Page images
PDF
EPUB

Troisième conséquence. requis peut refuser son approbation et, par là, empêcher l'accomplissement de l'acte. Toutes les fois que la loi ou le règlement ne fixe pas le moment auquel il doit manifester sa volonté, le ministre peut régulièrement, au moment qui lui plaît, décider que tel acte requérant sa collaboration ne sera pas accompli Ceci est très important dans le gouvernement parlementaire où le ministre est le seul canal régulier pour arriver au chef du pouvoir exécutif. Cela signifie qu'en France, où les ministres ont seuls l'initiative des actes qui seront soumis au Président de la République (1), le ministre qui a décidé qu'un certain acte nécessitant le concours du Président ne sera pas accompli, peut refuser de proposer cet acte au Président; la décision de refus de proposition est parfaitement régulière Le ministre ne commet aucun excès de pouvoir. Sa décision est à l'abri du recours en annulation. Une hypothèse pratique est celle où la loi a décidé qu'un établissement ne pourrait être créé qu'à la suite d'une autorisation donnée par décret du Président de la République. Le ministre compétent, saisi d'une demande d'autorisation, n'est pas tenu de la présenter au Président de la République. Il peut, dès la réception de la demande, refuser sa collaboration; par là, il est certain que l'autorisation ne pourra pas être accordée. Il est donc inutile d'aller plus loin. Le ministre peut donc notifier à l'impétrant sa décision de refus (2).

Le ministre dont le contreseing est

a N'étant pas

(1) ESMEIN, Elém. de droit const., 3e édit., 1903, p. 116 et s. : responsable, il le président) ne pourra point prendre l'initiative ni imposer sa volonté. Entre le chef de l'Etat et les ministres, la relation... est renversée dans le gouvernement parlementaire. Jadis, c'était le premier qui décidait, mais à condition d'obtenir le contreseing des seconds; maintenant, ce sont ceux-ci qui décident, mais il leur faut obtenir la signature du premier ». Cette initiative apparaît bien dans la formule des décrets : « Le Président de la République, sur la proposition du ministre....... », ou encore « sur le rapport du ministre..., décrète :... ». Il n'en est autrement que pour le décret qui nomme le président du Conseil des ministres.

(2) On a essayé de justifier autrement cette solution. On a dit que « d'après les principes généraux du droit », « le gouvernement n'est tenu de statuer par décret en Conseil d'Etat sur les demandes d'autorisation dont il est saisi que dans les cas exceptionnels, limitativement prévus et déterminés par la loi. L'article 8 de la loi du 24 mai 1872 détermine, en effet, les cas dans lesquels la Haute Assemblée doit être appelée à donner son avis ; elle n'a compétence que dans ces cas ainsi limitativement indiqués » (BAUDOUIN, Conclusions dans l'af faire jugée par la Cour de cassation, 16 juillet 1904). Cette allusion aux « principes généraux » est trop vague. Quant à l'argumentation développée au texte, on a paru mettre en doute sa valeur : « On prétend, déclarait le procureur général Baudouin devant la Cour de cassation le 16 juillet 1904... qu'un décret ne peut intervenir qu'autant qu'il est revêtu du contreseing du ministre compétent

C'est la solution qui a été consacrée par le Conseil d'Etat par un arrêt du 10 mars 1905, Mac-Donnel, dans les circonstances suivantes (1):

La supérieure générale des religieuses de l'Assomption avait demandé l'autorisation de fonder un établissement de la congrégation à Reims. D'après l'article 13 de la loi du 1er juillet 1901, « aucune congrégation religieuse... ne pourra fonder aucun nouvel établissement qu'en vertu d'un décret en Conseil d'Etat ». Le ministre de l'Intérieur et des Cultes ayant prononcé le rejet de la demande d'autorisation, un recours pour excès de pouvoir fut formé contre la décision du ministre, attendu, déclarait la requérante, « qu'il n'appartient qu'au chef de l'Etat de refuser l'autorisation demandée et qu'en statuant sur cette demande le ministre a excédé les limites de sa compétence; qu'à supposer même que le ministre pût prendre directement une décision, il ne pouvait se dispenser de consulter au préalable le Conseil d'Etat ». Le Conseil d'Etat a rejeté le pourvoi comme mal fondé.

