Page images
PDF
EPUB

III

Régime de la Neutralité

Thèses sur le pacigérat, par M. le Baron Descamps.

I. Parmi les questions qui doivent éveiller au plus haut point la sollicitude de tous les peuples civilisés et dont la solution relève par excellence de conférences internationales, il faut placer celle dont l'objet est de pourvoir, en cas de guerre entre quelques Puissances, à la condition juridique de tous les autres États poursuivant dans le monde le cours normal de leur vie pacifique.

II. L'intensité de la vie internationale, la solidarité des relations économiques, le caractère moderne des conflits armés, les besoins nouveaux de notre temps, les progrès de la civilisation dans tant de domaines exigent impérieusement aujourd'hui que le régime de la paix en temps de guerre, dégagé des incertitudes et de l'arbitraire, revête de plus en plus le caractère d'un régime nettement juridique dans lequel belligérants et non-belligérants rentrent comme coordonnés les uns aux autres surl› pied d'une égale souveraineté et de la continuation effective des relations d'ordre pacifique.

III. Autrefois, à une époque où il importait surtout de dégager les nations pacifiques des compromissions guerrières qu'on prétendait leur imposer, lorsqu'il s'agissait pour les Etats en paix de revendiquer le droit de demeurer étrangers aux guerres d'autrui, la notion de la neutralité a rendu de grands services comme expression d'une liberté contestée d'abord, et

qui s'est peu à peu énergiquement affirmée dans le droit international. A l'ancienne maxime : « Qui n'est pas pour moi est contre moi, » elle donnait cette réponse très nette : « Je ne suis ni pour vous, ni contre vous, je suis neutre. »

A l'époque actuelle, où le pouvoir de demeurer neutre n'est plus contesté, lorsqu'il s'agit d'organiser le régime de la paix générale en face des guerres particulières qui peuvent faire irruption dans la société pacifique des États civilisés, il ne faut pas demander à la notion de la neutralité ce qu'elle ne peut donner, à savoir le principe organisateur du système des rapports entre belligérants et non-belligérants. Cette notion, en effet, ne nous procure pas une représentation exacte de la relation juridique complète entre peuples pacifiques et puissances belligérantes. Elle ne reflète qu'une face du problème auquel donne lieu l'incidence d'une guerre partielle dans la société des nations. D'une part, elle ne nous dit rien de la condition juridique du belligérant au regard des peuples pacifiques, et c'est là un point capital. D'autre part, elle exprime la situation juridique des États pacifiques vis-à-vis des belligérants d'une manière incomplète et à certains égards équivoque. Incomplète, car elle présente cette situation sous un aspect négatif, en laissant dans l'ombre l'aspect positif qui est de la plus haute importance. Équivoque, car elle est prête à des interprétations qui n'ont pas peu contribué à altérer la vérité concernant les rapports entre belligérants et peuples pacifiques, et à couvrir les prétentions les plus abusives dans cet ordre.

IV. Le régime des rapports entre belligérants et non-belligérants n'est pas un régime de création artificielle établi par l'une des parties en se fondant sur des maximes d'effacement des États pacifiques ou d'équilibre dans les faveurs ou les défaveurs. Le principe de paix commune et l'égale souveraineté sont à la fois déterminateurs de la base et régulateurs des limites juridiques de ce régime.

V. Les belligérants et les non-belligérants ayant, sur le ter

rain où ils fraient, la qualité commune de pacigérants, le régime applicable à leurs relations est justement appelé pacigérat.

La notion du pacigérat fournit au régime des rapports entre belligérants et non-belligérants son véritable principe organique. Elle représente nettement la gestion, en cas de guerre particulière, des droits et des intérêts de la paix entre les États engagés dans une guerre particulière et les États à tous égards pacifiques. Elle pose le problème de leurs rapports dans toute son ampleur et dans sa vraie lumière. Elle caractérise par son trait fondamental le régime régulateur de ces rapports, qui est un régime de paix réciproque, spécialisé seulement par son champ d'application et par les conséquences légitimes que peut produire, entre Puissances également indépendantes et demeurées amies, l'engagement de l'une des parties dans une lutte armée avec d'autres Puissances. Sans porter atteinte aux justes exigences des États ayant charge de guerre, elle rappelle énergiquement que, sur le terrain où se rencontrent les belligérants et les non-belligérants, les uns et les autres sont et doivent demeurer pacigérants. Elle est assez large pour proscrire à la fois et avec la même rigueur toute immixion dans les hostilités de la part des États pacifiques et toute implication de ces derniers dans les hostilités de la part des États en guerre.

