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bal dressé par la commission chargée de procéder à ces épreuves constate que l'échantillon remis par le sieur Berthelin ne satisfaisait pas aux stipulations du marché; que, dès lors, c'est à tort que le sieur Berthelin a été proclamé adjudicataire, et qu'ainsi le sieur Ballande, son concurrent, est fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté, par lequel le gouverneur a approuvé cette proclamation;

Sur les frais de timbre et d'enregistrement du pourvoi : Considérant que dans les circonstances de l'affaire, il y a lieu de mettre à la charge de la colonie les frais de timbre et d'enregistrement exposés par le sieur Ballande ;... (L'intervention de la colonie de la Nouvelle-Calédonie est admise; l'arrêté du gouverneur de la Nouvelle-Calédonie, en date du 20 déc. 1901, est annulé ; les frais de timbre et d'enregistrement exposés par le sieur Ballande seront supportés par la colonie de la Nouvelle-Calédonie).

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Détermination des limites entre la sphère d'action du pouvoir législatif et celle du pouvoir exécutif.

Conseil d'Etat, 4 mai 1906; Babin.

En droit positif français, ce n'est pas seulement le Parlement qui formule des règles générales. Au Président de la République (et aussi à divers agents administratifs) appartient le pouvoir d'édicter des prescriptions générales. La difficulté commence lorsqu'il s'agit de déterminer les sphères d'action respectives de la loi proprement dite et du règlement.

Il n'existe aucun texte général qui permette de faire la délimitation précise, de dire quelles matières rentrent exclusivement, et par leur nature, dans la compétence du Parlement, et quelles, par leur nature et sauf intervention des Chambres, sont du domaine du Président de la République.

De temps à autre, devant les différentes juridictions se pose la question de savoir si un règlement est légal, s'il n'empiète pas sur le domaine réservé au législateur.

Il convient de relever avec soin les décisions des tribunaux ; c'est de leur rapprochement que, à défaut de texte, l'on peut tirer la règle de droit positif en vigueur à un moment donné.

En 1904, le Conseil d'Etat fut saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre les décrets du 17 septembre 1900 et du 27 janvier 1901, prescrivant l'institution de conseils du travail (1); ces décrets étaient

(1) Voyez dans cette Revue, 1904, p. 89 et s.

argués de nullité par les requérants, sous prétexte qu'ils réglementaient une matière réservée au législateur. De l'arrêt du 19 février 1904, rendu à cette occasion, on a pu dégager la règle suivante en supposant que les Chambres n'aient pas légiféré sur la question, l'organisation d'un service public nouveau, l'institution d'agents administratifs nouveaux font partie du domaine réservé au Parlement, à moins que le service, les agents ne soient essentiellement des organes d'information, n'ayant aucun pouvoir propre de décision.

En 1906, le Conseil d'Etat a eu à examiner la même question générael. Elle se posait dans les circonstances suivantes (1).

I

En 1902, deux décrets du 7 octobre et du 10 octobre ont dédoublé les fonctions du corps du commissariat de la marine et en ont attribué une partie à un corps nouvellement créé, celui des administrateurs et agents de l'inscription maritime. Le sieur Babin-qui avait été successivement écrivain, commis, sous-agent du commissariat de la marine, — a été nommé agent de l'administration de l'inscription maritime à la formation du corps, en 1903, Ceci posé, dans le courant de cette même année 1903, une enquête a été ouverte sur des faits d'irrégularités imputables au sieur Babin, alors qu'il était commis du commissariat; le sieur Babin a été traduit devant un conseil d'enquête et mis en réforme, conformément aux dispositions de la loi du 19 mai 1834 sur l'état des officiers, rendue applicable au nouveau corps, par le décret du 10 oct. 1902 pour les administrateurs, et pour les agents par le décret du 7 oct. 1902 (art. 1er), combiné avec le décret du 18 juin 1901 (art. 2). Le sieur Babin a attaqué la décision qui le frappait et, dans sa requête, il a soutenu, entre autres griefs, que la mesure prise à son égard était irrégulière parce qu'elle résultait de la loi du 19 mai 1834 sur l'état des officiers; cette loi, au dire du requérant, n'avait pas pu être étendue par décret simple au corps des agents dont il fait partie.

