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Que, d'une part, en effet, l'article 9 vise des individus qui veulent acquérir la nationalité française, ce qui ne permet pas d'appliquer ses dispositions aux individus dont parle l'alinéa 3 de l'article 8, lesquels sont déclarés Français sous condition résolutoire; que, d'autre part, le décret du 13 août 1889 n'a pas, dans la partie dont il s'agit, de valeur légale ; qu'en effet, rendu en exécution de l'article 5 de la loi du 26 juin 1889, dans le but unique de déterminer « les formalités à remplir et les justifications à faire, relativement à la naturalisation ordinaire et à la naturalisation de faveur dans les cas prévus par les articles 9 et 10, C. civ., ainsi qu'à la renonciation de la qualité de Français, dans les cas prévus par l'article 8, alinéa 4....... », il a manifestement excédé les pouvoirs que la loi du 26 juin 1889 avait délégués au pouvoir exécutif en consacrant, au profit des représentants légaux du mineur, dans les cas de l'alinéa 3 de l'article 8, une faculté contraire au droit commun, et ainsi empiété sur le domaine réservé au pouvoir législatif. »

GASTON JEZE

Professeur de droit administratif

à l'Université de Lille.

SECTION III

Analyse de notes de jurisprudence

JURISPRUDENCE ADMINISTRATIVE

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Sirey 1905. 3. 129. Note de M. le professeur HAURIOU, sous Cons. d'Et., 3 février 1905, à propos de garderies d'enfants, sur les modes, non réglementés par la loi, d'utilisation de la propriété.

Depuis quelques années, par esprit de parti, dans certaines localités, les entreprises de la police municipale contre les garderies (que nulle disposition, législative ou règlementaire, sur l'enseignement, la police sanitaire ou la santé publique n'a visées) se sont multipliées. Elles ont été, d'accord, déclarées illégales par la Cour de cassation et le Conseil d'Etat les autorités doivent apprendre la distinction entre ce qui est précautions à prendre » au point de vue sanitaire et ce qui est « interdiction » [V. le rapport de M. le conseiller Bard, sous Cass. 3 déc. 1904, Gaz. Trib., 19-20 déc. 1904]; il faut distinguer entre les voies publiques où la police municipale a des pouvoirs larges, parce que, dans les lieux publics, elle est chez elle, et les propriétés privées, où la police municipale a des pouvoirs étroits, parce qu'elle est chez le citoyen, et parce que la propriété privée est un asile et un domicile pour les droits de cité [Rpr. une autre note de M. Hauriou, sous Cons. d'Et., 18 mars 1898, Sir., 99. 3. 1], Sirey 1905. 3. 145. Note de M. le professeur HAURIOU, sous Cons. d'Et.. 18 novembre 1904, sur le cumul de la pension de retraite à l'ancienneté et de la rente viagère pour accident.

La question du cumul était à prévoir depuis la loi de 1898. Consulté administrativement, le Conseil d'Etat émit l'avis que l'option une fois faite par l'intéressé en réclamant l'une des pensions, son droit à l'autre pension ne pouvait plus être exercé. L'assemblée du contentieux a rompu avec la doctrine administrative. Au surplus, tant dans l'avis que dans l'arrêt, le Conseil a posé la question sur son véritable terrain, la nature de la pension d'ancienneté dans les rapports de l'employeur et de l'employé. L'avis réduisait, suivant la vieille

idée, la pension à une rente viagère de nature alimentaire; l'arrêt, procédant par une nouvelle et très juste définition, la considère comme représentative des services faits, au titre de traitement différé, soit parce que les retenues versées par l'employé sont une partie de son traitement nominal, soit parce que la perspective de la pension à l'ancienneté détermine l'acceptation par son éventuel bénéficiaire d'un traitement nominal inférieur. Ainsi, tandis que la rente viagère représente simplement l'accident et la perte de ce que valait encore la vie de l'ouvrier après la retraite, la pension d'ancienneté (le raisonnement ne vaudrait pas pour les pensions d'invalidité de la loi de 1853) représente la durée des services.

