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vement pacifiste, l'œuvre débutante de la juridiction de La Haye et l'intérêt d'une matière propice à remarques neuves et suggestives sur la nature des litiges et le développement de la procédure; réserve y est faite de la médiation pour les cas où l'arbitrage n'est point admis ou admissible parce que les difficultés à résoudre n'admettent pas un jugement selon les règles du droit et impliquent surtout des questions de puissance; une évolution vers l'adoption de la clause compromissoire et l'usage des traités permanents y est esquissée de fort bonne manière, tandis que le progrès d'une pratique sur l'autre est aussi marqué; enfin et surtout, l'appréciation du mouvement et des divers instruments est exempte des termes excessifs qui, par le fait même et à raison de leur danger national, demandent à être immédiatement contredits et réprouvés.

Restent, d'une part, l'étude de la personnalité étatique et le principe de souveraineté, et, d'autre part, les conditions nécessaires à l'accomplissement par les Etats de leur mission internationale. Sur le premier point, toute la doctrine de M. M. tient en une formule (I, 115): « L'Etat est une personnalité morale, souveraine et indépendante, reconnue comme telle dans la collectivité des Etats, propriétaire d'un territoire fixe et permanent, dirigeant librement, sans aucune immixtion étrangère prépondérante, sa politique intérieure ou extérieure, et capable, grâce à son organisation interne, d'assurer soit l'exercice de ses droits, soit l'exécution de ses obligations ». Il serait hors de propos d'essayer d'en faire ici une discussion; qu'il me soit permis de dire quel en est, à mes yeux, le caractère inquiétant ou suspect à raison du crédit prêté tout à la fois à la double abstraction de la personnalité et de la souveraineté de l'Etat, et à l'idée toujours indémontrée d'auto-limitation (par définition même non universelle et non obligatoire) de l'Etat créateur du droit; aussi bien, la volonté des gouvernants, dont la précaire puissance est simplement un fait de plus. grande force, me paraît, comme à M. Duguit (L'Etat, I, 5, 15, 19, 24, 29, 80, 97, 242, 259, 262, 264, etc.), n'avoir aucune essence supérieure, et puiser seulement ses titres à l'obéissance des plus faibles dans l'obéissance préalablement prêtée par ceux qui commandent au droit objectif, i. e. aux règles de la solidarité sociale telle qu'elle convient à une heure et à une société déterminées; ce qui est également vrai dans l'ordre international, de plus en plus dominé par une solidarité organique née de la division du travail; en effet, comme l'a très bien indiqué le professeur Huvelin (L'histoire du droit commercial, dans la Rev. de synthèse histor., t. VII, 1903, p. 76), la communauté internationale est née du besoin pour les sociétés organisées, comme pour les groupes segmentaires, d'entrer en contact les unes avec les autres ou avec des sociétés moins avancées et subjuguées économiquement ou politiquement, l'état de paix étant ainsi la règle ou du moins l'état normal conseillé ou imposé par un intérêt commun supérieur. Mais par là s'accuse mon hostilité au << vieux dogme étroit et sec» de l'indépendance des Etats, c'est-à-dire une autre divergence d'opinion entre M. M. et son ancien élève : alors que le professeur

croit encore à la nécessité pour l'Etat d'être « muni de droits essentiels sans lesquels toute action et même toute existence lui seraient déniées » (I, 232), il me paraît (Cpr. Pillet, Recherches sur les droits fondamentaux des Etats dans l'ordre des rapports internationaux, 1899, p. 8-22) que le droit au commerce est non un produit et un effet, mais un facteur et la cause première du droit des gens, celui au respect extérieur formel et insignifiant, celui à l'égalité démenti par les faits, celui à l'indépendance, enfin, si loin d'être un attribut essentiel des Etats que ceux-ci peuvent accidentellement et par leur volonté le perdre ou y renoncer pour le tout ou pour partie, et qu'à nulle époque ils ne peuvent en jouir et l'exercer d'une manière illimitée à peine d'empiéter sur les droits de la communauté internationale et de contredire à la seule et féconde loi de l'interdépendance des nations (V. Michoud et de Lapradelle, La question finlandaise, dans la Rev. du dr. publ., t. XV, 1901, p. 47; de Lapradelle, La question chinoise, dans la Rev. gén, de dr. int. publ., t. VIII, 1901, p. 340); ceci m'amène autrement que M. M. à réduire la reconnaissance interna. tionale à une idée de respect des intérêts toutes les fois qu'il y a contact de plusieurs Etats à l'occasion d'affaires communes, et à tenir cette même loi du plus grand respect des intérêts des Etats dans leurs relations réciproques pour légitime dans la même proportion où elle est conforme à la solidarité internationale, toute prétention émise par un Etat d'empiéter sans nécessité sur la liberté d'un autre étant illicite au premier chef et contraire aux droits de ladite communauté internationale.

Cependant il ne serait point admissible d'insister sur des différences d'analyses et de conceptions, alors que, faute de place et par l'impossibilité bien connue d'exprimer en la sécheresse d'un compte-rendu toute la substance de riches manuels ou ouvrages d'ensemble, presque rien n'a été dit sur la documentation variée, l'art réel et la claire science de ce livre où chacun pourra puiser, le sociologue comme l'historien, le juriste comme le politique, pour avoir ou se ménager une connaissance nette ou approfondie des premiers et des derniers problèmes du droit des gens.

