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des postes touvent un interprète prudent et averti en la personne du rapporteur du budget des postes. Enfin, dans une démocratie comme la nôtre, les agents de l'Etat peuvent-ils obtenir des élus un appui sérieux, s'ils ne cherchent pas à conquérir la sympathie des électeurs ? Certes non. Aussi veulent-ils gagner à leur cause l'opinion publique, car ils savent que les critiques, les plaintes, les vœux du peuple, dans un pays de libre discussion, trouvent un écho fidèle dans la presse quotidienne et ont une influence permanente sur l'attitude de l'administration et des deux Chambres.

Mais n'est-ce pas consacrer l'anarchie administrative que de prêter son concours aux revendiquants? Que devient leur autorité, que sera la discipline si, entre les agents et leurs chefs s'interposent des juges étrangers? Telle est la crainte que laissent entrevoir la plupart des circulaires ministérielles. Or, pour la dissiper, il suffit de se pénétrer de la vraie notion de l'ordre dans l'administration et de montrer que l'activité des associations de fonctionnaires n'est pas incompatible avec la discipline. Sans doute un service public suppose nécessairement une direction il y faut un chef qui assume la responsabilité de son fonctionnement. Mais est-ce à dire que ce chef soit un maître absolu? Non, car une telle conception serait inconciliable avec les besoins d'une vraie démocratie. L'obéissance des fonctionnaires ne saurait être passive: elle doit être réfléchie et voulue. Si autrefois se faire craindre était la ligne de conduite dans l'ancien régime, aujourd'hui se faire aimer et se faire estimer paraît être la formule d'avenir qui s'impose au chef de service. A coup sûr, la discipline ne souffrira pas, elle n'en sera que plus douce et plus humaine, la sévérité s'exercera plus rarement et les fonctionnaires seront des hommes libres qui collaboreront avec ardeur à la grande œuvre publique. Qu'on cesse donc d'opposer l'ordre et l'indépendance, car une discipline rationnelle, consciemment voulue et acceptée, saura les concilier.

Quelles sont donc les revendications de ces puissantes associations? Vers quelles conquêtes marche cette imposante armée ? Et d'abord les groupements de fonctionnaires se sont déjà consacrés à une tâche importante : ils ont essayé de guider l'administration dans la répartition des faveurs et dans la réparation des torts. Car si dans les agents de l'Etat quelques-uns sont l'objet d'attentions délicates de la part d'un député, que deviennent tous les autres qui n'ont aucun appui? Combien d'entre eux, timides, modestes, résignés seraient d'éternels sacrifiés si les comités qui s'intéressent aux humbles comme aux puissants, ne venaient leur prêter leur secours? Les associations s'efforcent aussi d'améliorer la situation morale de leurs membres elles veulent assurer plus d'égalité dans le recrutement du personnel, demandent la suppression des privilèges. L'avancement exige aussi des réformes très graves; aussi devant les abus et les injustices tous les gouvernements réclament la publication des tableaux d'avance. ment, la communication des feuilles dites signalétiques, la création de conseils de discipline; tous veulent également lutter contre le favoritisme administratif et politique. Les associations protestent aussi contre l'insalubrité des bureaux, contre les mises à pied avec suppression de traitement; toutes demandent la réforme et l'unification des retraites, l'abolition des cautionnnments des agents non comptables. Sans doute répond-on: tous à l'unanimité savent gré aux groupements de mettre au jour des réformes d'autant plus faciles à réaliser qu'elles n'intéressent pas le budget. Mais n'est-ce pas surtout pour augmenter leurs émoluments pécuniaires que les fonctionnaires s'associent? Si on leur donne satisfaction, le trésor ne sera-t-il pas à la merci de ces nouveaux vainqueurs?