Sirey 1905. 3. 154. Conclusions de M. le commissaire du gouvernement SAINT-PAUL, Sous Cons. d'Etat, 20 juin 1903 (3 arrêts).

Les arrêts en question, rendus même après la loi du 7 juillet 1904 portant suppression de l'enseignement congréganiste, conservent leur intérêt, pour cette double raison, indiquée au recueil, que la suppression est seulement à terme, et que la prohibition portée contre l'enseignement congréganiste pourra être enfreinte. La question de savoir à quel caractère précis se reconnaissent les écoles congréganistes pourra donc se poser encore; les conclusions rapportées la traitent de fort bonne manière.

JURISPRUDENCE JUDICIAIRE

Dalloz 1905. 1. 441. Note de M. le professeur A. LAINÉ, sous Cass., 9 février 1904, à propos d'un cas d'acquisition de la nationalité française par participation aux opérations du recrutement.

Cette dissertation extrêmement nourrie et vigoureuse, qui ressortit au droit privé, est du plus haut intérêt pour quiconque s'occupe d'analyser la notion, si négligée par la doctrine française, de souveraineté territoriale et rechercherait les titres d'une théorie inessayée qui envisagerait le territoire comme objet de puissance publique. Elle combat en particulier, avec grande raison, la thèse de la Cour suprême, qui déclare un étranger apte à devenir français par un acte de sa volonté, et par celà même à accomplir les conditions auxquelles la réalisation de cette volonté est de droit subordonnée, nonobstant un arrêté d'expulsion qui l'aurait frappé antérieurement aux opérations du recrutement. De deux droits vraiment incompatibles, celui de l'individu appelé à devenir français par le bienfait de la loi (C. civ., art. 9 et 10, et celui de l'Etat qui, dans l'intérêt de l'ordre public, et en réalité par exécution de la loi du 3 décembre 1849, prétend ne pas souffrir sur le territoire français la présence d'un étranger, c'est ce dernier que sacrifie la jurisprudence; à la vérité, celle-ci n'oppose pas l'une à l'autre les deux lois de 1849 et de 1889, mais seulement à la loi civile de 1889 le fait arbitraire du gouvernement que la loi de 1849 elle-même qualifie de mesure de police; c'est méconnaître tout à la fois 1o cette thèse qu'une mesure de police régulièrement prise en vertu d'une loi emprunte à cette loi son autorité et se confond en quelque sorte avec elle, et 2° cette juste analyse de la situation que l'obstacle au retour de l'expulsé, ce n'est pas l'arrêté d'expulsion, dont l'effet propre a été de mettre l'étranger hors du territoire et serait, s'il rentrait, de le faire reconduire à la frontière, mais bien l'art. 8 de la loi du 3 décembre 1849; or, cela, c'est une loi, et non une mesure de police.

JOSEPH DELPECH,

Professeur agrégé de droit public à l'Université d'Aix-Marseille.

CHRONIQUE ADMINISTRATIVE

Le Conseil d'Etat et ses tendances actuelles (1)

Dans une lecture faite à l'Académie des sciences morales et politiques les 7 et 14 octobre 1905, M. René Worms, auditeur au Conseil d'Etat, a présenté une étude remarquable et vécue, peut-on dire, sur la juridiction du Conseil d'Etat. A raison de son intérêt, elle mérite d'arrêter l'attention. Malgré son caractère très optimiste, on sent çà et là — par quelques réserves non appuyées que l'auteur connaît mieux que quiconque les défauts de l'institution. Mais, la place qu'occupe M. René Worms au Conseil d'Etat lui faisait un devoir de n'y pas insister; ceci explique vraisemblablement pourquoi il a parlé presque exclusivement du rôle bienfaisant joué par le Conseil d'Etat comme tribunal administratif. Sur ce point, tous ceux qui étudient la jurisprudence du Conseil partageront son sentiment favorable. Somme toute, dans l'ensemble, au contentieux, l'institution fonctionne bien, mieux même qu'on ne s'attendrait à la voir fonctionner étant donné les vices du recrutement du haut personnel.

