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ces tendances à la libéralité ont le plus complètement l'occasion de se faire jour. Certains même les trouvent excessives. Enfin, le Conseil d'Etat a construit lui-même toute une théorie très favorable aux intérêts privés l'excès de pouvoir. Une branche de cette théorie le détournement de pouvoir — n'a aucune base dans les textes. De plus, lorsqu'il s'agit de garanties inscrites dans des textes, le Conseil d'Etat les applique très rigoureusement.

Somme toute, on le voit, on ne peut pas faire tenir les tendances de la jurisprudence du Conseil d'Etat dans l'unité simpliste d'une formule abstraite.

X. Conclusion. Le Conseil d'Etat au contentieux est digne de la confiance que lui ont jusqu'à présent témoignée le Parlement et les justiciables.

sup.

Néanmoins, certains voudraient pour l'honneur des principes primer ses attributions juridictionnelles. Les principes, disent-ils, exigent qu'il n'y ait en France qu'une seule justice.

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M. R. Worms combat ces conclusions. Toutefois, il admet qu'il est des points sur lesquel le maintien d'une juridiction administrative ne s'impose point. La délimitation possible, il croit la trouver dans le principe de la distinction des actes d'autorité et des actes de gestion. On pourrait - si l'on appliquait ce principe attribuer aux tribunaux civils la connaissance des litiges portant sur les travaux publics et sur les dettes de l'Etat, au moins sur celles qui sont nées d'un fait contractuel. On pourrait aussi donner aux tribunaux répressifs le jugement des contraventions de grande voirie, aux tribunaux civils la connaissance des contestations en matière d'impôts directs, car il s'agit d'actes accomplis dans un intérêt patrimonial, en vue de remplir le Trésor.

Ce qu'en revanche on ne doit pas enlever à la juridiction administrative, c'est le jugement des recours pour excès de pouvoir, les recours contentieux tendant à la réparation pécuniaire d'une faute délictuelle d'un service public, les pourvois contre les décisions des tribunaux administratifs spéciaux (Cour des comptes, Conseil supérieur de l'Instruction publique), enfin les pourvois en matière d'élections départementales et municipales. Les soumettre aux tribunaux d'arrondissement, ce serait risquer d'en voir la décision influencée par les partis-pris locaux.

Les Conseils de préfecture, dans cette réforme, deviendraient inutiles, et ce serait une économie pour le Trésor. Mais les justiciables y gagneraientils? Les entrepreneurs de travaux publics seraient, sans doute, moins bien traités par les tribunaux civils, et de même les demandeurs en indemnité pour dommages causés par l'exécution de ces travaux.

En terminant, l'auteur constate que la réforme n'est pas réclamée généralement. Le mieux serait peut-être de laisser subsister, telle qu'elle est, une institution qui a fait ses preuves.

M. René Worms termine par ces conclusions rassurantes l'exposé de la juridiction du Conseil d'Etat. Et l'on peut, pour le moment, se rallier à ces conclusions optimistes. Mais il y a un point noir à l'horizon. Un danger menace le Conseil d'Etat, comme il menace les autres institutions publiques françaises. C'est l'influence grandissante des hommes politiques dans le recrutement, l'avancement, les travaux du Conseil d'Etat. Elle menace de corrompre l'élément le plus solide de la Haute Assemblée. Les nominations quelque peu scandaleuses de jeunes maîtres des requêtes, qui n'ont osé affronter le concours ou qui n'y ont pas réussi, décourage les auditeurs. Ce mauvais exemple les incite à recourir aux influences politiques pour franchir rapidement les étapes de la hiérarchie. Trop nombreux sont ceux qui, suivant la fortune politique d'un ministre, deviennent directeurs, chefs, chefs adjoints de cabinet; certains, après un court passage dans cette situation mal définie, rentrent au Conseil d'Etat avec un grade plus élevé, qu'ils n'eussent jamais conquis par le travail le plus soutenu. Là est le danger.

