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l'Act d'Union. L'Act d'Union a accordé à l'Irlande 100 membres dans la Chambre des Communes, 28 pairs représentatifs et 4 évêques de l'Eglise d'Irlande (1) à la Chambre des Lords. Si, à cette époque, on s'était attaché à la population, l'Irlande aurait eu droit à plus de 100 membres; et, en fait, le nombre a été porté à 105 en 1832. En 1868, on l'a réduit à 103 (2), et ce chiffre a été maintenu par le Redistribution Act de 1885; à cette époque, on a convenu de ne pas toucher à la représentation de l'Irlande. Il y a lieu de s'y tenir.

En outre, les libéraux et le parti irlandais ont accusé M. Balfour d'avoir combiné ses propositions dans l'unique dessein de décimer la représentation irlandaise et de lui infliger une diminution de 22 membres. Les unités de population choisies pour la représentation des comtés et des bourgs ont été calculées arbitrairement; on a voulu uniquement ménager les intérêts du parti unioniste. En fait, les petits bourgs anglais votent pour les conservateurs ; c'est pour cela que M. Balfour a choisi, pour la représentation des bourgs à un seul membre, l'unité de population de 18.500. Ainsi, il ne touche pas à ces petits bourgs. Et comme il n'y a pas de bourgs irlandais dont la population s'élève entre 16.257 et 28.153, M. Balfour, en fixant à 18.500 l'unité de population, se débarrasse de trois bourgs irlandais hostiles au parti unioniste et sauve la représentation de 13 bourgs unionistes de Grande-Bretagne dont la population varie de 18.500 à 25.000. D'autre part, pour les comtés et les bourgs nommant deux représentants, si M. Balfour a choisi comme unité le chiffre de 75.000 au lieu de 65.000, c'est parce qu'on se débarrassera ainsi de cinq représentants de comtés irlandais, alors qu'un seul comté anglais (Ipswich) se trouve touché. On laissera un représentant à Whitehaven qui n'a qu'une population de 19 324 habitants; mais Monagham, qui compte 74.611 habitants, verra le nombre de ses représentants réduit de deux à un,

III

Dans son discours à la Conférence du National Liberal Federation tenue à Newcastle-on-Tyne le 19 mai 1905, Sir H. Campbell-Bannerman avait annoncé que l'une des préoccupations du parti libéral, lorsqu'il arriverait au pouvoir, serait la réforme électorale et parlementaire. Il y a d'autres réformes, disait-il; mais celles-là sont peut-être les plus essentielles, parce qu'elles sont les plus élémentaires de toutes. Je veux dire celles qui concernent les réformes du mécanisme électoral en vue de faciliter l'inscription des électeurs, de faire du droit individuel et non de la propriété la condition et le fondement de la capacité électorale; en vue de diminuer les frais des élections; en vue de donner aux membres du Parlement une modeste rémunération de façon à élargir le choix des électeurs ».

(1) Ces 4 évêques irlandais ont disparu de la Chambre des Lords lorsque l'Eglise d'Irlande a été désétablie.

(2) Par suite du disfranchisement des deux bourgs de Sligs et Cashel.

A peine arrivé au pouvoir, le parti libéral a commencé à tenir ses promesses. Mais il a donné à ses projets pour le moment, tout au moins une portée beaucoup plus restreinte qu'au temps de Gladstone et de Lord Rosebery.

En fait de réformes électorales et parlementaires, le discours du Trône du 19 février 1906 s'est borné à annoncer la présentation d'un Bill « pour empêcher le vote multiple dans les élections parlementaires » « for the prevention of plural voting in Parliamentary Elections ».

