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territoire de la commune de Barbazan-Debats et ne pouvait, dès lors, être compris au nombre des chemins ruraux de la commune de Salles-Adour, pour lesquels cette commune était autorisée à voter une quatrième journée de prestations; que, par suite, le sieur Domec est fondé à soutenir que la quatrième journée de prestations à laquelle il a été imposé, pour l'entretien dudit chemin, sur le rôle de la commune de Salles-Adour, a été illégalement établie et que c'est à tort que le conseil de préfecture a rejeté la réclamation par laquelle il en demandait décharge ;...

Arrêté annulé; il est accordé au sieur Domec décharge de la quatrième journée de prestations à laquelle il a été imposé sur le rôle de la commune de SallesAdour, etc. ».

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Aux termes de l'art. 1er du Décret du 18 novembre 1882, en principe les marchés de travaux, fournitures ou transports au compte de l'Etat sont faits avec concurrence et publicité », en d'autres termes, par adjudication publique.

Le mécanisme de l'opération est le suivant (1): Les agents administratifs, après avoir rédigé un cahier des charges faisant connaître : 1oles conditions moyennant lesquelles les fournisseurs seront admis à présenter des offres (conditions de capacité, de moralité, de solvabilité, etc.), 2o l'objet précis du marché à intervenir, — annoncent, par tous les moyens ordinaires de publicité, que l'adjudication aura lieu tel jour, à tel endroit, devant telle autorité. Au jour fixé, les agents administratifs compétents procèdent publiquement à l'adjudication, c'est-àdire que, dans les formes prescrites par les règlements, ils constatent quel est, parmi les concurrents remplissant toutes les conditions réglementaires, celui qui a fait les offres les plus avantageuses. Procès-verbal est rédigé constatant ce résultat. Le concurrent déclaré adjudicataire par les autorités ayant procédé à l'adjudication signe le procèsverbal. L'administration n'est liée vis-à-vis de l'adjudicataire qu'après que le ministre ou l'autorité supérieure a donné son approbation. Tel est le schéma d'une adjudication publique.

Des difficultés peuvent se présenter.

Il se peut que le bureau d'adjudication n'ait pas suivi la procédure

(1) Pour les détails de la réglementation, voyez ENOU, Traité théorique et pratique du droit administratif, édité par PICARD et VEUILLET, tome Ier, les Travaux publics. Paris, 1903, p. 96 et s.

fixée par les règlements; ou bien qu'il n'ait pas proclamé adjudicataire le concurrent qui faisait les meilleures conditions. Quelle influencǝ cela aura-t-il sur le sort de l'adjudication? Cela en entraînera-t-il la nullité ? Qui pourra la provoquer ? A qui appartiendra-t-il de la prononcer? Et par quel moyen de droit, par quel recours?

Ces questions, le Conseil d'Etat a eu à les résoudre dans l'affaire suivante qui a donné lieu à l'arrêt du 30 mars 1906, Ballande (1).

Une adjudication a été ouverte au mois de novembre 1901 à la Nouvelle-Calédonie pour la fourniture de mille tonnes de ciment destinées au service des travaux publics de la colonie. Le 23 nov. 1901, à la séance d'adjudication, cinq soumissions ont été déposées et décachetées; le prix-limite fixé était 110 francs, deux soumissionnaires avaient offert des prix inférieurs, l'un le sieur Berthelin qui avait offert le prix de 104 fr. 90, l'autre le sieur Ballande qui avait proposé 104 francs. Ces deux soumissions furent seules retenues, mais la commission d'adjudication ne statua pas immédiatement: elle renvoya, conformément au cahier des charges, les deux échantillons déposés avec les soumissions à l'examen d'une commission technique chargée de faire des épreuves. Ces épreuves furent faites et procès-verbal fut dressé le 9 déc. 1901. Sur le vu de ce procès-verbal, la commission d'adjudication déclara que le sieur Berthelin avait fait les offres les meilleures et que l'échantillon présenté par lui réunissait les conditions de qualité exigées : elle proclama en conséquence le sieur Berthelin adjudicataire provisoire. Par arrêté du 20 déc. 1901, en conseil privé, le gouverneur de la Nouvelle-Calédonie déclara le sieur Berthelin adjudicataire définitif. Le sieur Ballande a déféré cet arrêté au Conseil d'Etat pour excès de pouvoir. Il soutenait que le sieur Berthelin ne devait pas être proclamé adjudicataire, l'échantillon fourni par lui ayant été reconnu insuffisant par la commission technique d'épreuves et ne satisfaisant pas aux conditions exigées par le marché. La colonie a conclu au rejet du recours comme non recevable, par le motif que le sieur Ballande était sans qualité pour demander l'annulation de l'adjudication, car il n'avait pas lui-même le droit d'être proclamé adjudicataire, et, en tout cas, comme mal fondé.