Le remède, c'est un membre du Conseil d'Etat, M. le conseiller d'Etat C. Colson, qui nous l'indique. Dans son Cours d'Economie politique professé à l'Ecole des ponts et chaussées (1), s'occupant des combinaisons qui peuvent << amener à la tête de chaque administration des hommes d'élite », M. Colson estime avec raison que ce résultat « dépend exclusivement des règles établies pour le recrutement et l'avancement des fonctionnaires ». << Pour le recrutement, dit-il, le concours, malgré ses imperfectious, est encore le seul mode de sélection que l'on puisse trouver, du moment où l'on ne fait plus des fonctions publiques l'apanage de la naissance. Le libre choix par les ministres, appliqué à des jeunes gens qui n'ont pas encore fait leurs preuves, ne serait autre chose que la faveur pure et simple... Ainsi, les fonctions publiques ne peuvent, en fait, se recruter sérieusement que par le concours à l'entrée »>.

« Pour l'avancement, ajoute M. Colson, quatre procédés seulement sont possibles l'ancienneté, le concours renouvelé, le choix exercé par les ministres, le choix exercé par les Conseils où siègent les plus hauts fonctionnaires de chaque corps, autrement dit une sorte de cooptation. L'ancienneté ne laisse place à aucun stimulant; le concours n'a plus de raison d'être, quand il s'agit de juger des hommes qui ont fait leurs preuves et tendent à faire trop prévaloir les études théoriques sur les qualités pratiques; le choix par le ministre, si celui-ci ne se borne pas à ratifier les propositions des chefs de corps ne peut être que la faveur ou le hasard des relations politiques; l'expérience montre que le choix par les chefs jusqu'au sommet de la hiérarchie et la cooptation au sommet est encore le procédé qui assure le meilleur choix, bien qu'il ait une certaine tendance à verser parfois dans le népotisme ou dans le respect excessif de l'ancienneté.

(1) Paris, 1905, Guillaumin éd., t. III, première partie, les Finances publiques et le Budget de la France, p. 173 et s.

La seule garantie possible, contre ces abus, se trouve dans des concours sérieux à l'entrée des carrières susceptibles de conduire à de hauts emplois, concours qui limitent le nombre des candidats entre lesquels le choix s'exercera pratiquement pour les grades élevés et en excluant les incapables. »

MARCEL PHILIPPE,
Docteur en droit.

CHRONIQUE ÉTRANGÈRE

ALLEMAGNE

1. La décision du Tribunal de l'Empire sur la succession au trône de la principauté de Lippe. 2. La réforme des lois électorales dans les Etats particuliers.

I

Le 25 octobre 1905 marquera dans les annales du droit public allemand. C'est ce jour là que, par son verdict, le Tribunal de l'Empire a tranché définitivement la question de la succession au trône de la principauté de Lippe. Cette question avait occupé l'opinion publique pendant quelques années. Elle ne la passionnait pas, il est vrai, - du moins, en dehors du territoire intéressé directement; mais enfin, on en parlait, on s'en moquait, on s'en fâchait un peu partout.

Qu'il me soit permis, en commençant, d'affirmer que, selon ma conviction personnelle, le système monarchique présente de grands avantages sur le système républicain. Il nous fournit un chef d'Etat soustrait aux luttes des partis politiques, religieux et sociaux; il entre dans sa fonction entièrement préparé à la besogne qu'il a à accomplir et entouré du prestige immense que lui a donné la position historique de sa famille. Ceci dit, on peut convenir que ce beau système a les défauts de ses qualités. S'il assure la succession du chef de la famille régnante d'après les principes de la légitimité, il peut soulever la question de cette légitimité même et faire naître autour d'elle des compétitions assez vives et des discussions peu dignes. Justement, dans la question Lippe, on a eu le grand tort d'étaler tout cela avec un sans-gêne quelque peu naïf; et si l'idée de la monarchie n'avait dans l'âme allemande des racines aussi profondes, on aurait par là risqué de la compromettre sérieusement.

