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1o Le sous-secrétaire d'Etat avait-il compétence pour prononcer la mise à la retraite ?

2o Dans le cas de l'affirmative, avait-il l'obligation de motiver sa décision?

Le Conseil d'Etat a laissé la première question sans réponse, attendu que la décision attaquée était, à ses yeux, manifestement nulle pour défaut de motifs. Mais la question générale des pouvoirs des soussecrétaires d'Etat comme autorités administratives a été déjà résolue implicitement par un arrêt du 2 décembre 1892, Mogambury (Rec., p. 838 et s.). Dans les conclusions qu'il a présentées à cette époque comme commissaire du gouvernement (1), M. Romieu formulait les règles suivantes :

I. « La délégation faite par les ministres aux sous-secrétaires d'Etat en l'absence d'une autorisation du chef de l'Etat est d'une légalité contestable ».

II. « Il appartient au Président de la République d'effectuer luimême cette délégation aux sous-secrétaires d'Etat d'une partie des attributions ministérielles, par voie de simple décret ».

III. « Lorsque cette délégation a été ainsi faite, le sous-secrétaire d'Etat a la plénitude de ces attributions, sous deux réserves: 1o en vertu des règles constitutionnelles, la délégation faite à un soussecrétaire d'Etat ne pourrait avoir pour effet ni de substituer sa responsabilité à celle d'un ministre, ni de lui permettre de contresigner un acte du chef de l'Etat; 2o la faculté de délégation réservée au Président de la République peut être limitée par des lois ordinaires, lorsque ces lois auront entendu effectuer elles-mêmes une répartition ou une délégation d'attributions et s'opposer, en conséquence, à toute initiative du pouvoir exécutif ».

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Plus spécialement, en matière de pensions, c'est le point qui nous intéresse, M. Romieu a posé les trois règles suivantes :

1o La mise à la retraite qui, d'après la loi du 9 juin 1853 (art. 19), devait être faite par le ministre, a été régulièrement déléguée par le décret du 9 novembre 1853 (art. 29) aux chefs de service qui ont le pouvoir de révocation (Conseil d'Etat, 4 avril 1879, Houlié, Recueil, p. 295). Donc, le sous-secrétaire d'Etat a compétence pour prononcer

(1) Un exposé très complet de la situation juridique des sous-secrétaires d'Etat a été fait par M. le commissaire du gouvernement ROMIEU dans l'affaire Mogambury. Les conclusions sont rapportées in extenso dans le Recueil des arrêts du Conseil d'Etat, 1892, p. 836 à 84a.

la mise à la retraite. Ceci donne la solution de la question soulevée par l'affaire Pannesot, 1906.

2o La liquidation de la pension est d'essence ministérielle et peutêtre déléguée par le Président de la République au sous-secrétaire d'Etat.

3o Pour la concession de la pension, comme elle ne peut résulter que d'un décret contresigné par un ministre, la délégation à un soussecrétaire d'Etat n'est pas possible.

Sur la deuxième question,

absence de motif, le Conseil d'Etat

a donné gain de cause au sieur Pannessot.

Voici le texte de l'arrêt :

Vu le décret du 27 mai 1897;

Vu la loi du 24 mai 1872;

Ouï M. Worms, auditeur, en son rapport;

Our M. Talamon, avocat du sieur Pannessot, en ses observations;

Ouï M. Saint-Paul, maître des requêtes, commissaire du gouvernement, en ses conclusions;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen de pourvoi :

Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret du 27 mai 1897 le fonctionnaire admis à faire valoir ses droits à la retraite pour ancienneté de services continue à exercer ses fonctions jusqu'à la délivrance de son brevet de pension, à moins de décision contraire rendue sur sa demande, ou motivée soit par la suppression de son emploi, soit par l'intérêt du service; que le sieur Pannessot a été admis à la retraite par décret du 25 septembre 1903 et que la décision attaquée a fixé au 30 novembre suivant la date de la cessation de ses fonctions sans qu'à ce moment son brevet de pension lui eût été délivré ; que cette décision, qui n'a point été rendue sur la demande du sieur Pannessot, ne porte l'indication d'aucun motif; qu'ainsi elle ne satisfait pas aux prescriptions du décret ainsi rapporté et qu'elle ne peut être maintenue;

Décide :

ART. 1er

La décision du sous-secrétaire d'Etat des Postes et Télégraphes en date du 12 octobre 1903 est annulée.

