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on a créé un nouveau corps par dédoublement du précédent. Un décret suffisait pour fixer toutes les conditions de l'état des agents du corps nouveau : ce décret pouvait fixer les diverses positions des agents au point de vue disciplinaire, et notamment leur rendre applicable la mesure de la « réforme » avec la procédure du Conseil d'enquête ; c'est ce qu'ont fait les décrets du 18 juin 1901, du 7 et du 10 oct. 1902 en déclarant la loi du 19 mai 1834 applicable aux agents de l'Administration de l'inscription maritime, et le Président de la République n'a fait, en édictant cette disposition, qu'un usage absolument légal de ses pouvoirs ›.

:

Il y aurait beaucoup à dire sur la terminologie employée par M. Romieu les expressions de « délégation du pouvoir législatif », de <«< contrat qui lie l'Etat à ses agents » sont, à mon avis, tout à fait critiquables, car il n'y a pas de délégation du pouvoir, et le lien qui unit l'Etat à ses fonctionnaires n'est pas un lien contractuel.

Ce n'est pas le lieu de discuter ces matières. Le point à retenir tout particulièrement est le suivant : « En ce qui touche les rapports de l'administration avec ses agents, le pouvoir exécutif a pleine autorité pour statuer, sauf sur les questions que le législateur a exceptionnellement faites siennes en les réglant lui-même. Le pouvoir exécutif, tant qu'il n'y a pas de texte législatif qui s'y oppose, peut, à toute époque, fixer, modifier pour l'avenir la situation des fonctionnaires ».

C'est la solution consacrée par le Conseil d'Etat dans l'arrêt du 4 mai 1906, Babin. Cet arrêt, rapproché de l'arrêt précité du 19 février 1904, jette donc quelque lumière sur la difficile question du domaine du règlement.

Voici le texte de l'arrêt du Conseil d'Etat, 4 mai 1906, Babin:

< Vu la requête présentée par le sieur Babin, ex-agent d'administration de l'inscription maritime..., tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler un décret du 20 novembre 1903 qui l'a placé dans la position de réforme par mesure disciplinaire, ensemble, en tant que de besoin, une décision du Ministre de la Marine du 21 novembre suivant, qui en a assuré l'exécution; ce faire, attendu qu'à l'époque des faits, à raison desquels la mesure dont il se plaint a été prise contre lui, le requérant remplissait un emploi civil; que, par suite, il ne pouvait lui être fait application des dispositions de la loi du 19 mai 1834, relatives à la mise en réforme des officiers;

Vu les observations présentées par le Ministre de la Marine..., et tendant au rejet de la requête par les motifs que la mise en réforme peut être prononcée même pour des faits commis avant que l'inculpé ait obtenu un grade militaire et que, s'il en était autrement, le sieur Babin aurait échappé à toute mesure dis

ciplinaire pour les actes qui lui étaient reprochés, puisqu'au moment de l'information dont il a été l'objet il n'était plus soumis qu'à la loi du 19 mai 1834 ;

Vu le mémoire ampliatifprésenté pour le sieur Babin, ledit mémoire. .. tendant aux mêmes fins que la requête par les mêmes motifs, et, en outre, attendu que le requérant a été traduit devant un conseil d'enquête pour détournement des fonds qui lui étaient confiés et que ce fait ne pouvait être soumis qu'à un conseil de guerre; qu'au surplus le décret du 12 octobre 1902, qui a conféré la qualité d'officier aux agents de l'inscription maritime, n'a pu légalement édicter l'assimilation dont s'agit, et que, par suite, le requérant ne pouvait être poursuivi en qualité d'officier devant un conseil d'enquête ;

Vu les observations en réplique présentées par le ministre de la Marine, les dites observations. .,, tendant de nouveau au rejet de la requête par les motifs énoncés dans les précédentes observations, et, en outre, attendu que les faits reprochés au requérant justifiaient sa comparution devant un conseil d'enquête et non devant un conseil de guerre et qu'en tout cas il ne peut se plaindre d'une mesure d'indulgence dont il a bénéficié ; que, d'autre part, l'attribution de la qualité d'officier à un corps de fonctionnaires est une mesure qui peut être prise par le Président de la République dans l'exercice de son pouvoir réglementaire ;

Vu le mémoire en réplique présenté pour le sieur Babin, ledit mémoire..., tendant aux mêmes fins que la requête par les motifs ci-dessus énoncés, et en outre, attendu que la comparution du requérant devant un conseil d'enquête et non devant un conseil de guerre a eu pour effet de le priver de l'assistance d'un avocat ;

