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Union, amitié, concorde entre tous les Français. C'est le seul moyen de sauver la République. » Thibaudeau aussitôt : « Président, déclare donc que la Convention a rempli sa mission et qu'en conséquence la session est terminée. » Et Génissieux docilement : « La Convention nationale déclare que sa mission est remplie et que sa session est terminée (1). »

Immédiatement, en exécution du décret du 20 vendémiaire, art. 5, les Conventionnels réélus se réunissent en assemblée électorale pour compléter le nombre des Conventionnels qui devaient rester au Corps législatif. 379 Conventionnels avaient. été réélus, 17 députés des colonies devaient provisoirement rester en fonctions, il restait donc à choisir 104 membres. L'opération, commencée le 4 brumaire, est terminée le 5, à 9 heures du soir. Le Corps législatif se forme aussitôt, sous la présidence de Rudel, doyen d'âge.

Ainsi que l'avait réglé le décret du 30 vendémiaire, chaque député déclare son âge, et s'il est marié ou veuf. On met dans une urne les noms des anciens Conventionnels mariés ou veufs, majeurs de 40 ans, et on en tire au sort 167 qui seront les deux tiers des Anciens. On met dans une seconde urne les noms des nouveaux venus remplissant les mêmes conditions, et on fire au sort 83 noms pour compléter le Conseil des Anciens. Tous les autres députés appartienneut au Conseil des CinqCents. Le 6, l'Assemblée se réunit à 2 heures, on lit la liste des membres désignés pour faire partie de chaque Conseil. Les Conseils sont formés. Le S, aux Cinq-Cents, on arrête la liste des cinquante candidats parmi lesquels les Anciens doivent choisir le Directoire. Le 10, le choix est fait, il porte sur Lareveillère-Lepeaux, Letourneur, Rewbel, Sieyes, Barras. Sieyes ayant refusé, les Cinq-Cents dressent, le 12, une liste de 10 membres entre lesquels, le 13, les Anciens choisissent Carnot.

Tous les rouages de la Constitution de l'an III sont maintenant créés.

(1) Moniteur (Réimpression), XXVI, p. 349.

LA CONSTITUTION

DU 22 FRIMAIRE AN VIII (13 DÉCEMBRE 1799)

Jusqu'aux élections de l'an V, la Constitution de l'an III fonctionna régulièrement : le Directoire et les Conseils vivaient d'accord. Dans les Conseils en effet, la minorité était sans force. Mais les élections de l'an V introduisirent dans le Corps législatif un second tiers de membres nouveaux et la majorité fut déplacée. Dès lors, les Conseils, surtout celui des CinqCents, font une guerre ouverte aux Directeurs Conventionnels. Le 17 fructidor, un membre des Cinq-Cents, Willot, propose de déclarer l'arrestation de Barras, Rewbel et Lareveillère. Les Directeurs menacés, mais qui avaient l'armée pour eux, font entrer les troupes dans Paris. Augereau en avait le commandement. A une heure du matin, le 18 fructidor an V (4 septembre 1797) le Corps législatif est cerné. Les membres des Conseils, abandonnés par leur garde, doivent céder à la force. Dix-neuf sont arrêtés. On invite les autres à se réunir à l'Odéon et à l'École de médecine. Les Cinq-Cents rassemblés à l'Odéon et les Anciens à l'École de médecine, reçoivent un message explicatif du Directoire et votent docilement une série de mesures révolutionnaires. Quarante-deux membres des Cinq-Cents, onze des Anciens, deux Directeurs, Carnot et Barthélemy (1), un grand nombre de journalistes sont condamnés à la déportation (2). On décrète que les opérations électorales de quarante-neuf départements sont illégitimes et nulles. Le gouvernement du Directoire devient un gouvernement révolutionnaire comme avait été celui de la Convention.

Néanmoins le Directoire était dans une situation fausse : il gouvernait au nom d'une Constitution qu'il avait violée et le

(1) Barthélemy avait remplacé Le Tourneur, désigné par le scrutin du 30 floréal, comme membre sortant. Les deux Directeurs proscrits furent remplacés par Merlin (de Douai) et François de Neufchâteau.

(2) Dans les provinces, y eut 160 condamnations à mort.

pays lui était hostile. En l'an VI, les élections pour le renouvellement du Corps législatif ayant été très défavorables aux démocrates, le Directoire, qui ne voulait ni des royalistes ni des républicains avancés, obtient de la majorité créée dans les Conseils au 18 fructidor, une loi du 22 floréal (11 mai 1798) qui annule en partie les élections. Malgré ces coups d'autorité, les sentiments de réprobation qu'inspire le Directoire gagnent peu à peu le Corps législatif. Les élections de l'an VII (mai 1799) donnent enfin aux Conseils le courage de faire une sorte de coup d'état. A côté de Sieyès qui a succédé régulièrement au directeur Rewbell, on met Gohier et l'élection de Threilhard, qui remontait à un an, est cassée. Merlin et LareveillèreLepeaux, attaqués avec une violence inouïe, menacés d'un coup d'état, sont forcés de se retirer (30 prairial an VII). Ils sont remplacés par Roger Ducos et le général Moulins. Seul des élus de l'an IV, Barras reste au pouvoir. Telle fut la revanche des Conseils. Au 18 fructidor, au 22 floréal, le Directoire avait violé la Constitution; au 30 prairial le Corps législatif la viole à son tour sinon dans sa lettre, au moins dans son esprit. Ainsi méprisée, la Constitution ne pouvait plus exister longtemps.