La solution des difficultés soulevées par les irrégularités commises dans les adjudications en général et dans l'adjudication déférée au Conseil d'Etat en particulier, dépend, à mon avis, de la solution d'une question théorique celle de la nature juridique de l'adjudication.

(1) J'emprunte l'exposé des faits aux conclusions présentées par M. Romieu, commissaire du Gouvernement, dans cette affaire.

I

Un auteur définit l'adjudication « un marché passé avec publicité et concurrence » (1). Il y aurait là un acte contractuel. Il interviendrait entre les agents procédant à l'adjudication et le concurrent proclamé adjudicataire un contrat, contrat conclu sous réserve de l'approbation d'agents administratifs supérieurs.

Mais s'il en est ainsi, c'est tout le régime des actes contractuels qui devrait être appliqué. Le contentieux de l'adjudication serait un contentieux de pleine juridiction; le juge compétent serait le juge du contrat; seules, les parties contractantes pourraient former le recours.

Or, constatons-le tout de suite, telles ne sont pas les solutions de la jurisprudence. Le Conseil d'Etat, d'une manière très ferme, décide que le contentieux des adjudications est un contentieux d'annulation; le recours à introduire, c'est le recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat ; les individus ayant qualité pour attaquer l'adjudication irrégulière sont tous ceux ayant un intérêt direct et personnel à l'annulation de l'adjudication, en particulier les concurrents évincés.

En doctrine, ces solutions sont aussi admises (2); mais on n'en donne pas une justification théorique satisfaisante.

Un des rares auteurs qui se soit préoccupé de la question théorique déclare (3) Les entrepreneurs admis à une adjudication et non déclarés adjudicataires ont le droit d'en contester la régularité et de former recours pour excès de pouvoir contre l'acte approbatif. « Ils doivent agir par le recours pour excès de pouvoir, et non par le recours contentieux ordinaire tiré de l'opération de travaux publics, puisque justement, ayant été évincés de l'adjudication, ils ont été mis hors de l'opération ».

L'explication est insuffisante. On dit bien pourquoi les concurrents évincés ne peuvent pas aller devant le juge du contrat : c'est parce qu'il n'y a pas, entre eux et l'administration, de contrat. Mais on ne nous dit pas pourquoi ils sont admis à former un recours pour excès de pouvoir. Supposons, en effet, un marché de gré à gré. Même si le marché de gré à gré a été passé illégalement, les industriels qui avaient sollicité le marché ne sont pas admis à former un recours pour excès de pouvoir (C. d'E., 16 mars 1894, Lhermitte, Rec., p. 218; 17 mai

(1) HAURIOU, Droit administratif, 5. édition, p. 682.

(2) ENOU, op. cit., p. 124 et s. cpr. toutefois BERTHÉLEMY, Droit adm., 4. édit. p. 612 et s.

(3) HAURIOU, op. cit., p. 683, texte et note 2.

1895, Crébessac, Rec., p. 425; 9 juin 1905, Sâtre, Rec., p. 529). Ils ne peuvent pas dire : nous avons été évincés du marché ; nous avons été mis hors de l'opération; nous allons, par le recours pour excès de pouvoir, puisque le recours contentieux de pleine juridiction nous est interdit, attaquer le marché illégalement conclu. Mais pourquoi ne le peuvent-ils pas, alors que, en cas d'adjudication, les concurrents évincés sont recevables à intenter le recours pour excès du pouvoir ? Ceci, on ne nous le dit pas.