<< Pour demander l'annulation de la décision attaquée, la requérante se fonde sur ce qu'elle a été prise en violation de l'article 13 de la loi du 1er juillet 1901, d'après lequel le rejet de sa demande n'aurait pu être prononcé que par décret

La

et que tout est dit, dès lors que ce ministre le refuse ». C'est ma thèse. Le procu reur général Baudouin la critique: C'est presque toujours vrai en pratique, dit-il, en ce sens que le ministre ne refusera, suivant toutes les vraisemblances, son contreseing que parce qu'il se trouve soutenu par la majorité du Parlement, et que, dès lors, il est donc peu probable que le Président de la République use du pouvoir que la Constitution lui accorde de changer de ministre. Mais si cela est vrai en pratique, il faut reconnaître qu'en droit constitutionnel le chef de l'Etat peut aussi se séparer du ministre recalcitrant et faire appel au concours d'un plus docile : d'où l'impossibilité théorique de passer outre n'existe pas ». critique ne me paraît pas fondée. Elle ne tient pas compte de cette règle non écrite mais certaine du gouvernement parlementaire que l'initiative des aetes accomplis par le Président de la République appartient nécessairement aux ministres responsables. Sans doute, le Président peut renvoyer, avec la collaboration d'un autre ministre, un ministre qui lui déplaît, le remplacer par un ministre << plus docile » qui lui présentera un projet de décret, lequel, revêtu de la signature du président, sera juridiquement valable. Mais cela n'empêchera pas la décision de refus opposée par le ministre révoqué d'être, elle aussi, juridiquement valable. La situation sera la suivante : l'autorisation aura été refusée une première fois et accordée ensuite; ces deux actes sont l'un et l'autre parfaitement réguliers; l'un et l'autre produiront successivement leur effet juridique. (1) Cette solution avait déjà été consacrée par la Cour de cassation en 1904, 16 juillet 1904, Dames de la Fournière; 6 août 1904, Roby. Dalloz, 1904. 1. 597 et s., et par un avis du Conseil d'Etat en date du 4 septembre 1902 (Dalloz, 1904. 4. 42). Cpr., sous l'arrêt du 16 juillet 1904, les conclusions du procureur général Beudouin, rapportées dans Dalloz.

rendu en Conseil d'Etat. Mais il est de principe qu'en dehors d'un texte, qui spécifie qu'il doit être statué « le Conseil d'Etat entendu », il appartient au gouvernement de décider quelles sont les affaires qui seront soumises à l'examen préalable du Conseil d'Etat. Si, aux termes de l'article 13 de la loi susvisée, aucune congrégation ne peut fonder un nouvel établissement qu'en vertu d'un décret rendu en Conseil d'Etat, cet article ne contient aucune disposition pour le cas où l'autorisation n'est pas accordée. Même il résulte des termes de l'article 24 du décret d'administration publique du 16 août 1901 que le ministre n'est pas tenu de faire procéder à l'instruction des demandes dont il est saisi. Il suit de là que le ministre de l'intérieur, chargé de pourvoir à l'exécution de la loi, a le droit, en ce qui concerne ces demandes, de faire connaître aux intéressés par simple décision administrative qu'il n'y sera pas donné suite, et qu'en prenant la décision attaquée le ministre n'a commis aucun excès de pouvoir...

-

L'arrêt précité réserve avec raison le cas où la loi ou le règlement vient déterminer les conditions dans lesquelles se produira la collaboration nécessaire du ministre. La loi ou le règlement peuvent décider, en effet, que le ministre ne devra prendre une décision qu'après avoir consulté ses autres collaborateurs ou après avoir procédé à une instruction; le ministre excéderait ses pouvoirs s'il refusait sa collaboration avant d'avoir procédé à cette instruction ou à cette consultation. Evidemment, il reste toujours libre de refuser sa collaboration et de rendre ainsi l'acte impossible, mais comme la loi veut qu'il ne se décide qu'après s'être éclairé, s'il ne procède pas selon le vœu de la loi, il commet un excès de pouvoir. Toute la difficulté et elle n'est pas très grave revient à rechercher dans quels cas la loi ou le règlement ont établi pour le ministre cette obligation. La formule généralement employée est celle à laquelle fait allusion l'arrêt précité du Conseil d'Etat i sera statué « le Conseil d'Etat entendu »>. Tel est, par exemple, le cas pour les demandes en concession de mines (1). D'après l'article 28 de la loi du 21 avril 1810, «< il sera définitivement statué sur la demande en concession par un décret..... délivré en Conseil d'Etat ». Le ministre de l'Intérieur peut empêcher la concession en refusant son approbation; mais il ne peut manifester son opposition qu'après avoir entendu le Conseil d'Etat et consulté le Président de la République. Au cas de refus irréductible opposé par le ministre, un décret du Président contresigné par le ministre refusera la concession, le Conseil d'Etat entendu (C. d'Etat, 24 janvier 1872, Astier, Rec., p. 34; 10 mars 1876, Zégut, Rec., p. 248).

En dehors de cette formule, il y a d'autres hypothèses où la loi exige qu'une procédure d'instruction ait lieu. Tel est le cas pour les

(1) Cpr., en ce sens, la note sous l'arrêt précité du 18 mars 1905, Recueil, P. 242.

REVUE DU DROIT PUBLIC.

-.

T. XXIII

4

[ocr errors]

recours administratifs en annulation portés devant le Président de la République en Conseil d'Etat.

Un recours proprement dit, par définition, suppose une procédure d'instruction. Le ministre, en refusant de faire procéder à cette instruction, commet un excès de pouvoir, car la loi a considéré cette instruction préalable comme une garantie pour les administrés. C'est ce qu'a décidé le Conseil d'Etat dans l'arrêt du 7 août 1905, ZillDesilles (1).