Elle affirme enfin que le régime moderne des rapports entre belligérants et non-belligérants n'est qu'une application, dans des conditions particulières, de cette loi supérieure et unitaire de la paix, qui, en dehors de la sphère limitée de la lutte armée où se meuvent les belligérants, continue, pour l'honneur et le bien de l'humanité, à présider au développement des peuples et aux destinées du monde.

IV

Commencement de la Guerre au XXe siècle

Rapport de M. Albéric Rolin

sur la question de la déclaration de Guerre.

En proposant à l'Institut la question de la déclaration de guerre, nous n'entendons pas lui demander de constater simplement la pratique actuellement suivie, mais, en supposant qu'elle autorise des actes d'hostilité sans aucune déclaration préalable, nous voulons examiner si cette pratique est saine, si elle est conforme à la loyauté des relations internationales, à l'intérêt général des nations, à celui des belligérants, à celui des neutres.

Il ne s'agit pas de savoir s'il faut en revenir aux solennités dont la déclaration de guerre était accompagnée chez les Romains et pendant le moyen âge. Nul ne le soutiendra. Il ne s'agit pas davantage de décider si l'état de guerre peut exister en fait sans déclaration. Cela est évident. Dès qu'une nation en attaque une autre, et la met dans la nécessité de se défendre, ces deux nations sont en guerre, l'agression fùt-elle brusque, soudaine et perfide. Il s'agit de décider si des actes d'hostilité qui ne sont pas précédés d'une manifestation non équivoque de la volonté de recourir à la guerre sont conformes aux exigences de la loyauté internationale et des intérêts internationaux universels.

C'est en vain qu'on prétendrait résoudre la question en invoquant les usages internationaux actuels, et en s'efforçant de

démontrer qu'ils excluent la nécessité d'une déclaration de guerre. Tout d'abord les précédents internationaux ne sont pas aussi nombreux et aussi imposants qu'on l'a soutenu. Ensuite ni en matière de droit des gens, ni en matière de droit international privé, l'Institut ne s'est borné à constater les usages existants. Quand une pratique lui a paru vicieuse, il a formulé des vœux, proposé des réformes.

En ce qui touche les précédents il est naturel de prendre surtout en considération ceux qui sont les plus récents, et qui sont fournis par les guerres les plus importantes. Voyons ce qui s'est passé pour les grandes guerres de la seconde moitié du XIXe siècle.

Guerre de Crimée. En 1854, la déclaration de guerre de la France à la Russie fut communiquée par le Ministre d'État aux grands corps de l'État, au Sénat et à la Chambre, dans un discours prononcé publiquement. Nous ignorons si elle fut notifiée en outre directement à la Russie. Mais il est évident qu'elle n'a pu ignorer une déclaration aussi publique et aussi solennelle.

Guerre franco-italo-autrichienne. Cette guerre fut précédée d'un ultimatum remis à Turin par l'envoyé d'Autriche le 23 avril 1859, et cet envoyé devait attendre la réponse pendant trois jours. Le 28 avril, l'empereur d'Autriche adresse un manifeste à ses peuples annonçant qu'il a donné l'ordre à son armée d'entrer en Piémont, et le 3 mai Napoléon III adresse au peuple français un manifeste par lequel il annonce que les agissements de l'Autriche constituent une déclaration de guerre à la France..., etc...

Des actes aussi publics ne pouvaient être ignorés de l'adversaire et ne laissaient aucun doute sur l'intention de celui qui les accomplissait.

Guerre dano-allemande de 1864. Cette guerre fut précédée également le 16/1 1864 d'une sommation formelle au Gouvernement danois de retirer dans les 48 heures la Constitu

« PreviousContinue »