C'est le premier commissaire des Travaux, M. Lewis V. Harcourt, qui, pour ses débuts au Parlement, a été chargé de présenter le Bill aux Communes. Dans un maiden-speech de 10 minutes fait au commencement de la séance du 2 mai 1906, le ministre a expliqué à la Chambre les grandes lignes du projet du gouvernement. Tout électeur inscrit dans plusieurs circonscriptions, qui votera dans un autre collège que celui qu'il aura une fois choisi, sera puni (1). Ce n'est pas là, a déclaré M. Harcourt, un disfranchising Bill; il n'enlève à personne le droit de voter; il se borne à limiter les anomalies et les répétitions qui existent dans l'exercice de ce droit; il met fin à la multiplication du pouvoir électoral provenant de la distribution de la propriété immobilière en différents comtés et bourgs et, parfois aussi, des caprices des commissaires chargés de faire. les délimitations. Désormais tout électeur bénéficiant d'une inscription multiple devra choisir, une fois tous les 12 mois, le collège électoral dans lequel il veut voter pendant l'année suivante. Après l'expiration de cette période, le choix sera maintenu sauf déclaration contraire.

Sir W. R. Anson, représentant de l'Université d'Oxford et ancien secrétaire parlementaire de l'Education Board dans le ministère unioniste Balfour, a combattu cette proposition. Une mesure de cette importance, a-t-il déclaré, n'aurait pas dû être introduite par un discours de 10 minutes. C'est le Premier Ministre lui-même qui aurait dû la présenter avec toute la solennité qu'une pareille réforme comporte. D'autre part, il est impossible de discuter isolément cette proposition. Elle doit être accompagnée d'un projet de redistribution. L'opposition se réserve de la combattre à toutes les phases de la procédure.

Mais la Chambre, par 327 voix contre 56, s'est ralliée aux vues du gouvernement et le Bill a été lu une première fois.

Le Bill est revenu devant la Chambre, pour la deuxième lecture, le 14 mai 1906. A cette occasion, l'opposition a particulièrement insisté sur la situation faite par le Bill aux électeurs d'Université (z). La grande majorité de

(1) Plural Voting Bill, Public Bills, 1906, no 187.

(2) Le Bill, en ce qui concerne les élections d'université, s'exprime comme suit:

« Dans le bulletin de vote (voting paper) à une élection d'université, on devra insérer, après les mots Je déclare que, les mots : « Je ne suis pas inscrit comme électeur parlementaire dans un collège électoral autre que cette université, et »]. Les mots entre crochets seront biffés si le nom du votant est marqué comme ayant 37

REVUE DU DROIT PUBLIC -T. XXII

ces électeurs bénéficient d'un vote multiple; ils sont, en effet, inscrits dans des collèges de comté et de bourg, et c'est là qu'ils préféreront voter, car c'est le plus souvent le lieu de leur résidence. Dès lors, les collèges électoraux d'Université vont être condamnés à disparaître ou à ne comprendre qu'un nombre infime d'électeurs. Le résultat pratique, c'est que le Plural Voting Bill enlèvera la franchise électorale à l'intelligence et à l'instruction, et non pas seulement à la propriété. C'est le principal argument qui ait été développé, dans la séance du 14 mai 1906, par les orateurs unionistes (M. Arnold-Foster, ancien Secrétaire d'Etat pour la Guerre dans le précédent ministère unioniste, et M. A. Balfour, leader de l'opposition). Une autre objection formulée avec beaucoup de force par les unionistes,— mais peut-être sans beaucoup de consistance avec leur projet de redistribution des sièges, c'est que le principe historique du système électoral anglais était la représentation des localités plutôt que la représentation des individus. Cet argument a été longuement exposé, au cours de la même séance, par M. H. W. Forster (ancien lord de la Trésorerie dans le précédent ministère unioniste et par M. A. Balfour. Bien entendu, les unionistes ont réclamé la redistribution des sièges (MM. Morrell et A. Balfour). Les deux orateurs du gouvernement, M. Lewis Harcourt et Sir H. Campbell-Bannerman, ont repoussé toutes ces objections. L'objet du Bill, a déclaré M. Harcourt, c'est que les circonscriptions électorales soient représentées par des hommes qui représentent les opinions des habitants. Avec le vote multiple, on voit des électeurs non résidants se porter dans une circonscription et faire triompher une candidature repoussée par la majorité des électeurs résidants. Un autre objet du Bill, a ajouté Sir H. Campbell-Bannerman, c'est de porter un nouveau coup à cette doctrine périmée que l'électeur vote non pas en tant qu'individu, mais en tant que possesseur de biens (a man votes not as a man, but as a propertied man). Quant à la représentation des Universités, ont déclaré M. Harcourt et Sir H. Campbell-Bannerman, son sort est entre les mains des graduates. Quelle affection ont donc les graduates pour leurs Universités si, comme le prétendent les unionistes, ils doivent abandonner les collèges électoraux universitaires et s'ils préfèrent voter dans le lieu de leur résidence?