Telle est la crainte que laissent dégager les avertissements successifs des rappor teurs du budget. Oui les associations de fonctionnaires veulent rendre moins précaire la situation matérielle de leurs membres. Mais peut-on leur en faire un grief? Le facteur crie famine, le commis des postes pleure misère, le directeur même déplore la parcimonie de l'Etat. Mais quoi! les associations de fonctionnaires peuvent-elles être rendues réellement responsables si par suite des besoins nouveaux, le budget des services publics s'enfle chaque année de nouvelles dépenses? Certes non. Du reste elles comprennent que la réalisation de cette réforme exige un gros effort budgétaire : aussi, afin de calmer les appréhensions les plus farouches, elles préconisent en même temps que les augmentations de traitement la suppression d'emplois, la réduction du personnel. D'ailleurs, dans leurs exigences pécuniaires comme dans leurs revendications morales, elles sont patientes, elles n'apparaissent pas comme un instrument de coterie, et de la sorte en servant leurs intérêts propres elles travaillent au bien public. Le syndicalisme. Les fonctionnaires, grâce à la solidarité, ont pu constituer des groupements, des associations, des fédérations, mais ces organisations sont encore des cadres trop étroits: par suite de la loi de l'émancipation progressive ne pourraient-ils pas constituer des syndicats? Qu'ils soient salariés par l'Etat ou par les particuliers, ils sont soumis aux mêmes lois économiques; qu'ils man. nient la charrue ou qu'ils tiennent la plume, ils doivent s'unir pour lutter en commun contre leur commune misère? Il y a donc un prolétariat de bureaucrates. Or le prolétariat ouvrier a constitué des syndicats, fédérés dans la Bourse du travail: le prolétariat des « ronds de cuir » doit donc adopter la même organisation. Tel est le vœu timide, mais sincère qu'un certain nombre d'agents de l'Etat expriment et que quelques-uns d'entre eux s'efforcent de réaliser. Et ainsi vient de naître un mouvement syndicaliste dont il est nécessaire de tracer brièvement l'histoire. En 1884, depuis que la loi avait sanctionné la légalité des syndicats professionnels, il existait des associations syndicales pour les ouvriers de l'Etat, des départements et des communes; cependant, ceux-ci, quoique émargeant au budget public, ne sont pas considérés comme de vrais fonctionnaires. Mais à leur imitation le syndicalisme a pénétré dans l'administration proprement dite. Aux finances aucune opposition n'est manifestée quand les ouvriers des monopoles fiscaux s'organisent en syndicats. Par contre, le ministre du commerce interdit longtemps ce mode de groupement aux ouvriers des postes et télégraphes. En 1902 M. Pelletan reconnaissait officiellement la légalité des syndicats des ouvriers des arsenaux ; de même se constituèrent les chambres syndicales des égoutiers, des fossoyeurs et des cantonniers de la Seine. Enfin le mouVement syndicaliste pénètre dans une autre sphère administrative où il se multiplie avec une surprenante rapidité : les instituteurs en sont, depuis peu, les fervents propagandistes. Bref, dans la plupart des associations de fonctionnaires, une même tendance se dessine: l'orientation vers la voie syndicale. Ici, encore timide, là, plus nettement marquée, elle s'accentue de jour en jour. Mais quel est le but que poursuivent les initiateurs du mouvement syndicalité? En revendiquant le droit au syndicat, les agents de l'Etat n'entendraientils pas s'attribuer le droit à la grève? Or se syndiquer et faire grève sont deux faits économiques essentiellement distincts que l'on a tort de confondre souvent. Ainsi des travailleurs se concertent pour étudier et défendre leurs intérêts économiques; à cette effet ils personnifient leur entente dans un organisme indépendant, doué d'une vie propre et agissant en leur nom: ils constituent un syndicat.

Mais les moyens d'action dont le syndicat ainsi créé dispose, varient à l'infini; quelques-uns lui peuvent être interdits, sans que son existence soit en rien compromise: telle la grève. Par contre, il n'est point nécessaire d'être syndiqués pour opérer de concert une cessation de travail brusque et générale: c'est ainsi qu'en Belgique ce sont souvent les coopératives qui la proclament. Et d'ailleurs, si nous nous reportons aux textes mêmes de la plupart des syndicats, nous constatons que les membres n'ont nullement l'intention de déserter les services publics, quand bien même les revendications les plus justes n'aboutiraient pas assez vite; la grève est pour eux le dernier moyen à employer et le plus pénible. Si, au contraire, les syndicats sont admis par la loi, ils rendront d'abord les mêmes services que les associations et en outre ils pourront rapprocher les fonctionnaires de tous ordres des groupements ouvriers et ce contact des travailleurs des bureaux et de l'industrie privée permettra un échange de sentiments qui fortifie l'espérance qu'ont tous les travailleurs d'une organisation sociale mieux faite.