Il y a, au contraire, beaucoup à dire du Conseil d'Etat comme corps consultatif. Le haut prestige qu'a acquis parmi les jurisconsultes le Conseil, tribunal administratif, rejaillit en grande partie sur le Conseil, corps consultatif On confond trop souvent les deux choses, et certainement elles ne doivent pas être confondues. En droit, aucune séparation n'existe entre le personnel du contentieux et le personnel ordinaire des sections administratives. En fait, au contentieux, on trouve presque exclusivement des jurisconsultes de carrière, qui proviennent en majorité du concours, qui jouissent d'une autorité scientifique et d'une impartialité justement méritées. Ils seraient l'honneur et la gloire de toute magistrature. Ils donnent au Conseil d'Etat tout entier une auréole que la fraction juridictionnelle mérite seule. M. René Worms, sans s'y arrêter, nous indique dans son étude comment le travail continu exigé des rapporteurs et l'examen minutieux des rapports opère automatiquement l'élimination des non jurisconsultes, de l'élément suspect, composé de vieux préfets que l'on a mis en quelque sorte en disgrâce en les envoyant au Conseil d'Etat, de jeunes fils, neveux ou frères de ministres, de jeunes secrétaires ou d'amis personnels de hauts

(1) La juridiction du Conseil d'Etat et ses tendances actuelles, par RENÉ WORMS, Annales de l'Académie des sciences morales et politiques, 1905.

personnages politiques, qui, incapables d'entrer au Conseil par la voie du concours, ayant même parfois échoué dans ces épreuves difficiles, sont, d'emblée, investis quelques-uns même à peine sortis des Facultés de droit de l'importante fonction de maître des requêtes. L'observateur impartial des institutions politiques ne manquera pas de constater combien il faut de temps à un pays pour se débarrasser des pratiques les plus abusives. Voilà plus d'un siècle que la Révolution a proclamé que la seule distinction entre les citoyens pour l'attribution des fonctions publiques est celle de leurs vertus et de leurs talents. Cette formule, en 1906, en ce qui concerne le Conseil d'Etat, est bien loin d'être réalisée. Et c'est regrettable. Le deuxième élément recruté à la faveur

apporte au Conseil d'Etat soit des habitudes de discipline et d'obéissance au Gouvernement, soit des sentiments de reconnaissance personnelle à l'égard des hommes politiques qui les tirèrent du néant, habitudes et sentiments qui, peut-être, sont excellents pour l'exercice de la fonction préfectorale, mais qui sont dangereux dans un corps de jurisconsultes appelés, dans leur rôle administratif ou dans leur qualité juridictionnelle, à dire le droit et à se montrer impartiaux.

Ce n'est pas seulement, par le personnel, que le Conseil d'Etat au contentieux se distingue du Conseil d'Etat, corps administratif. C'est aussi par les pratiques qui y sont suivies. Plus l'on étudie de près les arrêts du Conseil au contentieux, plus on constate les progrès réalisés par la jurisprudence. Les opérations administratives du Conseil sont moins connues; mais ce qui est certain, c'est que le Gouvernement exerce une influence prépondérante sur ce qui s'y fait préparation de projets de loi ou de règlements d'administration publique, avis sur le sens d'une loi, etc. Le désir de plaire au Gouvernement est y manifeste. Ici, le Conseil fait beaucoup moins œuvre de jurisconsulte que de légiste. Il s'introduit même des formations, qui ne sont peut-être pas absolument contraires aux textes organiques du Conseil, mais qui, en tout cas, sont nouvelles et cadrent avec cette influence prépondérante exercée par le Gouvernement. La méthode normale de travail employée jusqu'ici, c'était l'étude des projets dans les sections administratives organisées et préconstituées entre lesquelles sont répartis les membres du Conseil. Or, de plus en plus, à l'heure actuelle, on constate la nomination de commissions spéciales pour une affaire déterminée, dont les membres sont soigneusement triés sur le volet et dont les opinions politiques connues permettent de prévoir la solution qui sortira des travaux de la commission. Sans doute, il faudra faire un rapport à l'assemblée générale du Conseil d'Etat ; mais là, outre que l'examen est forcément superficiel, le personnel extraordinaire à la dévotion du Gouvernement fera pencher la balance dans le sens que les ministres voudront. Somme toute, plus on étudie le Conseil d'Etat, plus on est amené à distinguer les deux grands éléments dont il se compose.

