l'imputation contre un huissier de ne s'être pas présenté au domicile du dénonciateur, ainsi que l'indiquait une mention d'une traite à recevoir. Il y aurait là un fait disciplinaire. C., 24 juin 1870. V. pour un notaire. C., 13 (et non 17) février 1881, 26 décembre 1895.

De même, ne peut être relaxé le dénonciateur qui prétend que les faits ne sont 37

TOME 11

étaient étrangers, et enfin remis au chef de l'administration du fonctionnaire inculpé (1).

Il n'y a pas davantage d'immunité, pour la dénonciation calomnieuse contenue dans un acte administratif (2).

On ne saurait qualifier d'acte administratif un acte délictueux (3) Les fonctionnaires ne sont à l'abri des actions publique et civile, pour les avis qu'ils doivent donner, concernant les délits dont ils ont acquis la connaissance, dans l'exercice de leurs fonctions (art. 358 du Code d'instruction criminelle), que dans les cas où leurs dénonciations ne sont pas calomnieuses (4).

D'un autre côté, la dénonciation calomnieuse ne change pas non plus de nature, parce qu'elle a été dirigée contre un magistrat, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, et elle ne doit pas être confondue avec le délit d'outrage (5).

pas de nature à attirer sur le dénoncé l'action du ministère public; par exemple. lorsque, sur l'imputation d'avoir apposé une fausse signature au bas d'une obligation, il est vérifié que les traits apposés au pied du titre n'offraient aux yeux aucune signature. C., 8 juin 1844.

(1) Cpr. no 4.

(2) C., 16 février 1839, 1er mars 1860, 9 novembre 1860. V. no 93.

Ainsi, une pétition adressée au préfet, bien qu'ayant pour but principal de saisir le Conseil de préfecture d'un litige avec un entrepreneur de travaux publics, ne jouit pas de cette immunité pour les imputations calomnieuses qu'elle renferme contre un conducteur des ponts et chaussées. C.. 21 mars 1861. V. aussi, C., 1er mars 1860, 9 novembre 4860. Blanche, t. V. no 421. Cpr. cependant, Caen. 21 novembre 1860.

De même, le droit de pétition au chef de l'Etat. aux Chambres, etc., accordé aux citoyens par les lois constitutionnelles, ne forme pas obstacle à des poursuites en vertu de l'article 373, si les faits calomnieux articulés ont été déclarés faux par l'autorité compétente. C.. 3 juillet 1857, 29 juillet 1857. V. cependant Loeré, Législation civile et criminelle, t. XXVI, p. 375.

Le contribuable qui, dans une pétition à l'autorité supérieure, pour obtenir la restitution de droits d'enregistrement prétendus indûnient perçus, impute des faits calomnieux pour le receveur, peut être poursuivi. Tribunal de Saint-Flour, 7 janvier 1860.

Quant aux mémoires et protestations en matière d'élections. Cpr. no 33, 34, 212, 287, 288.

(3) Cpr. C., 10 février 1888. Il s'agit dans cette espèce de la dénonciation d'un fait délictueux à l'autorité judiciaire par un caïd.

(4) Dès lors un président de tribunal civil qui, dans un rapport au garde des sceaux, signale de prétendus abus et nomme leurs auteurs (un juge de paix et un notaire), peut, dans le cas où ces faits sont reconnus mensongers et dictés par la haine, être poursuivi en vertu de l'article 373. C., 40 octobre 1816, 12 mai 1827, 22 décembre 1827, 8 août 1835. Blanche, no 415. V. Le Sellyer, t. VI, no 751. Chassan, t. I, no 156. Faustin Hélie, t. IV, no 1754. Mangin, no 69. Cpr. no 94 à 96, mais voir C., d'Etat, 27 septembre 1827.

(5) Ainsi, celui qui, dans des lettres anonymes, dénonce au procureur général certains faits de nature à entrainer la destitution d'un magistrat, n'outrage pas re magistrat ; il accomplit un acte licite, si les faits dénoncés sont vrais ; et s'ils sont

Lorsque, à la suite d'une première plainte calomnieuse, une dénonciation écrite reproduit les mêmes faits devant le juge d'instruction, cette dénonciation devient une circonstance aggravante de la plainte, et ne peut, dès lors, être considérée comme une simple injure verbale (1)

La dénonciation calomnieuse est un délit complexe, dont les différents caractères doivent être examinés et constatés avec soin. Elle se distingue nettement du chantage (2).

L'excuse de la provocation ne saurait être invoquée comme en matière de diffamation ou d'injure (3).

faux, il n'est punissable qu'autant que leur fausseté a été préalablement déclarée par l'autorité compétente. C., 28 octobre 1886, V. C., 13 juillet 1878, 13 novembre 1886, 15 décembre 1893, 3 décembre 1896. Amiens, 29 août 1878.

(1) C.. 12 octobre 1816.

(2) V. infrà, no 371. Elle se distingue aussi du faux témoignage, Morin, vo Dẻnonciation calomnieuse, no 7. Chauveau, Faustin-Hélie et Villey, t. IV, no 1836. Mais d'ordinaire la dénonciation calomnieuse est le prélude d'une fausse déposition.

Sur la compétence contre le dénonciateur, V. Pandectes, vo Acquittement, no 70 art. 359 du Code d'Instruction au cas de Cour d'assises.

