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avènement, inavoué et subtil, d'un régime de démocratie semi-directe, avec sa tendance au mandat impératif, entraîner un bouleversement des institutions nationales. Au fur et à mesure, d'autre part, que la notion, jadis insoupçonnée ou méconnue en France, de l'élection comme choix et simple. procédé de sélection par des individus n'ayant d'autre fonction ou compétence que celle de voter, est mieux précisée en théorie (1), l'idée de mandat donné par l'électeur est, en fait, de plus en plus accueillie par les masses, auprès desquelles se pratique, apparemment à rebours, cette politique de «torysme populaire », préconisée par lord Beaconsfield (2), que, pour être victorieux, c'est à l'imagination du peuple, à ses sentiments et à ses émotions qu'il faut faire appel. - Enfin, tandis que certains offices, comme la présidence de la République, ont vu leur prestige irrémédiablement touché (3) pour cette triple raison que, par le mode de son élection, le triste privilège de son irresponsabilité et son état juridique de chef d'un Etat parlementaire, le président fut plusieurs fois dans l'alternative de se soumettre ou démettre, n'est en fait à aucun degré un « représentant », et ne pourrait user de ses pouvoirs formels qu'en ayant l'air de commettre un coup de force, d'autres magistratures croissent en importance, la présidence de la Chambre en particulier.

comme aussi sur la genèse des doctrines dualistes, et pour la critique des concepts divisés de nation et de gouvernement, ce que dit M. DUGUIT, dans ce livre, qui pourrait bien être le manifeste d'une nouvelle école de droit public, L'Etat, t. II, Les gouvernants et les agents, 1903, p. 15-24, 48-50, 57-70. Cfr. MICHOUD, La théorie de la personnalité morale et son application au droit français, t. I, 1906, no 112 bis, texte et note 3, p. 287.

(1) Cpr. SALEILLES, La représentation proportionnelle, dans la Rev. du dr. publ., t. IX, 1898, p. 225-227; — Duguit, op. cit., t. II, p. 696, 703; MICHOUD, op. cit.,

ORLANDO,

пo 112, p. 290; — LABAND, Le dr. public de l'Emp. allem, trad. fr., t. I, p. 442; JELLINEK, Das Recht des modernen Staates, I: Allgemeine Staatslehre, Berlin, 1900, p. 531; SARIPOLOS, La démocratie et l'élection proportionnelle, 1899, t. II, p. 110: BRUNIALTI, Il diritto costituzionale e la politica, 1896, t. I, p. 554; Le fondement juridique de la représentat. politique, dans la Rev. du dr. publ., t. III, 1895, p. 24 sq.; et Principii di diritto costituzionale, 3o éd., Florence, 1894, p. 70. 2) OSTROGORSKI, Les femmes politiciennes en Angleterre, dans la Revue de Paris, 1 décembre 1900, p. 531.

(3) V. BARTHÉLEMY, Le pouvoir exécutif dans la Constitution française, dans la Revue des idées, t. II, 15 mars 1905, p. 235-239.

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Jules Simon, notant, il y a une douzaine d'années (1), quelques souvenirs de sa longue carrière, marquait cette concomittante digression et ascension, en disant : « Nous avons tous vu un temps où le gouvernement étant exercé par le président de la Chambre, il y avait un président à l'Elysée, pour donner des bals et des signatures, et un président au Palais-Bourbon, pour présider et gouverner la Chambre d'abord, et le pays ensuite. Ce président-là tenait les ministres ; il fallait lui obéir ou partir. Un fonctionnaire qui voulait de l'avancement le demandait par convenance à son ministre ; il allait de là chez Gambetta, qui donnait ou refusait son assentiment et avait toujours le dernier mot ». Il se peut que le trait ait été accidentel et qu'il soit, quant à la grande physionomie si pénétrée du sens de la tradition nationale et si intelligente des réalités de l'histoire qu'il met en scène, une notation du « rôle dictatorial que joua Gambetta dans la République (2) », parce que Gambetta, qui « de fait, plusieurs mois durant, fut la République (3) », à de multiples heures de sa féconde vie publique, « avait, derrière lui, la République (4) ». Un fait n'en demeure pas moins indéniable : tandis que toute l'évolution de la procédure parlementaire, jadis organisée, principalement, sinon uniquement, en faveur de la minorité et à l'avantage des membres individuels, va se complétant et concourant à faire prévaloir rapidement la volonté du plus grand nombre (5), les esprits acceptent comme naturelle, réclament comme nécessaire, et donnent même comme réalisée l'évolution du rôle du président qui, d'arbitre impartial des débats, serait devenu et doit être l'homme d'un parti (6).

L'histoire du régime parlementaire rapporte, entre autres, l'exemple d'hommes politiques qui, portés au fauteuil de la

(1) Le régime parlementaire en 1894, dans la Revue politiq. et parlem., t. I, 1894, P. 16.