Un prêtre avait adressé au ministre de l'Intérieur un recours pour abus contre son évêque. D'après l'article 8 de la loi du 17 germinal an X, le requérant «< adressera un mémoire détaillé et signé au ministre des Cultes, lequel sera tenu de prendre, dans le plus court délai, tous les renseignements convenables, et, sur son rapport, l'affaire sera suivie et définitivement terminée dans la forme administrative » (c'est-à-dire par décret en Conseil d'Etat). De ce texte, il résulte que, quelle qu'elle soit, la décision sur le recours ne doit être prise qu'après que tous ceux qui doivent collaborer à cette décision ont exprimé leur avis. Néanmoins, le ministre des cultes saisi du recours pour abus introduit par le prêtre avait refusé d'envoyer la requête au Conseil d'Etat. Cette décision ayant été attaquée par recours pour excès de pouvoir, le ministre a fait valoir que « l'envoi au Conseil d'Etat d'un recours pour abus ne constituait pas pour le requérant un droit dont la méconnaissance pût donner lieu à une réclamation contentieuse ; en effet, la juridiction d'abus est essentiellement politique; le gouvernement qui agit, en cette matière, dans la plénitude de sa souveraineté, est le maître d'apprécier s'il convient ou non d'envoyer un recours pour abus au Conseil d'Etat; ce droit du gouvernement ne lui a jamais été contesté et, en fait, il n'a jamais cessé d'en user à l'égard d'innombrables plaintes qu'il s'est abstenu de transmettre au Conseil d'Etat, les jugeant sans valeur; dans l'espèce, le recours pour abus dirigé par le sieur Z... contre l'évêque... ne renferme pas de motifs sérieux ».

Cette thèse a été formellement condamnée par le Conseil d'Etat dans son arrêt du 7 août 1905. D'après les articles 6, 7 et 8 de la loi du 17 germinal an X, il doit être statué sur les recours pour abus par décrets rendus en Conseil d'Etat sans qu'il y ait lieu de distinguer suivant qu'ils ont été introduits par le ministre ou par les parties intéressées ». En conséquence, le Conseil d'Etat a annulé la décision par laquelle le ministre avait refusé de transmettre au Conseil d'Etat le recours pour abus formé par le requérant.

(1) Voir le texte de l'arrêt dans cette Revue, 1905, p. 778 et 779.

[ocr errors][merged small]

Le décret en Conseil d'Etat prononçant l'annulation d'une délibération d'un Conseil général par application de l'article 47 de la loi du 10 août 1872 n'est point une décision contentieuse ni quasicontentieuse. En conséquence, il peut être attaqué par un recours pour excès de pouvoir.

Conseil d'Etat, 10 février 1905, Monsservin et autres; 10 novembre 1905, Carrère.

C'est une tendance très curieuse, chez ceux qui s'occupent de droit administratif, de voir facilement, dans certaines procédures, des recours contentieux et, dans certains agents administratifs, des juges. Dès qu'un pouvoir de surveillance est exercé par des agents sur d'autres agents, on aime parler de juges et de jugements. Si le pouvoir de surveillance est limité par la loi, s'il ne doit consister qu'en une appréciation de la légalité de la conduite de l'agent surveillé, la tentation devient encore plus forte; si enfin l'agent investi du pouvoir de surveillance est, d'après la loi, tenu de prendre certains avis avant de statuer et notamment l'avis d'un conseil, alors l'indication paraft décisive. Il y a, dit-on, contentieux véritable.

Le vice de ces raisonnements, c'est de s'en tenir aux formes; nul savant ne s'est avisé de classer les individus selon le vêtement qu'ils portent ou selon le genre de coiffure qu'ils ont adopté ; il est, au contraire, de nombreux juristes qui veulent classer les actes juridiques d'après les formes qu'ils revêtent accidentellement.

Après tout, les erreurs de classification sont excusables chez des jurisconsultes qui se préoccupent de trouver immédiatement une solution aux espèces qui leur sont soumises; ils n'ont pas le loisir de procéder à une analyse minutieuse des actes et à des constructions juridiques d'ensemble. Pourtant, chose curieuse, ces erreurs sont surtout le fait des jurisconsultes de cabinet.

Ainsi, c'est un ancien conseiller d'Etat, Bouchené-Lefer, ce sont des présidents de section au Conseil d'Etat, Aucoc et Quentin-Bauchart, c'est enfin un vice-président du Conseil d'Etat, Laferrière, qui, par leurs judicieuses critiques, ont dissipé l'erreur du ministre juge de droit commun en matière administrative. On sait avec quelle ardeur Laferrière a combattu la théorie du ministre juge et affirmé que les ministres ne sont jamais des juges; que leurs décisions ne sont jamais des jugements. Cette thèse de Laferrière se heurtait à la quasi-unanimité

« PreviousContinue »