Le professeur Berthélemy (1) estime que, d'après les principes, le seul recours qui devrait être accordé aux entrepreneurs contre les actes de l'administration et du bureau, en cas d'adjudication irrégulière, c'est le pouvoir de dénoncer au Ministre ou au préfet, suivant les cas, les irrégularités commises dans la procédure, afin qu'ils ne donnent pas leur approbation. L'opinion du professeur Berthélemy est formulée en termes très catégoriques : « N'en ont-ils pas un autre (recours), et comme sanction de toutes ces règles, peuvent-ils demander au Conseil d'Etat l'annulation d'une adjudication irrégulière? Les principes, répond le professeur Berthélemy, imposent ici la solution négative. Toutes ces formes ne sont exigées que dans l'intérêt général représenté par l'administration. Leur violation ne doit pouvoir être invoquée que par l'administration ». Et voici en quels termes, le professeur Berthélemy apprécie et explique la jurisprudence du Conseil d'Etat : « Ces considérations cependant n'ont pas prévalu en jurisprudence. Incités par les propositions de l'administration et par l'espérance légitime que leurs projets seraient examinés conformément aux règles que l'administration s'est imposées, les entrepreneurs ont pu faire des travaux préparatoires, des études coûteuses. Le Conseil d'Etat admet que l'observation des règles devient ainsi, en quelque sorte, un droit pour les entrepreneurs, et qu'ils peuvent se dire injustement lésés si leur inobservation a pour résultat de les exclure. Le Conseil n'annule pas une adjudication sur la seule constatation d'une irrégularité commise. Il examine ce qui rend sa jurisprudence très équitable – quelle a pu être l'influence de l'irrégularité sur le résultat. Mais, contrairement à la rigueur du droit, s'il constate que le résultat a été d'exclure un soumissionnaire, le Conseil annule les opérations ».

Je ne partage pas l'avis de mon cher maître et ami, le professeur Berthélemy. Je crois que les solutions de la jurisprudence s'expliquent tout naturellement. Procédons à une analyse minutieuse des faits et, par là, dégageons la véritable nature juridique de l'acte d'adjudication.

(1) Traité élémentaire de Droit administratif, 4 édition, Paris, p. 612 et s.

Au cas de marché par adjudication publique, il y a, me semble-t-il deux choses à distinguer soigneusement: 1 l'adjudication, laquelle précède le contrat ; 2° le contrat, lequel intervient après l'adjudication.

Le seul acte contractuel de l'opération, c'est l'accord qui est conclu entre le fournisseur présenté par le bureau d'adjudication d'une part, et le ministre ou l'agent ayant compétence pour conclure le marché, de l'autre.

Quand à l'adjudication proprement dite, ce n'est qu'un fait; c'est un fait préparatoire du contrat; c'est d'ailleurs un fait à forme d'acte juridique. Le bureau d'adjudication ne contracte pas; il se borne à faire une présentation; il présente à l'agent compétent pour contracter un entrepreneur ou fournisseur qui s'engage à contracter dans certaines conditions. Cet acte de présentation, c'est une manifestation unilatérale de volonté. Et cette manifestation unilatérale de volonté n'est même pas un acte juridique proprement dit; car elle ne crée aucun droit subjectif, aucune obligation subjective. C'est simplement un fait de volonté à forme d'acte juridique (1). C'est la condition mise par les règlements pour qu'un certain agent administratif - ministre ou autre -puisse conclure le contrat régulièrement.

Si l'on veut procéder par analogie et si l'on veut des faits de volonté du même ordre, on peut dire que l'acte d'adjudication a la même nature juridique que la délibération d'un conseil municipal décidant que tel contrat sera passé par le maire (2). Ici aussi, il faut distinguer deux choses 1o la manifestation unilatérale de volonté du conseil municipal; 2o l'acte contractuel passé par le maire. La délibération du conseil municipal n'est qu'un fait de volonté : c'est la condition mise par la loi pour que le maire puisse conclure le contrat régulièrement.

En résumé, l'adjudication proprement dite n'est pas un « marché »; ce n'est pas un acte contractuel. C'est une manifestation unilatérale de volonté d'agents administratifs; manifestation de volonté qui est la condition mise par les règlements à l'exercice de la compétence de l'agent investi du pouvoir de contracter.

Ce point dégagé, tout devient très simple. On appliquera à l'adjudication le régime juridique ordinaire des manifestations unilatérales de volonté (3).

(1) Voyez sur ce point G. JEZE, Principes généraux du Droit administratif, p. 65 et s. Cpr. DUGUIT, l'Etat, I, p. 415 et s.

(2) Evidemment, les pouvoirs du bureau d'adjudication ne sont pas les mêmes que ceux du conseil municipal. Ce dernier a un pouvoir discrétionnaire, tandis que le bureau d'adjudication a une compétence absolument liée.

(3) Sur ce régime, voyez GASTON JEZE, Principes généraux, op. cit., p. 90 et s.

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