Vu (les lois des 19 mai 1834 et 24 mai 1872, le décret du 10 oct. 1902); Sur le moyen tiré de ce que le requérant ne pouvait être mis en réforme par application de la loi du 19 mai 1834: Considérant qu'en l'absence de toute disposition législative contraire, le Gouvernement a pu, par le décret du 10 octobre 1902, en déterminant l'état des commis et agents de l'Administration maritime, étendre à ce personnel, au point de vue disciplinaire, le bénéfice de la loi du 19 mai 1834; que, dès lors, le sieur Babin, qui était un agent de l'administration maritime lors de sa comparution devant un conseil d'enquête, n'est pas fondé à prétendre qu'il ne pouvait être mis en réforme par application de la loi précitée;

Sur le moyen tiré de ce que les faits à l'occasion desquels la mise en réforme a été prononcée seraient antérieurs au décret qui a placé le requérant sous le régime de la loi de 1834: Considérant que rien ne s'oppose à ce que la mise en réforme soit prononcée pour des faits antérieurs à l'époque à laquelle la loi du 19 mai 1834 est devenue applicable au requérant ;

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Sur le moyen tiré de ce que les faits retenus contre le requérant auraient relevé de la compétence d'un conseil de guerre et non de celle d'un conseil d'enquête : Considérant qu'en admettant, comme le soutient le sieur Babin, que les faits qui ont donné lieu à la poursuite disciplinaire dirigée contre lui eussent pu motiver sa comparution devant un conseil de guerre, il n'est pas fondé à se plaindre de ce que ces faits aient été retenus comme constituant seulement une faute dans le service de nature à motiver son envoi devant un conseil d'enquête ». . (Rejet).

$ 4.

De la signification du silence prolongé de l'administration sur une demande d'autorisation de bâtir.

Conseil d'Etat, 23 juillet 1906, Machart.

Dans une note précédente (Revue du Droit public, 1905, p. 764 et s.) un essai a été fait de construire une théorie générale de l'abstention en droit public français. Le Conseil d'Etat, par un arrêt du 23 juillet 1906, Machart, a fait une application intéressante de cette délicate théorie, dans une espèce qui, d'ailleurs, ne présentait guère de difficultés. S'il y a lieu de relever l'arrêt, c'est parce qu'il confirme la thèse générale à laquelle il a été fait allusion. Un des points de cette thèse générale, c'est que, lorsque l'abstention d'un agent ne doit pas être interprétée comme un refus d'exercer la fonction, il y a exercice -plus ou moins régulier de la fonction; dès lors, il y a décision implicite qui a des effets ou des conséquences juridiques (Cpr. dans cette Revue, 1905, p. 773). Mais tantôt le silence doit être interprété comme un consentement à la demande formulée, tantôt le silence devra être interprété comme un rejet de la demande. Cela dépend de la loi, qui, en tenant compte des circonstances de fait, traite avec plus ou moins de faveur la demande adressée au fonctionnaire qui s'est abstenu. En principe, à défaut d'un texte, quelque favorable que soit la situation, le silence doit être considéré comme décision de rejet.

Ceci posé, comment faut-il interpréter le silence prolongé gardé par l'administration sur une demande d'alignement et d'autorisation de bâtir?

D'après le décret du 26 mars 1852 relatif aux rues de Paris, art. 3 et 4, le constructeur de maisons, avant de se mettre à l'œuvre, doit: 1o demander l'alignement, et 2° adresser à l'administration un plan et des coupes cotés des constructions qu'il projette et se soumettre aux prescriptions qui lui seront faites dans l'intérêt de la sûreté publique et de la salubrité. « Vingt jours après le dépôt de ces plans et coupes au secrétariat de la préfecture de la Seine, le constructeur pourra commencer ses travaux d'après son plan, s'il ne lui a été notifié aucune injonction (1)». Ce texte ne règle la question que pour le silence gardé

(1) La loi du 15 février 1902, relative à la protection de la santé publique, contient une disposition analogue. Art. 11, § 2: « A défaut par le maire de statuer dans le délai de vingt jours, à partir du dépôt à la mairie de la demande de

par l'administration pendant 20 jours en ce qui concerne les plans et coupes. D'après le décret de 1852, il y a décision implicite et définitive d'acceptation des plans et coupes. L'administration ne peut pas revenir après coup sur cette décision, même si le constructeur n'a pas encore commencé les travaux. Le décret-loi de 1852 traite donc favorablement les constructeurs de maisons. C'est cette solution qu'a appliquée le Conseil d'Etat dans l'arrêt susvisé du 23 juillet 1906, Machart (1). L'arrêté préfectoral statuant sur la demande d'autorisation de construire n'avait été notifié qu'après l'expiration du délai de 20 jours prévu par le décret de 1852; à cette date, déclare le Conseil d'Etat, « le requérant avait, en vertu de la disposition précitée, acquis le droit d'élever des constructions d'après son plan; dès lors, il est fondé à soutenir que, par l'arrêté attaqué, le préfet de la Seine a excédé ses pouvoirs en lui refusant, dans l'intérêt de la salubrité, après l'expiration du délai de 20 jours imparti par le décret du 26 mars 1852, l'autorisation de construire un immeuble... ».