Ainsi que le fait remarquer M. le commissaire du gouvernement Romieu, dans ses conclusions, « la légalité des décrets qui ont créé et organisé le corps des administrateurs et agents de l'inscription maritime a déjà été discutée à divers points de vue. On a soutenu notamment que le principe même de la réforme, à savoir la soustraction d'une partie des opérations de l'inscription maritime à l'autorité du

(1) J'emprunte l'exposé de faits aux conclusions du commissaire du gouvernement, M. ROMIEU.

REVUE DU DROIT PUBLIC. -T. XXIII

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préfet maritime, était contraire à l'art. 65 de la loi du 24 déc. 1896; que ces décrets n'avaient pu, en l'absence d'une disposition législative, conférer aux nouveaux agents le bénéfice des pensions militaires de la marine (1). Sur ce dernier point, à la suite d'avis du Conseil d'Etat des 1er août 1904 et 10 janvier 1905 (2), le législateur a dû donner luimême, par la loi du 22 avril 1905, art. 38 (3), l'autorisation d'appliquer les tarifs militaires au personnel créé en 1902 ».

La question soulevée par le recours du sieur Babin n'est pas du même ordre. C'est celle de savoir si des décrets simples ont pu placer, au point de vue disciplinaire, un corps de fonctionnaires, — dans l'espèce, celui des agents de l'inscription maritime, — sous le régime de la loi du 19 mai 1834? Or ceci n'est pas autre chose que le problème de la détermination des limites entre la sphère d'action du Parlement et celle du Président de la République.

II

Sur cette question précise, le commissaire du gouvernement, M. Romieu, a présenté les conclusions suivantes : « Vous savez, Messieurs, qu'il n'existe pas de règles de droit écrit en ce qui concerne cette délimitation de pouvoirs, si importante au point de vue constitutionnel c'est la jurisprudence qui les fixe, en les faisant découler des conditions dans lesquelles s'est manifestée jusqu'ici l'intervention du législateur dans les diverses matières. Tantôt cette intervention est générale, complète, et la matière est dite appartenir par sa nature au domaine législatif; tantôt cette intervention est rare, accidentelle, limitée à quelques points, et la matière peut être considérée dans son ensemble comme appartenant au domaine du pouvoir exécutif sauf les flots qui ont été détachés par le législateur à son usage (Cf. C. d'Et., 19 févr. 1904, Rec., p. 132. Chambre syndicale des fabricants de matériel pour chemins de fer et les conclusions du commissaire du Gouvernement M. Romieu (4).

« D'une manière générale, on peut dire relèvent par leur nature du pouvoir législatif toutes les questions relatives directement ou

(1) Cpr. sur ce point l'étude de M. ROLLAND, dans cette Revue, 1904, p. 166 et s. (2) Par ces avis, le Conseil d'Etat a déclaré qu'un texte de loi était nécessaire pour autoriser la liquidation des pensions.

(3) L. 22 avril 1905, art. 38: « Les tarifs de pension annexés aux lois des 5 août 1879 et du 8 août 1883 sont applicables au personnel des administrateurs, agents et commis de l'inscription maritime.... >>

(4) Conclusions rapportées dans cette Revue 1904, page 91 et s, en note.

indirectement aux obligations à imposer aux citoyens par voie d'autorité sans aucun lien contractuel (par exemple, tout ce qui concerne le droit de commander et de contraindre, l'organisation de la force publique et des juridictions, la prise de possession de la propriété privée, le vote des impôts et des dépenses publiques qui y donnent lieu, etc., etc.) ; le législateur peut évidemment, comme il le fait souvent, déléguer ses pouvoirs à d'autres autorités et les investir du droit de réglementer en ces matières à son lieu et place; mais, en l'absence de délégation générale ou spéciale, explicite ou implicite, émanée du législateur, le pouvoir exécutif est par lui-même absolument incompétent; et c'est le pouvoir législatif seul auquel il appartient de statuer.