La Chambre des Communes est acquise à la réforme libérale. Par 403 voix contre 95, à une majorité de 308 voix, l'amendement présenté par M. H. W. Forster au nom de l'opposition (1) a été repoussé et le Bill a été lu une deuxième fois. Les choses en sont restées là pour le moment. A la session d'automne, on reprendra la discussion.

choisi l'université comme sa circonscription de vote; mais la validité da ballelin de vote ne sera pas affectée par le fait que les mots ne sont pas biffès. »

(1) Dans son amendement, M. H. W. Forster demandait à la Chambre de refuser d'examiner le changement projeté dans la franchise, attendu qu'il n'était pas accompagné d'une proposition en vue de supprimer les sérieuses anomalies existantes dans la distribution du pouvoir électoral.

L'espoir des unionistes est dans la Chambre des Lords. Mais le parti libéral commence déjà à menacer la Chambre haute, et reprend la formule « to mend or to end ».

La réforme aura-t-elle plus de succès en 1906 qu'en 1893, 1894 et 1895 ? GASTON JEZE.

ANALYSES ET COMPTES RENDUS

La théorie de la personnalité morale et son application au droit français, par Léon MICHOUD. - Première partie. Paris, 1906, in-8, 484 p. Prix, 10 fr.

C'est un grand malheur pour une théorie juridique de correspondre à des intérêts, à des passions, à des luttes de l'ordre politique. Elle en souffre nécessairement dans son élaboration. Ces intérêts, ces passions, ces luttes ont sur elle une répercussion fatale. Sous le couvert de controverses portant sur de pures questions de droit ce sont en réalité des combats politiques qui se livrent, avec les caractères qui leur sont propres et qui n'ont pas les allures pacifiques des disputes juridiques! Et, ce qui est plus fâcheux encore, le combat se livre dans l'obscurité, la lutte des idées n'étant pas engagée clairement se poursuit sans que le choc décisif puisse se produire.

Ces réflexions pourraient être faites à propos d'un certain nombre de controverses juridiques. Elles ne sont nulle part plus de mise et d'actualité que dans la théorie de la personnalité morale, qui, au moins dans notre pays, a été surtout le champ clos où se sont livré et se livrent encore bataille avec acharnement certains intérêts de l'ordre social ou politique.

Qui pourrait nier en effet que la théorie de la personnalité morale aurait suscité moins de difficultés, moins de systèmes bizarres et quelquefois dangereux, si elle ne s'était trouvée compliquée par la question des congrégations religieuses?

Mais il faut en prendre son parti. La théorie de la personnalité morale sera toujours compliquée, hérissée de difficultés de toute sorte, intérieures et extérieures, parce qu'elle n'est pas seulement une question d'ordre exclusivement juridique et technique, mais qu'elle a une portée sociale des plus hautes et possède les plus lointaines répercussions.

De quoi s'agit-il, en effet? A première vue d'une simple question de technique juridique. On recherche quels sont les sujets des droits, c'est-àdire qui peut être investi de ces instruments, muni de ces outils indispensables à qui veut vivre, développer ses facultés, et qu'on appelle des droits. Or de tout temps il y a eu là une question sociale et politique mettant aux prises des intérêts et des passions.

Que de luttes se sont engagées autrefois pour la détermination des individus à qui des droits seraient reconnus, ou plutôt à qui serait reconnue l'aptitude à être investis de droits! Que de combats ont dû se livrer,

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