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TITRE DEUXIÈME

DES ACTIONS HOSTILES

POUVANT EXPOSER L'ÉTAT A UNE DÉCLARATION DE GUERRE OU LES FRANÇAIS A DES REPRÉSAILLES

ARTICLE 84.

Quiconque aura, par des actions hostiles, non approuvées par le Gouvernement, exposé l'Etat à une déclaration de guerre, sera puni du bannissement; et si la guerre s'en est suivie, de la déportation (C. Pén. 17, 28, 32.48).

ARTICLE 85.

Quiconque aura, par des actes non approuvés par le Gouvernement, exposé des Français à éprouver des représaillles, sera puni du bannissement (C. Pén. 28, 32 et s., 48).

CHAPITRE UNIQUE

EXPLICATION DES ARTICLES 84 et 85

431. L'article 84 du Code pénal n'est pas une disposition nouvelle dans le Code pénal de 1810 (1).

M. Clunet le regarde comme sans application pratique : « L'action hostile doit être telle qu'elle ait pu allumer, ou qu'elle ait réellement allumé la guerre entre l'Etat étranger et l'Etat sur le territoire duquel le fait se sera accompli. Or, un simple particulier ne peut jamais engager son gouvernement et moins encore l'exposer à une déclaration de guerre de la part d'un Etat étranger. En effet, ajoute M. Clunet l'acte est ou désavoué ou accepté; s'il est désavoué, cet acte n'a pu constituer une offense; accepté, le gouvernement se l'approprie. »

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Ce raisonnement est faux. Cela devrait être en droit international c'est peut-être l'avenir, mais ce n'est pas encore possible (2).

Le gouvernement poursuit et le jury acquitte! Oui cela est dangereux, mais cela prouve qu'il faut seulement recourir à des garanties particulières et surtout réduire la peine qui peut paraître énorme. M. Clunet cite les opinions des juristes des divers pays et en thèse il a raison. I invoque l'opinion de Phillimore: Les insultes faites par un particulier d'un Etat, quand elles ne sont pas reconnues, ou même si les circonstances l'exigeaient, elles sont désavouées par l'Etat dont cet individu est membre, peuvent, généralement parlant, être rarement prises en considération pour justifier un grief international. »

(1) En juillet 1737 dans l'ile de Zante appartenant à Venise, le tableau consulaire de France avait été souillé de boue. L'auteur découvert fut jugé et écartelé. Phases et causes célèbres du droit maritime des nations, par de Cussy. Leipzig, 1856, t. II. p. 310.

(2) Il est vrai que notre article 84 n'a pas été reproduit dans tous les Codes copiés sur le nôtre. Mais il se trouve cependant dans les Codes italien (174), espagnol (148), etc. etc.

Nous répondrons: il vaut mieux s'obliger spontanément soi-même que d'être mis en mouvement par les réclamations d'autrui. Les lois sur la piraterie et la navigation, les traités d'extradition manifestent clairement cette tendance.

En Suisse, notamment, il y a une propension à punir dans les Codes pénaux les délits commis sur le territoire contre un Etat étranger, son chef ou les ambassadeurs qu'il envoie. Le Code pénal bavarois de 1813 a donné le signal. Voir aussi Code pénal fédéral suisse de 1853, art. 41, 43. On l'a appliqué au journal l'Avant-Garde condamné pour excitation à l'assassinat des rois. De même, la loi belge de 1858, les Codes pénal autrichien et allemand.

Le Code pénal italien de 1859 reproduit, d'abord, les dispositions du Code français, mais il punit en outre le complot contre la vie d'un chef d'un Etat étranger.

Le Code pénal français est en arrière et les articles 84, 85 de ce Code sont faits seulement au point de vue utilitaire.

On a été obligé, en France, de rendre à la police correctionnelle les offenses contre les chefs d'Etat et souverains étrangers (1).

Les offenses et outrages envers les souverains, agents diplomatiques, quoique faisant l'objet d'une disposition spéciale, tomberont sous le coup de notre article 84 lorsque le ministère public pourra considérer qu'ils ont exposé à une déclaration de guerre. Mais ils ne sauraient tomber sous l'application de l'article 85 en ce qui touche les souverains, car cet article ne vise que les actes concernant des sujets et non les chefs d'Etat.

(1) Il ne faut point en effet que les nations étrangères puissent faire un casus belli d'offenses qui demeureraient impunies à l'égard de leurs souverains ou, de leurs représentauts.

De même on a réprimé les fausses nouvelles de nature à troubler la paix publique et à provoquer des excitations. Naguère on annonçait que le général Jamont avait été tué par un douanier allemand.