Le 17 vendémiaire an VIII (9 octobre 1799) Bonaparte débarque à Fréjus. Bientôt il s'abouche avec Sieyes. On forme un comité qui prépare un plan d'attaque contre la Constitution. Dans ce comité entrent Lucien Bonaparte, président des CinqCents, Lemercier, président des Anciens, Talleyrand, Boulay de la Meurthe, Regnier, Roederer et Cabanis. Le Directeur Roger Ducos est complice de Sieyes, Barras est neutre. Seuls, Gohier et Moulins ignorent le complot. Le 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799) les Inspecteurs des Anciens, mis dans la confidence, convoquent le Conseil des Anciens en séance extraordinaire à huit heures du matin. Cornet trace de la situation un tableau effrayant : les Jacobins arrivent des départements, la Terreur sera établie (1). Émue par ces

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(1) V. Moniteur 19 brumaire an VIII, p. 192.

communications vagues, l'Assemblée accepte de transporter à Saint-Cloud le Corps législatif, et, dépassant les limites de ses pouvoirs constitutionnels, confie à Bonaparte le commandement de la force armée dans l'étendue de la dix-septième division militaire (1). Le 19, les deux Conseils s'assemblent à Saint-Cloud vers deux heures après midi. Aux Anciens, où le complot enfin deviné comptait beaucoup de silencieux adhérents, Bonaparte put déclarer que la Constitution violéc au 18 fructidor, au 22 floréal, au 30 prairial, n'obtenait plus le respect de personne (2). Aux Cinq-Cents les choses faillirent mal tourner. Bonaparte fut accueilli par les cris : Hors la loi, à bas le dictateur (3)! Avec un président fidèle, le complot eut peut-être échoué. Mais Lucien va lui-même exciter les troupes à délivrer la majorité du Conseil « dans ce moment sous la terreur de quelques représentants à stylets ». Les grenadiers entrent dans la salle et chassent les députés. A cinq heures et demie, tout était terminé.

Le soir, environ cinquante députés des Cinq-Cents, présidés par Lucien, votèrent la suppression du Directoire, l'exclusion de 61 membres du Corps législatif, la création d'une commission consulaire exécutive composée de trois consuls, Bonaparte, Sieyes, Roger Ducos, l'ajournement du Corps législatif au 1er ventôse, la création de deux Commissions législatives pour représenter les Conseils. La Commission des Cinq-Cents proposerait, sur la demande de la Commission exécutive, et la Commission des Anciens voterait toutes les mesures urgentes de législation, de police et de finances. En outre, les Commissions législatives rechercheraient les changements à apporter aux dispositions organiques à la Constitution dont l'expérience avait fait sentir les vices et les inconvénients ». Les résolutions des Cinq-Cents

(1) Le décret du Conseil des Anciens vise les articles 102, 103, 104 de la Constitution.

(2) Moniteur 21 brumaire an VIII, p. 198.

(3) Moniteur 20 brumaire an VIII. p 125.

furent aussitôt sanctionnées par les Anciens (1). Le Consulat provisoire est organisé (2).

Pour corriger la Constitution, les deux Commissions législatives créèrent deux sections ou sous-commissions: celle des Cinq-Cents avec Lucien Bonaparte, Daunou, Boulay de la Meurthe, Chazal, M. J. Chénier, Chabot de l'Allier, Cabanis; celle des Anciens avec Lebrun, Garat, Laussat, Lemercier, Regnier, Lenoir-Laroche.

Les sous-commissions eurent d'abord l'idée d'adopter le projet de Sieyes. De ce projet Sieyės avait déjà, comme on sait, indiqué les lignes principales à la Convention (3). Il le reproduisit en détail devant les Commissions, mais en changeant dans le système ce qui touchait aux élections et au Gouvernement.

Sieyes partait de l'idée que dans l'État « la confiance doit venir d'en bas, l'autorité d'en haut (4) ».

Pour que la confiance vint d'en bas, il imaginait trois listes d'éligibles: 1o La liste communale, renouvelée et rééligible tous les deux ans. Cette liste est dressée par la nation active, c'est-à-dire par les suffrages d'un corps de citoyens comprenant le dixième de la population totale (5). 2° La liste provinciale, renouvelée et rééligible tous les 5 ans. Cette liste, qui comprend le dixième de la liste communale, est dressée par un collège d'électeurs, nommé par la nation active et comprenant dans chaque province mille membres au plus et trois cents membres au moins. 3o La liste nationale, qu'on extrait de la liste provinciale dont elle comprend le

(1) Cf. Moniteur 21, 22, 23 brumaire an VIII, p. 200, 202, 204,

203.

(2) Ce gouvernement a duré du 20 brumaire au 3 nivôse an VIII, (11 novembre au 24 décembre 1799).

(3) V. supra, p. XLIX.

(4) Pour l'analyse du projet de Sieyès, voir Histoire de la Révolution française de Mignet, chap. XIV. Cet historien devait à Daunou de pouvoir retracer exactement les ressorts de la machine politique inventée par Sieyès. Daunou tenait ses explications de Sièyès luimême.

(5) La nation active est élue par les électeurs primaires de la commune. La commune de Sieyès comprenait 36 à 40 lieues carrées. C'est l'arrondissement moderne.

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