(2), (3) et (4) GEORGES GOYAU, L'idée de patrie et l'humanitarisme. Essai d'histoire française: 1866-1901 (Paris, Perrin, 1902), p. 147, 127, 196.

(5) V. BOUTMY, Le développement de la Constitution et de la société politique en Angleterre, 1897, p. 349, 353.

(6) Rf. ce que j'ai écrit à ce sujet, l'an dernier, dans une Chronique constitutionnelle de cette Revue, t. XXII, 1905, p. 198 et 199, note a.

présidence, furent, de propos délibéré et déclaré (1), tout autres qu'on ne les avait connus jusqu'à cette élévation, n'appartenant plus ouvertement à aucun parti, ne manifestant désormais aucune opinion personnelle, et observant toujours la plus rigoureuse impartialité; Royer-Collard (2) fut, sous la Restauration, l'un de ces prototypes de présidents selon la vraie formule, directeurs des débats et interprètes de l'assemblée vis-à-vis des autres pouvoirs, « personnages politiques très importants... qui véritablement protègent à la fois la liberté de la tribune et assurent l'utilité et la dignité des

(1) Cpr. deux discours de ROYER-COLLARD, montant au fauteuil, l'un à la date du 27 février 1828 : « ... J'en serais détourné aussi (de si périlleuses fonctions) par les habitudes peut-être invincibles de toute ma vie; je regretterais la liberté de ces bancs où je me suis si longtemps assis, de cette tribune où j'ai quelquefois élevé la voix dans de graves intérêts. Mais j'ai devant moi d'impérieux devoirs... J'y apporte du moins un vif sentiment de la justice, seule conciliatrice des opinions et des intérêts divers; ce sera mon titre à votre confiance >> (Moniteur universel, p. 247); l'autre, à la date du 2 février 1829: ... A mesure cependant que le progrès naturel des institutions représentatives élève la Chambre des députés à la place qui lui appartient dans notre gouvernement, les fonctions de son président deviennent plus importantes et plus difficiles. J'ai trop éprouvé..., mais je me souviens avec une vive et profonde reconnaissance de l'encouragement que j'ai reçu de la bonté constante du roi, et de votre généreuse, de votre amicale bienveillance... Elle m'est aussi chère que nécessaire. Je tâcherai de la mériter toujours par la fidélité à mes devoirs, et par mon attachement inviolable à la justice qui est notre loi commune » (Moniteur universel, p. 143).

(2) V. un article du Journal des Débats, 31 janvier 1829: « M. Royer-Collard est en quelque sorte le symbole vivant de la réconciliation entre tous les partis. La monarchie ne peut, pas plus que la liberté, se défier d'un homme qui les a défendues pendant les mauvais jours; et quand la Chambre présente au roi un pareil nom, quand le roi le renvoie consacré par son auguste suffrage, on peut dire qu'il y a là une espèce de profession de foi mutuelle aussi éclatante, aussi significative que toutes les paroles du monde. Le nom de M. Royer-Collard est un principe... Quiconque l'adopte renonce à vouloir autre chose que la Charte, autre chose que l'accord pacifique de la prérogative royale et des franchises populaires». - Rpг. DE BARANTE, La vie politique de Royer-Collard, t. II3, 1878, p. 368 : « Il était indépendant des ministres, étranger aux projets de loi qu'ils présentaient, mais il veillait à ce qu'il ne se formât aucune cabale pour dissoudre le cabinet... Sans travailler ostensiblement à recruter les votes, ses conseils, qui lui étaient fort demandés, contribuaient à maintenir la majorité... La considé ration, le respect même qu'il tarda peu à acquérir, en vinrent au point que les orateurs les plus passionnés de la droite ou de la gauche lui communiquaient leurs discours, et le consultaient pour savoir jusqu'à quel point ils pourraient aller... »

discussions à l'intérieur de l'assemblée (1) ». Elle a connu aussi le cas de présidents qui, au fauteuil, dépassèrent ou méconnurent ce rôle, s'occupèrent rétrospectivement de propos tenus à des séances qu'ils n'avaient point présidées (2), prétendirent expressément diriger la discussion « d'une façon un peu absolue (3) », pour réduire, le cas échéant, la liberté de certains orateurs (4), et, toujours, prévenir ou arrêter des vérités embarrassantes pour le gouvernement (5); le duc de Morny, sous le Second Empire (6), a été le modèle achevé de ce genre que vise cette phrase de La France nouvelle (7): « On le considère généralement comme l'instrument de la majorité de l'assemblée, comme un représentant de cette majorité, spécialement chargé de contenir ou de gêner l'expression des sentiments de la minorité, de frapper d'une désapproba tion immédiate tout ce qui blesse vivement l'opinion dominante, d'empêcher ou de blâmer toute parole trop désagréable à ceux qui l'ont choisi; et si, par surcroît, il a le don des

