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tout cas, bien difficile de maintenir intacte la doctrine soutenue par les conseils universitaires. Elle est désastreuse pour les candidats. Si après avoir fait de longues études et passé de nombreux examens, un intéressé peut rendre tout ce travail inutile en faisant annuler la délivrance du diplôme, ne vaut-il pas mieux tout de suite permettre d'attaquer la décision du jury d'examen ? Dès lors, si les conseils universitaires ont une compétence générale en matière d'examens, il faut élargir la catégorie des individus admis à former le recours.

Voici le texte de l'arrêt du Conseil d'Etat, 9 février 1906:

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux,

Sur le rapport de la sous-section du contentieux,

Vu les deux requêtes présentées par le Syndicat des chirurgiens-dentistes de France, dont le siège est à Paris, 46, rue Lafayette, représenté par le sieur Bonnard, son président, en exercice, les dites requêtes enregistrées au secrẻtariat du contentieux du Conseil d'Etat, les 23 septembre 1903 et 21 janvier 1904;

Ensemble les mémoires ampliatifs présentés pour ledit Syndicat, le 25 juillet 1904;

Lesdites requêtes et lesdits mémoires tendant à ce qu'il plaise au Conseil d'Etat annuler une décision du 27 juillet 1903 par laquelle le Conseil de l'Université de Paris a refusé au Syndicat l'annulation des examens passés devant la Faculté de médecine de Paris par le sieur Henri N... en vue du grade de chirurgien-dentiste et une décision du 9 décembre 1903 par laquelle le Conseil supérieur de l'Instruction publique a rejeté l'appel formé devant lui par le Syndicat contre cette première décision

Ce faire par les motifs que le sieur Henri N... n'était pas dentiste patenté au 1er janvier 1892 et ne pouvait par conséquent être admis à subir lesdits examens avec dispense du diplôme d'études secondaires ou primaires supérieures et dispense de scolarité; qu'en l'y admettant, l'autorité universitaire a fait un acte d'administration illégal ; que le syndicat a aptitude légale et intérêt à agir dans l'espèce;

Vu les décisions attaquées du Conseil de l'Université de Paris et du Conseil supérieur de l'Instruction publique ;

Vu les observations du ministre de l'Instruction publique tendant au rejet de ces requêtes par les motifs que le fait d'admettre un candidat à se présenter à un examen ne constitue qu'un acte scolaire non susceptible de recours contentieux, que par lui-même il ne cause aucun préjudice; qu'en ces matières le pourvoi n'est ouvert qu'au recteur et aux candidats ;

Vu la requête présentée pour le Syndicat des chirurgiens-dentistes enregistrée le 25 juillet 1904 et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler une décision du 8 juin 1904 par laquelle le ministre a refusé de faire droit à sa requête tendant à ce que le diplôme de chirurgien-dentiste ne fût pas délivré au sieur Henri N... ; Ce faire par les motifs ci-dessus rappelés et par le motif que le ministre devait refuser la délivrance du diplôme malgré les propositions du jury universitaire pour faire respecter les dispositions réglementaires ;

Vu la décision attaquée du ministre de l'Instruction publique;

Vu les observations du ministre de l'Instruction publique tendant au rejet de la requête par les motifs que le sieur Henri N... a été régulièrement admis

à se présenter aux examens de chirurgien-dentiste dans les conditions prévues par l'article 5, paragraphe 1er du décret du 25 juillet 1893; il était en effet,

au

1er janvier 1892 associé secondaire de son frère Edmond N... dentiste patenté à Roubaix et il a été reçu à ces examens par le jury universitaire ;

Vu les observations en réplique présentées par le syndicat demandeur et exposant qu'il a été constaté judiciairement que le sieur Henri N... ne justifie d'aucune association ayant existé au 1er janvier 1892 entre son frère et lui ;

Vu les lettres du préfet du Nord desquelles il résulte que le sieur Henri N... a reçu communication des requêtes du syndicat demandeur, en réponse desquelles il n'a présenté aucune observation;

Vu la loi du 30 novembre 1892, le décret du 25 juillet 1893 et les décrets du 21 juillet 1897 ;

Vu la loi du 24 mai 1872;

Out MM. Worms, rapporteur; Raynal, avocat du syndicat; Saint-Paul, commissaire du gouvernement;