JOSEPH DELPECH,

Professeur agrégé de droit public à l'Université d'Aix-Marseille.

Notes sur les Comptes-rendus des séances du Parlement anglais au XVIII siècle conservés aux archives du ministère des affaires étrangères, par PAUL MANTOUX, agrégé d'histoire et de géographie. 1 vol. pet. in-8, 108 p. Paris, 1906, Giard et Brière. 2 fr. 50.

Cette plaquette est une « thèse complémentaire » soutenue en Sorbonne le vendredi 9 février 1906. Elle est, par son objet, tout à fait de nature à intéresser l'histoire du droit constitutionnel, et par sa méthode absolument conforme à cette discipline du nouveau droit public (dont, à

certains égards, les ouvrages de M. Lameire, sur La conquête dans l'an· cien droit et Les occupations militaires en Espagne sont une intéressante manifestation) de rechercher comme points d'appui aux exposés historiques et comme préliminaires aux développements synthétiques ce qui peut exister dans les différentes archives diplomatiques. Aussi bien, M. M. a-t-il, volontairement ou inconsciemment, rendu un signalé service en particulier à quelques professeurs de ces Facultés de droit où les études historiques et philosophiques seraient, à en croire un vieux préjugé âprement maintenu, étouffées par la préparation aux examens. Mais il y a mieux à faire que de montrer comment, dans des livres ou préfaces de livres issus de ces facultés, il aurait trouvé, ou bien des explications politiques et judiciaires vraiment complètes sur les circonstances à la suite desquelles la publication des débats du Parlement perdit, à dater de 1771, son caractère illicite et à demi clandestin, ou bien encore la trace d'autres livres datant de la première moitié du xvne et de la fin du XVIIIe siècles, ceux de sir Simonds d'Ewes ou de Smolett notamment, pour compléter la liste fort érudite qu'il donne pp. 6 et 7 note 1. Cette meilleure attitude consiste à rapporter la substance de son étude bien inspirée dans ses affirmations et d'une très réelle portée documentaire.

Il est heureusement d'autres sources de l'histoire parlementaire anglaise que les Journaux des deux Chambres, qui furent commencés sur l'ordre du Parlement vers le milieu du xvn siècle, et dont la raison d'être est de fournir aux intéressés un répertoire authentique, par ordre de dates, des affaires expédiées, et en même temps un recueil vénérable des précédents où se conserve la constitution non écrite de l'Angleterre (p. 2-4). Une première catégorie, toujours citée de préférence à des recueils anciens et devenus fort rares, est représentée par la Parliamentary history of England de Cobbett, à laquelle font suite jusqu'à l'heure présente les Parliamentary Debates de Hansard. Ses auteurs, outre les recueils, largement mis à profit jusqu'en 1743, de Timberland et de Chandler, puisè rent à des sources plus directes, sinon plus authentiques: 1o exceptionnellement, à des documents fragmentaires, ayant la valeur de témoignages directs, comme le Journal parlementaire de Philip York et les papiers du lord chancelier Hardwicke (p. 15); 2° à partir de 1762, pour des débats ou des discours isolés, à des périodiques comme l'Annual Register ou le Political Register (p. 16), et de 1775, d'une manière très large, au Parliamentary Register continuant l'insuffisante collection d'Almon; 3o enfin et surtout, avec une alternance perpétuelle, aux comptes-rendus, très sommaires, donnant une idée simplement approximative des débats (p. 31), trop littéraires et souvent pareils à des morceaux d'école ou des amplifications oratoires (p. 24, 30), parus, peu de temps après chaque débat, dans les périodiques contemporains, notamment le London et le Gentleman's Magazine (p. 13), dont le mode de rédaction fait (p. 21-29) l'objet de détails intéressants, et qui, reproduisant régulièrement tout au moins les expressions les plus saillantes des discours, font préjuger l'authenticité de ces

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discours et par là même fournissent une forte présomption en faveur du

reste.