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(1) ESMEIN, Eléments de droit constitut. franç, et comparé, 3. éd., 1903, p. 742. (2) CORPS LÉGISLATIF, Séance du 8 mars 1862, Monit. universel, p 332: « Permettez-moi de vous dire, déclara Morny à E. Picard, à l'occasion d'un propos tenu par celui-ci à la séance de la veille, que vous serez sujet à ma censure quand je jugerai à propos de vous l'appliquer... Il n'y a pas de principe abstrait dans ce genre de choses. Laissez-moi vous dire que, dans la discussion, je n'ai pas seulement l'ordre à faire respecter. Est-ce que vous croyez que je n'ai le droit de vous rappeler à l'ordre que quand vous troublez l'ordre ? J'ai le droit de vous rappeler aux convenances, de vous empêcher de calomnier, ici, le gouvernement et la magistrature... >>

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(3) CORPS LÉGISLATIF, Séance du 9 janvier 1861, Monit. universel, p. 182: Observations de Morny sur le mode de discussion de l'adresse. Rpr. un très vif colloque, intervenu, au même sujet, entre le duc président, Jules Favre et Ernest Picard, à la séance du 20 mars 1862, ibid., p. 426, et une déclaration antérieure de Morny, le 13 mars, ibid., p. 369.

(4) V., entre autres cas, CORPS LÉGISLATIF, Séances des 11 juillet 1860, Monit. universel, p. 825, et 18 juin 1861, ibid., p. 922: Incidents provoqués par des interruptions ou protestations de Jules Favre sur l'effet de la Révolution de 1848 et le coup d'Etat de 1851.

(5) CORPS LEGISLATIF, Séance du 29 janvier 1864, Monit. universel, p. 162 : « ... Je chercherai toujours, dit le duc de Morny, par un esprit de conciliation infatigable, à détruire les germes de division ou de défiance que les discussions prolongées introduisent parfois dans les assemblées ».

(6) Cpr. P. DE LA GORCE, Hist. du second Empire, t. II, p. 29-31; EMILE OLLIVIER L'Empire libéral, t. VI, p. 157, 601.

(7) 3° éd., in-8°, 1868, p. 89.

réparties vives et spirituelles, s'il sait intervenir par de brusques saillies dans la discussion et l'égayer de quelques bons mots, c'est un président accompli : les voeux de l'assemblée et de la nation sont comblés ».

Tout récemment, dans un rapport dont il sera bientôt question, M. Dauzon (1) a tiré argument de ce fait et de sa définition par Prévost-Paradol pour affirmer et établir « la pratique constitutionnelle, ou plutôt la tradition parlementaire, qui commande formellement l'élection au scrutin public du président de la Chambre ». — Le recul des évènements ayant cet effet d'en simplifier la complexité et de faire surgir de la réalité même une sorte de vérité supérieure, on eût assez aisément a priori cru impossible l'invocation des précédents du Second Empire, qui ne peuvent guère, en ce qui regarde la liberté, que tromper et égarer; au surplus, l'appréciation d'une tenue à la Morny de ce rôle présidentiel, dont on présente trop les tendances comme de plus en plus accusées, et qu'entendirent certes de façon meilleure et plus sûre les derniers présidents mêmes, est encore au fragment de PrévostParadol, dont les diverses parties ont été par le rapport reproduites en bloc et sans critique : « Quant au rôle de ce président, il faut convenir qu'on s'en fait en France l'idée la plus fausse et la plus fâcheuse... Pour moi, je l'avoue, un des plus tristes symptômes de notre inexpérience des mœurs parlementaires et de notre peu d'intelligence des institutions libres, c'est le plaisir que tout le public français a pris de tout temps à cet inconvenant spectacle, c'est aussi la naïveté avec laquelle des hommes qui ont compris et pratiqué de cette étrange sorte les devoirs d'une présidence législative se sont offerts euxmêmes avec succès à la gratitude et à l'admiration universelles ».

(1) Chambre des députés, séance du 1er décembre 1905: Annexe, no 2805. Rpr. un projet de résolution de M. Fournier (séance du 2 février 1905, annexe no 2226), tendant à modifier l'art. 2 du Règlement de la Chambre comme suit : A la première séance d'une nouvelle législature, et après l'installation du président d'âge, il est procédé immédiatement, en séance publique, par scrutin public séparé et à la majorité absolue, à la nomination d'un président et de deux vice-présidents provisoires. Pour ces nominations, chaque député signe lisiblement de son nom, sous risque de nullité, en dessous du nom du candidat, sur le bulletin qu'il a choisi ».

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