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CHARTE CONSTITUTIONNELLE

DU 4 JUIN 1814 (1)

La divine Providence, en nous rappelant dans nos États après une longue absence, nous a imposé de grandes obligations. La paix était le premier besoin de nos sujets : nous nous en sommes occupés sans relâche; et cette paix si nécessaire à la France comme au reste de l'Europe, est signée. Une charte constitutionnelle était sollicitée par l'état actuel du royaume; nous l'avons promise, et nous la publions. Nous avons considéré que, bien que l'autorité tout entière résidât en France dans la personne du Roi, nos prédécesseurs n'avaient point hésité à en modifier l'exercice, suivant la différence des temps; que c'est ainsi que les communes ont dû leur affranchissement à Louis-le-Gros, la confirmation et l'extension de leurs droits à Saint-Louis et à Philippe-le-Bel; que l'ordre judiciaire a été établi et développé par les lois de Louis XI, de Henri II et de Charles IX; enfin, que Louis XIV a réglé presque toutes les parties de l'administration publique par différentes ordonnances dont rien encore n'avait surpassé la sagesse. Nous avons

dû, à l'exemple des Rois nos prédécesseurs, apprécier les effets des progrès toujours croissants des lumières, les rapports nouveaux que ces progrès ont introduits dans la société, la direction imprimée aux esprits depuis un demi-siècle, et les graves altérations qui en sont résultées : nous avons reconnu que le vœu de nos sujets pour une charte constitutionnelle était l'expression d'un besoin réel; mais en cédant à ce vœu, nous avons pris toutes les précautions pour que cette charte fût digne de nous et du peuple auquel nous sommes fiers de commander. Des hommes sages, pris dans les premiers corps de l'État, se sont réunis à des commissaires de notre Conseil, pour travailler à cet important ouvrage. En même temps que nous reconnaissions qu'une constitution libre et monarchique devait remplir l'attente de l'Europe éclairée, nous avons dû nous souvenir aussi que notre premier devoir envers nos peuples était de conserver, pour leur propre intérêt, les droits et les prérogatives de notre couronne. Nous avons espéré qu'instruits par l'expérience, ils seraient convaincus que l'autorité suprême peut seule donner aux institutions qu'elle établit, la force, la permanence et la majesté dont elle est (1) Coll. B. L., 5e série, I, no 133, p. 197.

elle-même revêtue; qu'ainsi, lorsque la sagesse des Rois s'accorde librement avec le vœu des peuples, une charte constitutionnelle peut être de longue durée; mais que, quand la violence arrache des concessions à la faiblesse du Gouvernement, la liberté publique n'est pas moins en danger que le trône même. Nous avons enfin cherché les principes de la charte constitutionnelle dans le caractère français, et dans les monuments vénérables des siècles passés. Ainsi, nous avons vu dans le renouvellement de la pairie une institution vraiment nationale, et qui doit lier tous les souvenirs à toutes les espérances, en réunissant les temps anciens et les temps modernes. Nous avons remplacé, par la chambre des députés, ces anciennes assemblées des Champs de Mars et de Mai, et ces chambres du tiers-état, qui ont si souvent donné tout à la fois des preuves de zèle pour les intérêts du peuple, de fidélité et de respect pour l'autorité des Rois. En cherchant ainsi à renouer la chaîne des temps, que de funestes écarts avaient interrompue, nous avons effacé de notre souvenir, comme nous voudrions qu'on pût les effacer de l'histoire, tous les maux qui ont affligé la patrie durant notre absence. Heureux de nous retrouver au sein de la grande famille, nous n'avons su répondre à l'amour dont nous recevons tant de témoignages, qu'en prononçant des paroles de paix et de consolation. Le vœu le plus cher à notre cœur, c'est que tous les Français vivent en frères, et que jamais aucun souvenir amer ne trouble la sécurité qui doit suivre l'acte solennel que nous leur accordons aujourd'hui. — Sùrs de nos intentions, forts de notre conscience, nous nous engageons, devant l'assemblée qui nous écoute, à être fidèles à cette charte constitutionnelle, nous réservant d'en jurer le maintien, avec une nouvelle solennité, devant les autels de celui qui pèse dans la même balance les rois et les nations. A CES CAUSES, NOUS AVONS Volontairement, et par le libre exercice de notre autorité royale, ACCORDÉ ET ACCORDONS, FAIT CONCESSION ET OCTROI à nos sujets, tant pour nous que pour nos successeurs, et à toujours, de la Charte constitutionnelle qui suit:

Droit public des Français.

Art. 1er. Les Français sont égaux devant la loi, quels que soient d'ailleurs leurs titres et leurs rangs.

2. Ils contribuent indistinctement, dans la proportion de leur fortune, aux charges de l'État.

3. Ils sont tous également admissibles aux emplois civils et militaires.

4. Leur liberté individuelle est également garantie, personne ne pouvant être poursuivi ni arrêté que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu'elle prescrit (1).

5. Chacun professe sa religion avec une égale liberté, et obtient pour son culte la même protection (2).

6. Cependant la religion catholique, apostolique et romaine, est la religion de l'État.

7. Les ministres de la religion catholique, apostolique et romaine, et ceux des autres cultes chrétiens, reçoivent seuls des traitements du trésor royal.

8. Les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions, en se conformant aux lois qui doivent réprimer les abus de cette liberté (3).

9. Toutes les propriétés sont inviolables, sans aucune exception de celles qu'on appelle nationales, la loi ne mettant aucune différence entre elles (4).

10. L'État peut exiger le sacrifice d'une propriété, pour cause d'intérêt public légalement constaté, mais avec une indemnité préalable.

11. Toutes recherches des opinions et votes émis jusqu'à la restauration, sont interdites. Le même oubli est commandé aux tribunaux et aux citoyens (5).