G. J.

SECTION II

Analyse de notes de jurisprudence

JURISPRUDENCE ADMINISTRATIVE

Sirey: 1906-3-49.

Note de M. le professeur HAURIOU, sous une série d'arrêts du Conseil d'Etat, [Communes de Gorre, 11 décembre 1903; Villers-sur-Mer, 22 avril 1904; Messé, 29 avril 1903], relativement à la recevabilité et à l'élargissement de la recevabilité du recours pour excès de pouvoir.

Dorénavant, contre les délibérations des conseils municipaux ou des conseils généraux et contre les arrêtés de tutelle des préfets, tous les intéressés, communes, conseillers généraux ou municipaux, simples contribuables, sont invités à se pourvoir directement, sans plus se préoccuper des actes de gestion faisant partie de la même opération que des droits acquis nés à sa suite. Jusqu'ici, au contraire, le recours pour excès de pouvoir était déclaré irrecevable contre les décisions exécutoires administratives qui avaient servi de base aux opérations du commerce juridique (contrats de droit civil ou administratifs) conférant aux parties des droits acquis la jurisprudence décidait, en effet, que de l'opération consécutive à la décision naissait toujours un recours contentieux de pleine juridiction permettant à l'intéressé de poursuivre (d'une manière plus ou moins compliquée suivant que, prise dans son ensemble, l'opération était de la compétence d'un juge administratif ou de l'autorité judiciaire) l'annulation de l'opération tout entière, et elle opposait au recours pour excès de pouvoir les mêmes raisons, tirées du « caractère définitif désormais acquis à ces actes an regard de l'autorité et de la juridiction administrative », qu'au retrait volontaire desdites décisions. Les raisons de distinguer n'auraient point manqué cependant; car, dans l'hypothèse du recours pour excès de pouvoir, il ne s'agit plus d'un retrait non motivé, qui peut provenir d'un simple caprice ou de raisons d'opportunité ou de politique, mais d'une incrimination formelle, d'excès de poupouvoir, qui vicie, ou est déclarée vicier, l'opération tout entière, et dont l'examen contentieux, en tant qu'il est enfermé dans des délais, ne risque pas de prolonger indéfiniment l'incertitude sur la valeur juridique des actes. Mieux vaut donc ouvrir, tout de suite, et à tous, aux contractants mêmes, le recours pour excès de pouvoir, malgré l'existence d'un recours parallèle dont le moindre défaut est d'entraîner des complications de procédure. — La disjonction des deux hypothèses est maintenant faite 1o Le recours d'intéressés étrangers au contrat est admis contre l'acte de tutelle devenu définitif par incorporation à ce contrat ou à l'opération ayant conféré des droits acquis (Martin, 4 août 1905; Petit, 29 décembre 1905; Camus, 6 avril 1906). Or, la solution tire une grande importance de ce fait qu'aujourd'hui le recours contre les délibérations des assemblées municipales et départementales est ouvert de la manière la plus large aux intéressés (L. 5 avril 1884, art. 123), contribuables (Cons. d'Et., 29 mars 1901, Casanova), et membres des assemblées (Cons. d'Et., 1er mai 1903, Bergeon). Toujours est-il que, dans ces hypothèses où les requérants étrangers à l'opération n'ont point à leur disposition l'action du contrat, le devoir est naturel pour les administrations d'attendre, avant de procéder à l'exécution de leurs décisions, pour s'assurer qu'elles ne seront pas attaquées dans les délais, d'ailleurs si brefs, assignés par la loi au recours pour excès de pouvoir. 2° La fin de non-recevoir