Mais qu'on le remarque bien, le Décret de 1852 ne règle la question du silence que pour la demande d'approbation des plans et coupes. Il est muet sur la question de l'alignement individuel. Dès lors, puisqu'il n'y a pas de texte interprétant, pour cette hypothèse, la signification de l'abstention de l'administration, la solution doit être absolument différente (2). Le silence gardé par l'administration à la demande

construire dont il sera délivré récépissé, le propriétaire pourra se considérer comme autorisé à commencer les travaux. »

(1) Conseil d'Etat 23 juillet 1906, Machart : « Considérant qu'aux termes de l'art. 4 du décret du 26 mars 1852, si tout constructeur de maisons à Paris doit adresser à l'administration un plan et des coupes cotés des constructions qu'il projette et se soumettre aux prescriptions qui lui sont faites dans l'intérêt de la sûreté publique et de la salubritė, il peut, vingt jours après le dépôt de ces plans et coupes, commencer des travaux d'après son plan, s'il ne lui a été notifié aucune injonction ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le sieur Machart a adressé à l'administration, le 20 avril 1905, une demande d'autorisation de construire appuyée de pièces justificatives, et que l'arrêté préfectoral en date du 18 mai 1905 statuant sur cette demande n'a été notifié à l'intéressé que le ai du même mois; qu'à cette dernière date le requérant avait, en vertu de la disposition précitée, acquis le droit d'élever ses constructions d'après son plan; que, dès lors, il est fondé à soutenir que, par l'arrêté attaqué, le préfet de la Seine a excédé ses pouvoirs en lui refusant, dans l'intérêt de la salubrité, après l'expiration du délai de 20 jours imparti par le décret du 26 mars 1852, l'autorisation de construire un immeuble d'une hauteur de 17 mètres en bordure d'une voie privée de 6 mètres de largeur ;

Décide L'arrêté du préfet de la Seine du 18 mai 1904 est annulé ».

(2) Pour les propriétaires riverains des cours d'eau navigables et flottables,

d'alignement, d'après la règle générale, équivaut à décision implicite de rejet. Le constructeur qui a construit sans avoir obtenu l'alignement est en contravention, tout comme s'il avait construit après avoir essuyé un refus formel, catégorique, de l'administration. La jurisprudence est bien établie en ce sens (1).

SECTION II

Contentieux de pleine juridiction

Dans quelle mesure les tribunaux français peuvent-ils statuer sur la responsabilité de l'Etat français à raison de dettes ayant pu exister à la charge d'un Etat dont il a pris le territoire par conquête et annexion totale?

Conseil d'Etat, 3 mars 1905, Mante et Borelli de Régis.

Il est arrivé, à diverses reprises, au cours de ces dernières années, que le Conseil d'Etat a été saisi de réclamations dirigées par des particuliers, tendant à faire condamner l'Etat français à payer des dettes que les requérants prétendaient être nées à la charge d'un gouvernement étranger, mais que l'Etat français, disaient-ils, était obligé de payer en tant que successeur du débiteur primitif par suite de conquête et d'annexion territoriale totale. En 1904, des créanciers poursuivaient l'Etat français considéré comme successeur du gouvernement malgache, à raison de sommes prêtées à ce dernier gouvernement (Conseil d'Etat, 5 août 1904, Ravero, dans cette Revue 1905, p. 92 et s.). En 1905, des commerçants, victimes d'agissements dommageables de l'ancien gouvernement du Dahomey, actionnaient l'Etat français, en tant que successeur du gouvernement du Dahomey, à raison de la dette née à la charge de ce dernier, par suite des dits agissements (2).

qui veulent faire des constructions, plantations ou clôtures le long de ces cours d'eau, la loi du 8 avril 1898, art. 48, dit clairement comment le silence de l'administration devra être interprété (Voyez dans cette Revue, 1905, p. 780).

(1) DALLOZ, Code des lois administratives, tome III, page 1264, vo Voirie,

nos 6115 et S.

(2) Plus exactement, les requérants, propriétaires de factoreries qui avaient été pillées par les bandes dahoméennes en 1890 et en 1892, prétendaient que l'Etat français en était responsable soit principalement, soit à titre de successeur. Principalement, attendu que les pertes subies étaient la conséquence des faits de guerre accomplis au Dahomey à cette époque, et attendu que les représen

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