M. René Worms a évité d'aborder cet ordre d'idées. Il a préféré s'en tenir au domaine mieux connu et mieux exploré, et moins mouvant, de la juridiction.

Voici, sur cette partie, un résumé de ses développements.

I. Comment le Conseil d'Etat statuant au contentieux entend-il à l'heure présente ses devoirs? S'efforce-t-il d'assurer à ses ressortissants les conditions d'une bonne justice? La composition de ce corps donne-t-elle de suffisantes garanties d'indépendance, d'impartialité, de compétence? Sa procédure est-elle éclairée, rapide, économique? Ses décisions sont-elles suffisamment respectueuses, tant de la loi positive que de l'équité ? Telles sont les questions que se pose l'auteur.

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II. Indépendance. Les membres du Conseil d'Etat ne jouissent pas de l'inamovibilité, parce qu'ils sont, en même temps que des juges, des donneurs d'avis. Mais, en fait, les membres du Conseil d'Etat ont l'inamovibilité depuis les mesures collectives qui ont, en 1879. renouvelé cette assemblée «< pour donner à la République un Conseil d'Etat républicain ».

La garantie des juges administratifs réside dans le sentiment très généralement répandu que leur indépendance est une sauvegarde pour tous les intérêts légitimes. D'autre part, les conseillers d'Etat, étant au sommet de la hiérarchie administrative, n'ont plus, dans leur carrière, à peu près rien à attendre de la faveur officielle (sauf les décorations).

Cette raison ne vaut que pour les conseillers d'Etat et non pour les maîtres des requêtes et auditeurs, parmi lesquels sont choisis les rapporteurs et les commissaires du gouvernement au contentieux. Mais on ne peut reprocher à ces derniers leur docilité : ils parlent au nom de la loi seule. Leur vrai titre serait commissaires de la République.

Des dispositions réglementaires ont, du reste, été édictées pour empêcher l'immixtion du pouvoir dans l'exercice de la haute justice administrative exclusion du Conseil d'Etat au contentieux du ministre de la justice, des ministres, des conseillers d'Etat en service extraordinaire, des conseillers d'Etat en service ordinaire délégués temporairement à la tête de services publics et que l'on retrouve au contraire aux assemblées générales du Conseil d'Etat corps administratif.

Des pratiques s'ajoutent : ordonnances de restitution de dossiers trop longtemps conservés par l'administration (V. dans cette Revue, 1904, p. 99); interprétation du silence partiel de l'administration comme l'aveu d'une erreur ou d'une faute de service.

Aussi le Conseil d'Etat apparaît-il à nombre d'administrateurs comme une espèce d'épouvantail.

Et le Conseil d'Etat au contentieux ne s'inquiète pas des conséquences politiques de ses décisions, comme le prouve l'arrêt du 12 janvier 1895 (Compagnies d'Orléans et du Midi), qui fut suivi d'une crise ministérielle et d'une crise présidentielle. De même, il n'a pas hésité à réprimer les abus commis dans un intérêt politique en matière de sectionnement électoral par un conseil général présidé par le ministre de l'Intérieur, président du conseil des ministres (7 août 1903, Chabot).

Tout cela est très vrai et fait l'honneur des magistrats de la section du contentieux.

REVUE DU DROIT PUBLIC. -T. XXIII

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