Considérant que les trois requêtes susvisées du Syndicat des chirurgiensdentistes ont pour objet de faire décider que le sieur Henri N... a été irrégulièrement admis à se présenter aux examens de chirurgie dentaire et investi à la suite de ces examens d'un diplôme lui donnant le droit d'exercer la profession de dentiste ; qu'ainsi elles ont un objet commun et qu'il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule décision;

Considérant que la loi du 30 novembre 1892 a réservé l'exercice de l'art dentaire aux personnes munies du diplôme de docteur en médecine ou de chirurgiendentiste, que le décret du 25 juillet 1893 a obligé les candidats à ce dernier diplôme à produire un brevet d'études secondaires ou primaires supérieures à justifier de trois années d'études spéciales et à subir trois examens ; qu'il a, dans son article 5, paragraphe 1, dispensé des deux premières de ces conditions, les dentistes inscrits au rôle des patentes au 1er janvier 1892;

Considérant qu'il résulte des décisions judiciaires versées au dossier que le sieur N... n'était inscrit à cette date au rôle des patentes ni comme dentiste ni comme associé secondaire d'un dentiste; que par suite il ne se trouvait point dans les conditions de faveur prévues par l'article 5, paragraphe 1er du décret du 25 juillet 1893; qu'ainsi c'est à tort qu'il a été admis à se présenter dans ces conditions aux examens organisés pour l'obtention du titre de chirurgien-dentiste ;

Considérant que, de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les requêtes dirigées contre les décisions du Conseil de l'Université de Paris et du Conseil supérieur de l'Instruction publique, il résulte que le ministre de l'Instruction publique, en conférant au sieur N... le diplôme de chirurgien-dentiste a excédé ses pouvoirs ;

Décide:

ARTICLE PREMIER

Sont annulées la décision du 8 juin 1904 par laquelle le ministre de l'Instruction publique a rejeté la réclamation du Syndicat des chirurgiens-dentistes de France, et ensemble la décision par laquelle le ministre de l'Instruction publi. que a conféré le diplôme de chirurgien-dentiste au sieur Henri N...

GASTON JEZE,

Professeur de droit administratif à l'Université de Lille,

SECTION II

Analyse de notes de jurisprudence

Sirey 1906-3-1.

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JURISPRUDENCE ADMINISTRATIVE

Note de M. le professeur HAURIOU, SOUS Cons. d'Et., 6 mai 1904, 2 décembre 1904 et 3 mars 1905, à propos d'aliénation et partage des biens communaux.

La législation, tout d'abord tiraillée en des sens divers, s'est montrée incohérente les partages à titre gratuit sont interdits, attendu que les habitants de la commune entre lesquels aurait lieu le partage ne sont point copropriétaires indivis des biens communaux; par contre, de toutes pièces, a été créé un procédé détourné de partage à titre onéreux entre les usagers, au moyen de la vente amiable opérée par la commune. - Touchant la nature de l'opération, quoi qu'on en ait dit (Leb. chr., 1904, p. 762), le Conseil d'Etat, admettant la solution civiliste, assimila le partage à une vente, et déclara l'autorité judiciaire tou. jours compétente pour décider de sa validité (4 août 1864, Bellinet). Touchant l'aptitude à participer à l'acquisition, un revirement s'est produit: après avoir admis (6 mai 1904, Giroudeau) la compétence du juge civil comme une conséquence du caractère (vente) attribué à l'opération, le conseil (2 déc. 1904, Section de Chambourtière, et 3 mars 1905, Aumeunier) a, sur les conclusions de M. Romieu, préféré la compétence du conseil de préfecture. Il a obéi : 1o à cette tendance des intéressés de s'adresser, à propos du droit de participer à l'aliénation fondé sur la jouissance en nature, au conseil compétent pour juger leur aptitude quand il s'agissait de la jouissance en nature elle-même, et 2o à ce motif juridique que, quand le conseil municipal, faisant, comme il l'entend, le règlement de la vente amiable, décide de n'admettre comme acquéreurs que les ayants-droit à la jouissance en nature, il rend du coup applicable à cette aliénation toute la législation, et en particulier la compétence du conseil de préfecture, quant à la jouissance et à l'aptitude à la jouissance en nature. - L'incon vénient de la solution est qu'au cas d'une vente exécutée, par exemple, sur la base d'une liste d'ayants-droit incomplète, les intéressés devront demander à la juridiction ordinaire la nullité de la vente, en se fondant sur l'autorité de la chose jugée devant la juridiction administrative. Il faudrait, comme remède, que les réclamations devant le conseil de préfecture « en participation au partage des communaux » fussent astreintes à un délai très bref, analogue au délai des recours contentieux ordinaires.