12. La conscription est abolie. Le mode de recrutement de l'armée de terre et de mer est déterminé par une loi (6).

Formes du Gouvernement du Roi (7).

13. La personne du Roi est inviolable et sacrée. Ses ministres sont responsables. Au Roi seul appartient la puissance exécutive.

14. Le Roi est le chef suprême de l'État, il commande les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix, d'alliance et de commerce, nomme à tous les emplois d'administration publique, et fait les règlements et ordonnances

(1) Cf. LL. 29 octobre 1815; 12 février 1817; 26 mars 1820.

(2) Cf. LL. 18 novembre 1814 (repos du dimanche); 20 avril 1825 (sacrilège).

(3) LL. 21 octobre 1814; 9 novembre 1815; 28 février 1817; 17 mai 1819; 26 mai 1819; 9 juin 1319; 17 mars 1822; 25 mars 1822; 18 juillet 1828; Ord. 25 juillet 1825.

(4) Cf. LL. 5 décembre 1814; 27 avril 1825 (milliard des émigrés). (5) Cf. L. 12 janvier 1816 (amnistie).

(6) Cf. LL. 10 mars 1818; 9 juin 1824.

(7) Cf. L. 13 août 1814 (relations des chambres avec le roi et entre elles); cette loi n'a jamais été insérée au B. I..

nécessaires pour l'exécution des lois et la sûreté de l'État. 15. La puissance législative s'exerce collectivement par le Roi, la chambre des pairs, et la chambre des députés des départements.

16. Le roi propose la loi.

17. La proposition de la loi est portée, au gré du Roi, à la chambre des pairs ou à celle des députés, excepté la loi de l'impôt, qui doit être adressée d'abord à la chambre des députés.

18. Toute loi doit être discutée et votée librement par la majorité de chacune des deux chambres.

19. Les chambres ont la faculté de supplier le Roi de proposer une loi sur quelque objet que ce soit, et d'indiquer ce qu'il leur paraît convenable que la loi contienne.

20. Cette demande pourra être faite par chacune des deux chambres, mais après avoir été discutée en comité secret : elle ne sera envoyée à l'autre chambre par celle qui l'aura proposée, qu'après un délai de dix jours.

21. Si la proposition est adoptée par l'autre chambre, elle sera mise sous les yeux du Roi; si elle est rejetée, elle ne pourra être représentée dans la même session.

22. Le Roi seul sanctionne et promulgue les lois (1).

23. La liste civile est fixée pour toute la durée du règne, par la première législature assemblée depuis l'avènement du Roi (2).

De la Chambre des Pairs (3).

24. La chambre des pairs est une portion essentielle de la puissance législative.

25. Elle est convoquée par le Roi en même temps que la chambre des députés des départements. La session de l'une commence et finit en même temps que celle de l'autre.

26. Toute assemblée de la chambre des pairs qui serait tenue hors du temps de la session de la chambre des députés, ou qui ne serait pas ordonnée par le Roi, est illicite et nulle de plein droit.

27. La nomination des pairs de France appartient au Roi. Leur nombre est illimité: il peut en varier les dignités, les nommer à vie ou les rendre héréditaires, selon sa volonté (4).

(1) Cf. Ord. 27 novembre 1816; 18 janvier 1817.

(2) Cf. LL. 8 novembre 1814 (liste civile de Louis XVIII); 15 jan. vier 1825 (liste civile de Charles X).

(3) Cf. Ord. 4 juin 1814.

(4) Cf. Ord. 19 août 1815.

28. Les pairs ont entrée dans la chambre à vingt-cinq ans, ct voix délibérative à trente ans seulement.

29. La chambre des pairs est présidée par le chancelier de France, et, en son absence, par un pair nommé par le Roi. 30. Les membres de la famille royale et les princes du sang sont pairs par le droit de leur naissance. Ils siègent immédiate. ment après le président; mais ils n'ont voix délibérative qu'à

vingt-cinq ans.

31. Les princes ne peuvent prendre séance à la chambre que de l'ordre du Roi, exprimé pour chaque session par un message, à peine de nullité de tout ce qui aurait été fait en leur présence. 32. Toutes les délibérations de la chambre des pairs sont secrètes.

33. La chambre des pairs connaît des crimes de haute trahison et des attentats à la sûreté de l'État qui seront définis par la loi. 34. Aucun pair ne peut être arrêté que de l'autorité de la chambre, et jugé que par elle en matière criminelle.

De la Chambre des Députés des départements (1).

35. La chambre des députés sera composée des députés élus par les collèges électoraux dont l'organisation sera déterminée par des lois.

36. Chaque département aura le même nombre de députés qu'il a eu jusqu'à présent (2).

37. Les députés seront élus pour cinq ans, et de manière que la chambre soit renouvelée chaque année par cinquième (3). 38. Aucun député ne peut être admis dans la chambre, s'il n'est âgé de quarante ans, et s'il ne paie une contribution directe de mille francs (4).

39. Si néanmoins il ne se trouvait pas dans le département cinquante personnes de l'âge indiqué, payant au moins mille francs de contributions directes, leur nombre sera complété par les plus imposés au-dessous de mille francs, et ceux-ci pourront être élus concurremment avec les premiers.

40. Les électeurs qui concourent à la nomination des députés, ne peuvent avoir droit de suffrage s'ils ne paient une contribution directe de trois cents francs, et s'ils ont moins de trente ans.

(1) Cf. Ord. 4 juin 1814; 25 juillet 1830.

(2) Cf. Ord. 13 juillet 1815; 5 septembre 1816.

(3) C. L. 9 juin 1824 (renouvellement intégral tous les 7 ans). (4) V. les textes cités dans les deux notes qui précèdent,

et L. 25 mars 1818.

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