En 1895, lors du décès du premier Waldemar de Lippe, il se trouvait que le seul représentant de la ligne régnante qui lui survécût, le prince Karl Alexander, était en état d'interdiction pour cause d'aliénation mentale. Dès lors, la principauté devait passer à une ligne collatérale; celle-ci, provisoirement, aurait dû également fournir le régent du petit pays dans la personne de l'héritier présomptif. Or, à ce moment, il y avait trois branches différentes de la maison Lippe, qui, toutes trois, pouvaient entrer en ligne : Biesterfeld, Weissenfeld et Schaumburg. Cette dernière branche,

d'après les règles de la primogéniture, devait céder le pas aux deux autres, en particulier à celle de Biesterfeld, branche aînée. Le sort, il est vrai, l'avait beaucoup avantagée; elle était déjà en possession de la souveraineté de Schaumburg-Lippe, et elle comptait aussi parmi les membres de la famille le propre beau-frère de l'Empereur. Les deux autres lignes étaient simplement apanagées par la ligne régnante de Lippe. Juridiquement, cette différence dans la situation extérieure n'avait aucune signification; et s'il n'y eût pas eu des raisons spéciales à faire valoir, Biesterfeld aurait dù l'emporter d'emblée.

Mais une question extrêmement délicate fut soulevée. Dans nos familles régnantes, pour être successible, il ne suffit pas de descendre, de mâle en mâle et par des mariages légitimes, du premier acquéreur du trône. Il faut aussi que toutes les aïeules du prétendant soient issues de familles avec lesquelles la maison, selon ses statuts, reconnaît le connubium, c'est-à-dire qui jouissent vis-à-vis d'elle de l'égalité d'état, Ebenbürtigkeit. En règle, on exige, pour que le mariage produise, au profit des enfants, son plein effet, que l'épouse ait appartenu à la haute noblesse, à cette aristocratie des familles qui autrefois avaient siège et voix à la diète de Ratisbonne. Or, dans la ligne de Biesterfeld, faisait-on valoir de la part de Schaumburg, il s'était produit cette énormité, que le grand-père du chef actuel de cette ligne, à savoir du comte Ernst, avait épousé en mariage légitime une demoiselle Modeste von Unruh, fille d'un officier prussien. En admettant même la noblesse de ce brave soldat, celui-ci n'appartenait pourtant pas à la haute noblesse; par conséquent, disait-on, il était incapable de livrer à la maison Lippe une mère et grand'mère dont la descendance fût successible.

A cela, Biesterfeld ne manqua pas de riposter que, examinée de près et mesurée d'après ce principes rigoureux, la ligne de Schaumburg n'était pas non plus à l'abri de tout reproche. En effet, l'arrière grand'mère du prince régnant, une demoiselle de Friesenhausen, était notoirement issue de la petite noblesse ; si elle avait été, après coup, élevée, pour sa personne, au rang de comtesse de l'Empire, cela ne pouvait pas, affirmait-on, remédier au vice originaire.

Weissenfeld, qui approuvait tout ce qui pouvait être opposé aux deux autres lignes, fut, de son coté, accablée de toute une série de mésalliances qui lui furent reprochées. Elle passa bientôt au second rang.

C'est entre les deux autres lignes que la lutte devint sérieuse.

Il ne s'agissait d'abord que de la régence, le malheureux prince Karl Alexander étant encore vivant. Schaumburg avait l'avantage d'être en possession de l'objet en litige en vertu d'une sorte de testament du prince Waldemar, le prince Adolf de Schaumburg-Lippe avait été nommé régent provisoire. Une loi, consentie par la diète de la principauté, l'y confirma, en ajoutant cependant une clause, d'après laquelle, quand le litige serait vidé, la régence devrait appartenir à celui qui aurait obtenu gain de

cause.

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