<< En sens inverse, c'est en principe le pouvoir exécutif qui règle l'organisation intérieure des services publics et les conditions de leur fonctionnement qui ne lèsent pas les droits des tiers; c'est lui notamment qui fixe les règles du contrat entre l'administration et ses agents, le recrutement, l'avancement, la discipline, la révocation, etc., etc. (Cf. les conclusions du commissaire du Gouvernement, M. Romieu, sous l'arrêt du 2 déc. 1892, Mogambury, Rec., p. 836) (1). Cette compétence générale du pouvoir exécutif pour tout ce qui concerne le « personnel » peut être rattachée au droit qu'il tient de l'art. 3 de la loi constitutionnelle du 25 févr. 1875 pour assurer l'exécution des lois et nommer à tous les emplois; elle résulte d'ailleurs de la liberté très étendue que le législateur a, en fait, laissée au pouvoir exécutif dans cette branche de l'Administration. Il est bien vrai que le législateur est intervenu à diverses reprises en cette matière, soit pour régler diverses questions dans leur ensemble (législation des pensions); soit pour traiter certains points particuliers (L. 13 avr. 1900, art. 35; 25 févr. 1901, art. 55; 31 mars 1903, art. 55; 30 déc. 1903, art. 18); soit pour organiser lui-même certains corps spéciaux (magistrature, officiers, fonctionnaires de l'instruction publique, etc.). Mais la circonstance que le législateur'a statué dans certains cas à l'égard du personnel n'implique pas qu'il doive statuer nécessairement dans tous les cas; bien au contraire, les conditions mêmes de ses interventions, anciennes et récentes, montrent, par leur caractère nettement délimité, qu'il a entendu régler et, par conséquent, se réserver tels et tels points particuliers, mais qu'en dehors d'eux l'Administration reste entièrement libre et a ici un véritable pouvoir propre, sans qu'il soit nécessaire d'une délégation du pouvoir législatif. On peut donc affirmer qu'en ce qui touche les rapports de l'Administra

(1) Voir un résumé de ces conclusions dans cette Revue, 1906, p. 502 et s.

tion avec ses agents, le pouvoir exécutif a pleine autorité pour statuer et peut fixer librement les conditions de ce contrat, sauf sur les questions que le législateur a exceptionnellement faites siennes en les réglant lui-même (V. par a contrario la doctrine du Conseil d'Etat dans les avis précités des 1er août 1904 et 10 janv. 1905 sur les pensions militaires de la marine). C'est donc le pouvoir exécutif qui posera les règles du contrat qui lie l'Etat à ses agents, dans les mêmes conditions où elles pourraient être fixées par le législateur pour les catégories de fonctionnaires dont il aurait entendu s'occuper lui. même. C'est ainsi, par exemple, que si le législateur a réglé la situation des officiers au point de vue disciplinaire par la loi du 19 mai 1834, le pouvoir exécutif pourra édicter des règles analogues ou différentes pour tous les autres fonctionnaires dont la condition n'est pas fixée par la loi. Ces règles auront entre les parties le même caractère obligatoire et seront appliquées par le même juge, qu'elles soient édictées par le législateur ou par les représentants autorisés du pouvoir exécutif, chef de l'Etat ou ministre; elles constitueront, dans tous les cas, cet état particulier du fonctionnaire, qui peut toujours être modifié par les pouvoirs publics pour l'avenir, mais qui fait la loi des parties et subsiste tel qu'il a été fixé par les textes organiques (loi, décret, arrêté ministériel) tant que ces textes n'auront pas été modifiés (Arr. C. d'Et., 7 juill. 1905, Warnier, Rec., p. 625; Cf. 16 déc. 1904, Barzenant, Rec., p. 823). La seule différence c'est que, dans les cas où la situation de l'agent est réglée par le législateur, elle a par là même plus de fixité, parce qu'elle ne peut être changée que par une loi, et que lorsqu'elle est fixée par un acte du pouvoir exécutif, elle est plus fragile, puisqu'elle peut être modifiée par un autre acte émané de la même autorité.

« Donc, le pouvoir exécutif, tant qu'il n'y a pas de texte législatif qui s'y oppose, peut à toute époque fixer, modifier pour l'avenir, la situation des fonctionnaires; il peut notamment adopter, pour une catégorie d'agents, les mesures disciplinaires que le législateur a adoptées en 1834 à l'égard des officiers, et dire par exemple que la loi du 19 mai 1834 sera applicable à ces agents. Il n'en résultera pas que ces agents seront sous le régime de la loi ; ils seront toujours sous le régime du décret qui pourra leur retirer le bénéfice de la loi du 19 mai 1834 en matière disciplinaire comme il avait légalement pu le leur conférer ».

Faisant application à l'espèce soumise au Conseil d'Etat des principes qui précèdent, M. Romieu a conclu : « Le sieur Babin appartenait au corps du commissariat, lequel était réglé par des décrets; en 1901 et 1902,

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