Sirey 1906-3-17. :

Note de M. le professeur HAURIOU, sous Cons. d'Et., 1er décembre 1905, en matière d'autonomie communale et de dépenses facultatives, de fraude à la loi et de subventions illégales autorisées.

L'emploi de garde-malade créé avait pour destination avérée de profiter à la directrice de l'école privée communale. Le Conseil d'Etat, mettant à néant l'arrêté du préfet qui avait annulé la délibération portant allocation du crédit en vertu de l'article 63 de la loi municipale, n'a vu là, ni fraude à la loi, ni libéralité déguisée au profit de l'école libre. D'après des arrêts antérieurs (V. notamment 20 février 1891, Villes de Vitré et de Nantes, Sir. 93-3-24), une subvention n'est illégale que lorsqu'elle est directe, lorsque c'est l'école privée elle-même dans son fonctionnement qui est visée, et que son existence se trouve facilitée. La nouvelle décision indique cette autre limite à l'illégalité que, si

les enfants pauvres d'une école privée peuvent être secourus (6 août 1897, Ville de Dax, Sir. 99-3-80), le directeur de l'école privée peut, lui, de son côté, être pourvu d'un emploi communal, à la condition, bien entendu, que cet emploi ne soit pas relatif à l'enseignement dans l'école privée. En fait, les écoles privées qui se trouveront indirectement consolidées par de pareilles combinaisons ne seront jamais bien nombreuses. En tous cas, dit très justement M. H., il serait fâcheux d'annihiler le peu d'autonomie communale existante en multipliant les cas de fraude à la loi, et il y a lieu, au contraire, d'espérer que les mêmes dispositions d'esprit, sages, libérales et élevées, prévaudront lorsqu'il s'agira d'appliquer la loi du 9 décembre 1905, aux ministres des cultes, qui doivent désormais être légalement ignorés » des autorités publiques, en vertu du principe de séparation, et être traités comme des citoyens ordinaires, aptes, le cas échéant, à remplir des emplois communaux.

Sirey

1906-3-33.

Note de M. le professeur HAURIOU, sous une série d'ar rêts Cons. d'Et., sur la portée de la loi du 31 mars 1903, art. 5, portant réforme de l'impôt des prestations.

Cette loi qui a autorisé les conseils municipaux à remplacer le produit de l'impôt des prestations par une taxe vicinale consistant en centimes additionnels aux quatre contributions directes, n'a ni supprimé la faculté de libération en nature (art. 5, § 5), ni modifié le produit de l'impôt (art. 5, § 1); l'objet et le but n'a pu être qu'une modification dans l'assiette de l'impôt, et, de fait, l'administration a, dès la première heure, réparti le montant du produit des prestations entre tous les contribuables inscrits au rôle général des quatre contributions directes 1° sans tenir compte, au profit des femmes, vieillards, mineurs de dixhuit ans ou propriétaires forains, des exemptions spéciales à l'impôt des prestations, et 2o en exceptant seulement des gens qui, normalement frappés par les prestations, comme les fermiers ou les concessionnaires de mines, ne peuvent plus l'être par les centimes additionnels, parce qu'ils ne sont pas propriétaires et ne paient qu'une cote mobilière dérisoire, ou que la redevance minière n'en comporte pas. M. H. montre qu'« alors même qu'on l'aurait voulu, on n'eût pas pu continuer de frapper exactement les mêmes contribuables et que si la loi n'en atteignait pas de nouveaux, elle serait parfaitement absurde, parce qu'elle n'atteindrait même plus tous les anciens ». Pratiquement est regrettable le remplacement de plus en plus décidé par les communes d'un impôt fructueux et d'assiette spéciale comme les prestations par les centimes additionnels auxquels tant d'autres ressources sont déjà demandées; mais le mouvement qui n'a point encore supprimé le rôle spécial et Favertissement de la taxe vicinale, ne pourra être entravé et toute résistance des contribuables paraît inutile, du moins sur le terrain du contentieux.