tirée de l'existence d'un recours parallèle a été, d'autre part, écartée à l'encontre du réclamant même qui, ayant été partie à l'opération de gestion consécutive à la décision administrative, en retira des droits acquis (Communes de Gorre, 11 décembre 1903; Villers-sur-Mer, 22 avril 1904, Messé, 29 avril 1904): la question de l'excès de pouvoir dans l'acte de tutelle est déclarée entièrement distincte de celle relative à la validité d'un bail, par exemple, conclu en exécution de cet acte. En réalité, les deux questions sont liées, attendu que, si l'arrêté du préfet est annulé, la nullité du bail pourra ensuite être demandée; il n'empêche que, selon la volonté très nette du Conseil d'Etat, les décisions exécutoires qui précèdent, suivent ou accompagnent des actes de gestion ne doivent point, comme le prétend une doctrine fort soutenue en Allemagne et en Italie, être considérés comme s'incorporant à eux pour constituer des actes complexes: ces décisions et ces actes se conditionnent dans une certaine mesure; mais, dans une certaine mesure aussi (au point de vue notamment du choix des procédures, et de l'indépendance établie entre la demande d'annulation pour excès de pouvoir des décisions exécutoires et la poursuite au civil de la rupture du lien contractuel entre les parties), leur existence et leur validité juridiques doivent être envisagées d'une façon distincte. Finalement, par le progrès de l'analyse juridique, <c'est l'indépendance du contentieux de l'annulation par rapport à celui de la pleine juridiction qui s'accentue..... Il faudrait s'attendre alors à voir disparaître la fin de non-recevoir tirée de l'existence d'un recours parallèle, dans toutes les hypothèses où on l'opposait jusqu'ici, parce que l'acte fait partie d'une opération de gestion qui engendre un recours contentieux de pleine juridiction. Elle ne subsisterait guère, pour écarter le recours pour excès de pouvoir, que lorsque, contre le même acte, il existerait d'autres recours en annulation, par exemple la voie de nullité spéciale contre les délibérations des conseils municipaux ».

Sirey 1906-3-101. :

Note de M. le professeur HAURIOU, sous Cons. d'Et., 2 décembre 1904, et Trib. des Conflits, 3 juin 1905, de Richard d'Aboncourt, au sujet de la condition juridique des chemins de fer d'exploitation des mines.

A raison de cette circonstance, dégagée dès la discussion même de la loi de 1810, que la propriété des mines est doublement enclavée, par rapport 1o à la surface, où elle doit pouvoir amener ses produits, et 2o aux voies de commu. nication, sous lesquelles elle doit pouvoir acheminer ses produits une fois amenés à la surface, le législateur a accordé au concessionnaire vis-à-vis des terrains de la surface un droit d'occupation de nature et de condition différentes suivant qu'il s'agit 1o de travaux (autorisés par simple arrêté préfectoral, art. 43, L. 27 juillet 1880) destinés à assurer l'extraction et à ménager des voies de communication pour le transport des produits, ou 2o de travaux (nécessitant une déclaration d'utilité publique prononcée par un décret en Conseil d'Etat, art. 44, L. 27 juillet 1880) accomplis à l'intérieur du périmètre et modifiant le relief du sol ou exécutés à l'extérieur dudit périmètre sans aucune modification du sol. Or, pour les chemins de fer relevant de la deuxième catégorie de travaux, l'administration interdit tantôt et tantôt impose le service public. - Sur quoi, la jurisprudence, au premier cas, motif pris de ce que l'autorisation donnée à des travaux n'en fait pas nécessairement des travaux publics [Cpr. Notes de M. Hauriou, sous Trib. Confl., 29 juin 1895, Réaux, Sir., 97. 3. 49, et 10 nov. 1900, Préfet des Bouchesdu-Rhône, Sir., 1901. 3. 33] décide que lesdits chemins de fer ne sont pas ouvrages publics, et par suite, bien loin d'être incorporés au domaine public, restent la propriété privée de la compagnie minière; ce qui est a fortiori la condition des che

mins autorisés par simple arrêté préfectoral et sans cahier des charges, construits à l'intérieur du périmètre, et non grevés d'un service public de transports. Par contre, au deuxième cas, elle admet et la qualité d'ouvrages publics et la domanialité publique, dès lors que le chemin de fer est affecté même partiellement à un service public de transports. Au total, elle obéit à la crainte de diminuer pour la propriété minière le caractère de propriété privée; l'effet de ce scrupule paraît exagéré à M. Hauriou: le même transport des minerais, qui paraît être d'utilité publique assez pour justifier au profit de cette propriété minière l'expropriation avec la procédure administrative de la loi du 3 mai 1841, ne l'est point assez pour être qualifié de service public; il faudrait, ou bien considérer le chemin de fer comme une propriété privée, appliquer pour l'expropriation nécessaire quelque servitude analogue à celle d'aqueduc créée par la loi du 29 avril 1845 pour l'irrigation des propriétés, ou bien, à maintenir les formes de l'expropriation pour cause d'utilité sociale, transformer la compagnie minière en concessionnaire de travaux publics pour l'exploitation de son chemin de fer, attribuer ainsi le caractère d'ouvrage public audit chemin de fer dans tous les cas où la déclaration d'utilité publique permet l'expropriation.

31 juillet 1906.

JOSEPH DELPECH,

Professeur agrégé à la Faculté de droit

de l'Université d'Aix-Marseille.

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