Une deuxième catégorie, dont les recherches de M.M. ont le très grand mérite d'avoir signalé l'importance comme contribution pour l'étude critique des débats parlementaires anglais et l'histoire des idées politiques de France (p. 35), comprend les documents diplomatiques, postérieurs à la Restauration, remontant au temps de Louis XIV et de Charles II, conservés d'une façon bien inégale (p. 56) aux archives des Affaires étrangères. Leur envoi, intermittent et exceptionnel jusqu'en 1733 (p. 50), régulier, au contraire, depuis qu'entre 1730 et 1740 les Français découvrirent l'Angleterre politique jusqu'alors profondément ignorée (p. 53), mais très naturellement suspendu (p. 57) pendant les guerres de la Succession d'Autriche (1742-1748) et de Sept Ans (1756-1763), s'explique par ce fait (p. 34) que les gouvernements avaient trop d'intérêt à être tenus au courant des affaires intérieures de l'Angleterre, tant était grande leur habitude d'intriguer avec les partis politiques anglais. Leur caractère est fort différent (p. 61). Les uns, telle la relation (1679) de l'impeachment contre Danby (p. 39-45), affectant une forme intermédiaire entre celle d'un procès-verbal et d'un compte-rendu proprement dit, se bornent à l'énumération des affaires traitées et des résolutions prises, et n'ont ainsi, en raison de cette sécheresse extrême, qu'une importance à peu près nulle (p. 62); ce sont tout simplement des résumés des procès-verbaux officiels, aisément communiqués par les clercs mêmes du Parlement, attendu que les Chambres avaient entendu tenir secrets, non leurs ordres du jour et leurs votes, mais seulement le détail des discussions et les opinions émises par leurs membres (p. 65, 66). D'autres, plus rares d'ailleurs (p. 49), comme le compterendu du conflit survenu en mars 1679 entre le roi d'Angleterre et la Chambre des communes au sujet de l'élection du Speaker (p. 45-49), analysent les discussions, donnent les noms des orateurs et précisent le sens des arguments échangés, de manière à reconstituer la physionomie et l'allure d'un débat; par quoi (p. 64) ils comblent les lacunes et suppléent aux défauts des sources déjà connues, car leur texte était l'œuvre sûre de témoins directs, rédacteurs indépendants payés pour chacun des comptesrendus adoptés (p. 68), ou agents spécialement chargés de suivre les débats du Parlement (p. 70), dont les rapports étaient envoyés à Versailles dans le courant de la semaine subséquente à chaque séance, tandis que les comptes-rendus des magazines ne paraissaient que longtemps après (p. 66). Comme une preuve du parti à tirer de ces documents jusqu'à présent inutilisés, M. M. a eu la très heureuse idée : 1o de reproduire, à la fin de sa brochure, deux débats, l'un, du 19 février 1735, sur l'effectif des équipa ges de la flotte (p. 83-102); l'autre, du 27 mai 1751, sur le fameux bill de régence, dont l'article 14 stipulait qu'à l'avènement d'un roi mineur le mandat du Parlement serait de plein droit prolongé de manière à éviter une élection générale (p. 74-80), et 2o de montrer, par une comparaison instituée avec les textes déjà connus de la Parliamentary History, du Lon

don et du Gentleman's Magazine, que les archives des Affaires étrangères fournissent un compte-rendu vraiment unique. Ce faisant, il a donné « une indication dont les travailleurs profiteront », et s'est réservé pour lui-même le rôle enviable qui est celui des initiateurs et des laborieux de la première heure.

JOSEPH DELPECH,

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Cours Ch. Seignobos. Histoire moderne, 1715-1815, et Histoire contemporaine depuis 1815, par CH. SEIGNOBOS et ALBERT MÉTIN. 2 vol. in-16, 603 et 716 p. Paris, A. Colin, 1904.

Les lecteurs aux larges curiosités de la Revue du droit public, professionnels de l'étude ou curieux de l'évolution des sciences politiques, ne trouveront rien d'anormal à ce que mention soit faite ici de ces deux volumes rédigés conformément aux nouveaux programmes de l'enseigne. ment secondaire, et tout spécialement des chapitres relatifs à l'histoire de l'Europe et de l'Amérique, qui, dans le second surtout, sont l'œuvre de M. Seignobos. On a dit de ces programmes du 31 mai 1902, non accompagnés d'instructions explicatives, que leur intention, concordante avec les nécessités de l'enseignement des classes de première et de philosophie, avait été de ménager une transition entre les deux ordres d'enseignement secondaire et supérieur (Rev. historique, t. LXXXI, ann. 1903, p. 347); or, tandis, que changeaient ainsi les programmes, les méthodes d'enseignement, trop préoccupées jadis de chronologies et de narrations, semblent avoir évolué avec un succès plus heureux de découverte des lois historiques et d'essais synthétiques d'histoire politique, intellectuelle et sociale; en fait, l'expérience s'acquiert vite, irréfragable, attristante, sinon irritée, que l'universalité presque des étudiants de toutes provenances ignorent les moindres éléments de la science ainsi pratiquée; aussi bien, dans les Facultés de droit, serait-il nécessaire, et est-il possible, d'en exiger, sous menaces, la sommaire connaissance. Il y a peu d'années encore, il n'existait, comme œuvres réduites et de lecture rapide, que des manuels touffus et des livres, eux aussi dépourvus parfois d'impartialité, comme Les Constitutions de la France de F.-A. Hélie; aux uns et aux autres ont succédé soit des Cours, au récit plein de vie, comme ceux de M. Seignobos, qui tirent surtout leur intérêt d'un choix tout particulièrement érudit et avisé de ce qui est essentiel, soit des Notices, d'une précision sans pareille, comme celles placées en tête des Constitutions et principales lois politiques de la France depuis 1789, par MM. Duguit et Monnier, auxquelles est demeuré étranger le dessein d'exposer la succession des doctrines politiques, mais qui, d'une manière objective et des plus sûres, ont touché l'histoire interne toutes les fois que l'exigeait l'intime association de la forme et du fond. A vrai dire, le livre de longue haleine n'existe point

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