Mais ce n'est point à dire que le syndicalisme n'ait pas d'inconvénients. Oui, il a des périls. Il est à craindre que les syndicats, devenant peu à peu régionaux, favorisent la concurrence des intérêts locaux. Pour les instituteurs le danger apparaît différent : dans le contact permanent qui leur serait imposé avec la classe ouvrière, ne perdront-ils pas leur autorité et entraînés dans l'agitation des militants, ne deviendront-ils pas des prapagandistes du socialisme ? Les syndicats n'oublieront-ils pas, dans des alliances compromettantes, le souci de la chose publique qui doit toujours se concilier avec la préoccupation de leurs intérêts professionnels? L'avenir nous le dira. Mais ce n'est pas une raison pour se résoudre à combattre le mouvement syndicaliste. L'évolution sociale se joue des résistances qui la peuvent parfois retarder, mais ne l'ont jamais arrêtée. Il faut l'accepter avec joie et non avec résignation.

ROBERT.

Revue générale d'administration (juin-juillet 1905)

CH. VALETTE.

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Les biens du clergé et le budget des cultes. La question des traitements ecclésiastiques est née le jour où l'Assemblée Constituante mit à la disposition de la nation les biens ecclésiastiques. Pour les uns, l'acte de l'Assemblée fut un excès de pouvoir qu'elle aurait voulu réparer en partie en établissant le budget des cultes. Pour les autres, c'était là un droit de l'Etat sans aucune indemnité obligatoire au clergé. Cette question fut très agitée au cours du xixe siècle. En France la question des traitements ecclésiastiques est intimement liée à celle du Concordat qui a prévu le budget des cultes en 1801.

On ne soulève aucune objection pour la suppression des traitements des clergés non catholiques; mais le clergé catholique, propriétaire dans l'ancienne France, a toujours prétendu que les sommes versées annuellement par l'Etat sont, non un traitement véritable, mais une juste compensation des biens qu'il a perdus.

I. Le clergé sous l'ancien régime. Origine des biens ecclésiastiques. Sous l'ancienne monarchie, les rapports de l'Etat et de l'Eglise catholique étaient régis par le Concordat de 1516, divers édits et ordonnances, le droit canon et les usages. De cette législation se dégageaient deux grands principes.

D'abord chaque siège, chaque fonction ecclésiastique pouvait posséder et acquérir l'emploi était accompagné non d'un traitement mais d'un bénéfice. D'autre part, pour couvrir les frais du culte le clergé pouvait lever sur les contribuables un impôt social.

Ces bénéfices et ces ressources constituant le patrimoine ecclésiastique étaient considerables et s'élevaient à 200 millions. A ces revenus s'ajoutaient encore des avantages précieux: le clergé catholique était ministre d'une religion d'Etat, il sacrait le roi, dirigeait l'enseignement et l'assistance, tenait les registres de l'état civil, avait sa justice, était exempt de toute obligation militaire, jouissait d'immunités exceptionnelles en matière d'impôts; il formait enfin un ordre privilégié. Sa fortune devait suffire à couvrir les dépenses du culte; aussi on ne songeait pas à lui accorder une rétribution quelconque; il ne recevait aucun traitement.

Ce patrimoine s'était constitué lentement, par tous les modes possibles d'acquisition: conquêtes, usurpations, mais surtout donations; ces dernières avaient en vae soit une œuvre charitable, soit un souci d'ordre purement spirituel.

Mais ces biens que le clergé détenait, il ne les possédait pas en réalité. Au début les donateurs ne s'expliquaient pas sur le sens de leurs donations; on donnait au « Christ. Ce n'est que plus tard que le donateur désigne un couvent, une église. Mais le caractère des donations ne varie pas; on considère toujours ces biens com omme « biens de Dieu, des saints, des pauvres », ce fut l'idée constante des écrivains laïques et du clergé lui-même les ecclésiastiques ne sont que des administrateurs ».

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II. La question des biens ecclésiastiques à l'Assemblée Constituante.

Le but de la Révolution en rendant les biens du clergé à la nation, ne fut pas de fonder une église d'Etat, ni de faire face, comme on a l'a dit, à un besoin budgétaire.

La nuit du 4 août, l'Assemblée Constituante enlève au clergé ses droits féodaux, et le 6 août elle supprime les dîmes sans aucune compensation. On continue à les lever pour les besoins du culte jusqu'à ce que l'Assemblée eût trouvé des ressources suffisantes dans les biens du clergé.

Assurer les frais du culte fut donc la première idée de la Constituante en s'emparant des biens de l'Eglise ; mais le besoin d'argent hâta la réforme et la fit dévier de son but primitif: après bien des hésitations, l'Assemblée conclut à la nécessité où se trouvait la nation de s'approprier les biens de l'Eglise.