On n'a pas oublié, notamment, la condamnation prononcée par la Cour d'assises de Meurthe-et-Moselle dans l'affaire des fausses dépêches. Un courtier de bourse de Paris, nommé Arnould, de complicité avec un tiers avait, à deux reprises, le 13 avril 1889 et le 25 septembre 1890 envoyé de Pagny à Paris à l'agence Fournier, à plusieurs journaux, au syndic des agents de change et à diverses maisons de banque, des dépêches annonçant de prétendus incidents de frontière (meurtre d'un officier français, arrestation d'un commissaire de police) dans le but de faire baisser la bourse.

L'affaire Schnobelé et les difficultés dont elle a été entourée, ainsi que les complications susceptibles de s'y rattacher montrent combien il faut être prudent.

Le salut public peut être compromis par des actes de patriotisme exagéré dont le résultat naturel est d'irriter une puissance étrangère, de la forcer à venger son honneur outragé ou ses droits violés dans la personne ou dans les propriétés de ses nationaux.

Le chauvinisme léger, imprudent, téméraire est susceptible souvent d'entraîner à des actes regrettables et de compromettre un état de paix que la France entendrait conserver.

Le Code pénal a prévu ces actes, car ils peuvent attirer sur notre pays le fléau de la guerre, sur les citoyens des représailles (1) Le chauvinisme, c'est le résultat du despotisme militaire.

Dans notre législation française, rien ne réprime plus les offenses ou outrages, les complots formés en France, contre un gouvernement étranger (2). Il n'en est pas ainsi dans beaucoup d'autres pays (3).

Dans la situation politique de l'Europe, en face de la triple alliance. de l'hostilité ou systématique ou mal déguisée de l'Angleterre, il est incontestable que par le fait d'un simple citoyen, d'un fonctionnaire, la

(1) Dans ses conclusions sur un arrêt de cassation du 28 novembre 1834, le procureur général Dupin a fait justement observer que « l'esprit de l'article 84 est un esprit de haute moralité et de dignité nationale. Si le crime dont il s'agit était impuni par la loi française, il n'y aurait aucune satisfaction légale à donner à la puissance offensée; la guerre serait le seul remède, ou bien il faudrait comme chez les peuples anciens, saisir le coupable, lui attacher les mains derrière le dos et le livrer à l'étranger pour qu'il en soit fait à sa merci. La France n'a pas voulu qu'il en soit ainsi, il n'y a que les Etats faibles, que les Etats avilis qui puissent s'y résoudre. La loi française a conservé la dignité nationale, en mettant parmi les crimes les faits de cette nature; elle en a réservé le jugement à des juges français qui décident avec indépendance et quelle que soit cette décision, elle devra être respectée. Alors, si on fait la guerre, elle sera juste ».

(2) Au moment de rompre la paix d'Amiens, Napoléon Ir disait à propos des attaques dont il était l'objet dans la presse étrangère : « On ne doit jamais souffrir que la presse quotidienne injurie les gouvernements étrangers ». Thiers, Histoire du Consulat et de l'Empire.

Sans remonter, pour des exemples, au régime antérieur à la Révolution de 1789, il suffit de signaler l'article 5 de l'arrêté du 27 nivòse an VIII :

« Seront supprimés sur-le-champ tous les journaux qui inséreront des articles contraires au respect dû au pacte social, à la souveraineté du peuple et à la gloire des armées, ou qui publieront des invectives contre les gouvernements étrangers et les nations amies ou alliées du Gouvernement de la République, lors même que ces articles seraient extraits des feuilles périodiques étrangères ».

(3) Dans le Code allemand, au contraire, il y a un titre particulier relatif aux actes hostiles contre une nation étrangère. On y réprime deux cas d'offense contre un Etat étranger: 1° celui où les emblèmes publics de cet Etat ont été outragés avec scandale ; 2o le complot pour changer par violence sa constitution. La poursuite est subordonnée à la réciprocité et la procédure ne peut commencer qu'a la suite d'une plainte.

Consulter: Clunet, Offenses et actes hostiles commis par les particuliers contre un Etat étranger (Paris 1887). Bulmérineq et Marquardsen, Handbuche die œffintlichen Volkerrecht(Fribourg 1884). Aux termes du Code pénal danois § 82 4o alinéa : celui qui se rend coupable d'offenses envers des Etats amis, par des paroles, signes ou des images, surtout en blàmant ou injuriant les personnes régnantes dans des écrits injurieux ou en leur imputant sans indiquer son autorité des actions injustes ou honteuses est puni de prison ou dans les cas de circonstances attėnuantes d'amende de 50 à 500 francs.

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