Aucune condamnation ne peut être requise ni prononcée contre un individu qui ne se trouve présent à l'audience qu'en qualité de témoin; et cela même pour une dénonciation calomnieuse révélée pendaut le cours des débats, devant la Cour d'assises et à l'égard de laquelle l'accusé acquitté a réclamé des dommages contre ce témoin dénonciateur en vertu des articles 358, 359 du Code d'instruction. Le ministère public n'a pas, au point de vue pénal, le droit qu'a l'accusé pour ses intérêts civils.

(3) La dénonciation dont une personne aurait pu être l'objet de la part d'un fonctionnaire public ne justifie aucunement une dénonciation calomnieuse dont cette personne se rend coupable à l'encontre de ce fonctionnaire. L'exception de légitime défense ne peut être invoquée. Nimes, 27 novembre 1829.

CHAPITRE DEUXIÈME

DES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE LA DÉNONCIATION

CALOMNIEUSE

Observation générale.

La dénonciation calomnieuse implique le fait de dénoncer, à la charge d'un individu déterminé, un fait faux (c'est-à-dire calomnieux) de nature à provoquer l'application d'une peine, et elle implique la mauvaise foi de celui qui l'a imputé (1).

Il n'est pas nécessaire que la dénonciation revête les caractères d'une plainte régulière (2).

354.

-

Pour que le délit de dénonciation calomnieuse existe, le concours de cinq éléments est nécessaire.

Il faut :

10 La spontanéité.

2o Une dénonciation écrite.

3o Remise ou faite aux officiers de justice ou de police judiciaire ou administrative.

4° La fausseté des faits dénoncés déclarée par l'autorité compé

tente.

5o La mauvaise foi ou intention de nuire.

Nous allons examiner successivement ces conditions.

(1) Tribunal de Bruxelles, 15 juillet 1891. Pasicrisie Belge, 1892, 3, 67. (2) C., 10 octobre 1816, 8 décembre 1837, 29 juin 1838, 5 décembre 1861, 1er mai 1868. Garraud, t. V, no 38. Blanche, no 421 et ss. Les tribunaux sont souverains pour apprécier s'il y a dénonciation. C., 40 février 1888, 29 janvier 1887. Mangin, Instr. crim., no 73.

$1er - De la Spontanéité.

Un des caractères essentiels du délit de dénonciation calomnieuse est la spontanéité de la dénonciation (1).

Elle doit être spontanée, c'est-à-dire émanant d'une volonté libre s'exprimant sans effort, sans sollicitation étrangère, et être consignée par écrit, c'est à-dire qu'elle doit prendre un corps, s'incarner dans un texte sensible, invariable et qui puisse devenir la pièce accusatrice.

Aux termes de l'article 30 du Code d'instruction criminelle, la dénonciation, par les citoyens qui ont été témoins de certains crimes, leur est imposée comme un devoir. En soi, la dénonciation est donc un fait licite.

On comprend, en effet, qu'il n'y aurait plus d'enquête, de procédure, d'information possibles pour le ministère public, si les personnes entendues devaient craindre d'être poursuivies pour dénonciation calomnieuse (2).

(1) C., 3 décembre 1819, 8 août 1835, 29 juin 1838, 31 janvier 1859, 24 décembre 1859, 1er mars 1860, 26 avril 1867. Chassan I, no 642. Contrà. Blanche, no 420.

Le fait de communiquer au parquet un journal renfermant des menaces contre le plaignant ne peut constituer une dénonciation calomnieuse telle qu'elle est entendue par l'article 373 du Code pénal. Cpr. suprà p. 576 notes.

(2) « Lorsque, dit M. Faustin Hélie, t. IV, no 1837, une personne, en révélant un fait, répond à un interrogatoire, transmet des renseignements qu'elle est admise à donner, ses déclarations ne constituent pas une dénonciation; car autre chose est de déclarer les faits qui sont à sa connaissance, à l'autorité qui demande cette déclaration, autre chose de provoquer par un avis secret l'administration ou la justice, qui les ignore ».

Dès lors, ne peut donner lieu à une action en dommages-intérêts la déclaration faite par un plaignant répondant à un interrogatoire et fournissant un renseignement indispensable à l'officier de police judiciaire chargé d'une instruction à laquelle le défendeur est demeuré complètement étranger, alors surtout que le demandeur ne peut justifier d'aucun préjudice appréciable. C., 9 mars 1889. Trib. de Lyon, 30 mars 1893. Mais consulter cependant. C., 29 juin 1838, 30 mai 1862, 27 octobre 1892.

On ne saurait attribuer le caractère d'une dénonciation calomnieuse à une déclaration faite par une personne citée, comme témoin, ou mandée par le commissaire de police ou par le parquet pour fournir des renseignements ou des explications sur les faits qui font l'objet d'une poursuite intentée contre un tiers. C., 22 mai 1885.

Le caractère de spontanéité ne se retrouve donc pas dans une déclaration mensongère faite par une femme devant un commissaire de police chargé de recueillir les renseignements sur une plainte adressée à la justice par le mari de cette femme: C.. 22 mai 1885.

Et il en est de même du fait d'avoir fourni soit à l'instruction, soit à l'audience, les explications qui était justement demandées au plaignant. Trib. civ. Lyon, 31 mars 1898.

La déclaration erronée faite au cours d'une enquête par un individu qui n'a

« PreviousContinue »