Les ecclésiastiques atteints dans leur amour-propre et leurs intérêts défendirent leur biens; ils soutenaient que le clergé est une personne morale capable de posséder; et pour justifier sa propriété ils invoquaient des titres et une possession qui, d'après eux, constituaient en droit une propriété. De plus, disaient-ils, l'Eglise a reçu ses biens pour des emplois déterminés et sous des conditions spéciales; la spolier, c'est attenter aux droits des pauvres, à la religion. Enfin, en admettant même que le clergé ne soit pas propriétaire, les biens qu'il administre n'appartiennent pas à l'Etat. Et le clergé administrateur de biens qui n'appartiennent qu'à Dieu, ne peut être dépouillé.

Mais la Constituante a répondu par divers arguments:

a) Arguments juridiques: une personne morale ne peut exister en dehors de la loi qui, lui donnant la personnalité, peut à son gré lui retirer le droit de posséde.

D'ailleurs le droit de l'Eglise n'est pas un droit de propriété, car le clergé n'a pas la libre disposition des biens; sa jouissance est modifiée par la volonté des donateurs.

Admettons même qu'il y avait bien là un droit de propriété légitime avant 1789, il faut dire que le clergé a possédé comme ordre; mais la Révolution a aboli les ordres : leurs biens iront, non à leurs membres anciens qui n'y ont aucun droit comme individus, mais à l'Etat propriétaire légitime de tous biens en déshé

rence.

La nation peut donc légitimement reprendre les biens du clergé.

b) Arguments historiques : les donations faites à l'Eglise avaient pour but de subvenir à des services généraux; culte, enseignement, assistance. Or l'Etat qui s'est longtemps déchargé de ces services sur l'Eglise, peut les reprendre et avec eux les richesses qui les alimentent; les intentions des fondateurs sont ainsi respectées.

c) Arguments pratiques : l'Eglise pauvre et rendue à sa simplicité primitive sera moins critiquée et la main morte si nuisible à la circulation des biens aura disparu.

On peut invoquer aussi la théorie du droit supérieur, souverain de l'Etat, déjà admise sous l'ancienne monarchie, où le roi pouvait dans certains cas disposer des biens de l'Eglise.

C'est donc légitimement que la Constituante adopte le décret du 2 novembre 1789 « les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation qui doit pourvoir d'une manière convenable aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres ».

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III. Origine et caractère du budget des cultes. - C'est du décret du 2 novembre 1789 qu'on fait dériver la créance du clergé sur l'Etat. La mise à la disposition de la nation des biens ecclésiastiques est liée au budget des cultes. L'Etat ne peut sans faire banqueroute à ses engagements priver le clergé d'une rétribution qui est non un salaire, mais une indemnité et, dit-on, la Révolution l'a bien compris en disant que le traitement des ecclésiastiques fait partie de la dette nationale. Bonaparte à son tour dans le Concordat de 1801 assure un traitement convenable au clergé en échange de la promesse faite par le pape de ne point troubler les acquéreurs de biens ecclésiastiques. On ajoute enfin qu'aucun gouvernement n'a contesté la légitimité du budget des cultes et que le Concordat est une loi d'Etat.

Mais cette théorie ecclésiastique repose sur une base fragile. D'abord elle se fonde sur cette idée fausse que le clergé était propriétaire des biens qu'il détenait; la Constituante n'entendait pas accomplir une expropriation, mais une restitution à la nation propriétaire.

D'autre part, la Constituante et Bonaparte ont promis un traitement convenable au clergé; mais envers qui ont-ils pris cet engagement? non envers le clergé qui, n'étant pas propriétaire, ne pouvait exiger une pareille promesse; mais envers eux-mêmes, envers l'opinion et les besoins de la majorité des Français. Ils ont considéré le culte comme un service public indispensable et la religion comme une nécessité. Le clergé est un fonctionnaire rétribué; mais ce clergé que voulaient rétribuer la Constituante et Bonaparte, c'était celui de la Constitution civile, celui qui était fidèle à l'empire, et non un clergé resté sous la domination du Pape.

Le Concordat ne contient nulle part la reconnaissance d'un dette de l'Etat envers l'Eglise : nulle part les négociations préliminaires ne font allusion à un traitement ayant le caractère d'une dette de l'Etat. On a invoqué en faveur du clergé le rapprochement des articles 13 et 14 du Concordat : dans l'article 13, le Pape s'engage à considérer comme un fait accompli la perte des biens aliénés, et

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