JURISPRUDENCE JUDICIAIRE

Sirey 1906-1-41. Note de M. le professeur FERRON, SOUS Cass. civ. 12 juin 1901 (Conf. concl. proc. gén. Laferrière) et 3 juillet 1905, à propos de la responsabilité de l'Etat quant aux biens consacrés à un service public.

Dans ces arrêts relatifs aux conséquences de l'incendie de l'Opéra-Comique, certains points sont hors de contestation, ceux-ci par exemple, que pour la gestion de son domaine privé, l'Etat n'a point le privilège de juridiction, et que l'entreprise fonctionnant à l'Opéra-Comique, subventionnée pécuniairement et par la concession de la salle et des décors, ne constituait pas un service public,

-

non plus que l'édifice dans lequel avait lieu cette exploitation ne faisait partie du domaine public. - Cependant, pour repousser un moyen développé devant elle, la Cour a décidé qu'alors même que les travaux de construction de l'OpéraComique eussent constitué des travaux publics, de la compétence du conseil de préfecture, au moment où ils étaient effectués, ils étaient, du jour de leur réception, partant de leur entrée dans le domaine privé, de nature à soumettre l'Etat, comme un propriétaire ordinaire, à la responsabilité de l'article 1386 C. civ. et à la juridiction de droit commun, Solution grave, attendu 1° qu'on peut logiquement l'étendre, non seulement à tous les biens du domaine privé, mais aux édifices mêmes affectés à un service public, si l'on tient tout au moins qu'ils ne font pas partie du domaine public, et 2° qu'elle paraît opposée à des décisions (24 mai 1884. Linas, et 30 juin 1894, Losser) du Tribunal des conflits, en matière de dommages causés par les travaux publics. Les conclusions, rigoureusement déduites, de la note de M. Ferron sont que s'il y a travail public, le conseil de préfecture, compétent quant aux dommages, ne perd pas sa compétence du jour où ce travail est définitivement reçu par l'administration, alors même que l'édifice entrerait dans le domaine privé, et 2o qu'au cas même où l'Etat, comme auteur d'un travail public, serait recherché devant le conseil de préfecture en vertu de la loi de pluviôse an VIII, les victimes pourraient, si l'édifice fait partie du domaine privé, et sans rechercher s'il est ou non le résul tat d'un travail public, poursuivre l'Etat, comme propriétaire, devant les tribunaux civils. Cette dernière solution met d'accord toutes les juridictions; elle n'est, au surplus, admissible que relativement aux bâtiments désaffectés, pour ceux qui rangent dans le domaine public les édifices consacrés à un service public.

Sirey, 1906-2-25.

Note de M. le professeur TISSIER, Sous Caen, 3 décembre 1902, à propos de la nature et des effets des fondations de messes ou services religieux.

La question déjà discutée sous le régime du Concordat se pose encore depuis la loi du décembre 1905, à un quadruple point de vue :

I. Mode de réalisation. Lorsque celui-ci était, non point une disposition testamentaire, mais un contrat passé entre le fondateur et la fabrique de l'église, il y avait, de l'avis du Conseil d'Etat, communément contrat à titre onéreux, et libéralité avec charges au cas seulement où la fabrique recevait une somme ou rente supérieure au prix des messes à célébrer; cette analyse de l'opération offrait, au point de vue fiscal, un intérêt disparu aujourd'hui que les associations cultueles ne pourront recevoir de libéralités proprement dites. Dorénavant donc la fondation, quelle que soit la forme ou la qualification qu'elle aura reçue, devra toujours avoir, à l'égard de l'association cultuelle, un caractère commutatif, et ne pas dissimuler une libéralité.

II. Conditions de la résolution ou révocation. Au cas où les messes convenues ne seraient pas dites, il y a lieu à résolution ou révocation selon que l'on voit dans la fondation un contrat à titre onéreux ou une donation avec charges; en tous cas, la demande n'en doit être accueillie que si la preuve est faite d'une infraction grave aux obligations conventionnelles et de nature à comporter une telle sanction d'après la saine interprétation du contrat; ce qui a amené la jurisprudence à la refuser aux cas (que la loi de séparation rendra vraisemblable" ment plus fréquents) de changements accessoires ou dus à la survenance d'évè nements non prévus lors du contrat, tels que modification du tarif des messes

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