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On trouva un moyen d'arriver à la solution nécessaire. Le Conseil fédéral intervint il chargea le chancelier de l'Empire d'amener les parties en litige à un compromis; et l'on s'entendit pour soumettre l'affaire à l'arbitrage du roi de Saxe. La convention fut conclue entre les chefs des trois lignes, chacun signant pour lui et pour sa ligne.

On a critiqué les pouvoirs des chefs de disposer ainsi des droits de leurs familles. Mais il est intervenu également une loi émise selon les formes pour la principauté de Lippe, et déclarant que le résultat de cet arbitrage serait décisif quant au droit de succession au trône. Cela suffit.

La sentence, élaborée par une commission de juges du Tribunal de l'Empire, a été rendue le 22 juin 1897. Elle établit que, d'après les statuts et coutumes de la maison Lippe, la petite noblesse de l'épouse suffit pour que les enfants issus du mariage soient successibles; par conséquent, le droit du comte Ernst, chef de la ligne de Biesterfed, a été reconnu.

On s'est soumis; le prince Adolf de Schaumburg a cédé la régence au comte Ernst. Mais l'affaire était loin d'être finie. Il était à prévoir qu'après le décès du prince Karl Alexander la lutte recommencerait sur la succession définitive. On essaya d'y couper court par un projet de loi qu'on soumit à la diète de Lippe à l'effet de faire reconnaître définitivement les droits de la ligne de Biesterfeld et spécialement des fils du princerégent.

Mais, sur la protestation de Schaumburg, le Conseil fédéral déclara se réserver l'appréciation de la valeur qu'un pareil acte législatif pouvait avoir à l'encontre des prétentions du gouvernement de Schaumburg. Il y avait dans cette déclaration, quelque chose donnant à penser qu'il serait plus prudent de s'abstenir de prendre des mesures préventives et unilatérales. On préféra donc s'entendre encore une fois sur un arbitrage. En conséquence, une convention intervint entre le chef de la ligne Schaumburg et le comte Léopold de Biesterfeld qui, après le décès de son père, le comte Ernst, lui avait succédé dans la régence.

Deux Sénats réunis du Tribunal de l'Empire devaient prendre la décision. La question n'était guère moins compliquée qu'en 1897. D'une part, on prétendait que, si le comte Ernst avait obtenu gain de cause, cela ne pouvait profiter à ses fils, attendu que leur mère une comtesse de Wartensleben - n'avait encore pas. par sa naissance, répondu aux exigences rigoureuses de la maison Lippe. Mais, d'un autre côté, on refusait même de reconnaître à la sentence de 1897 la force de la chose jugée; on entendait ainsi rouvrir les débats sur toute la ligne. Le prince Karl Alexander étant dédédé le 13 janvier 1905, le prix de la victoire était désormais la succession immédiate au trône de Lippe.

C'est dans ces circonstances que la sentence susvisée du 25 octobre 1905, a statué définitivement au profit de Biesterfeld; définitivement, car, cette fois, le chef de la partie qui a succombé n'a pas hésité à féliciter lui-même un adversaire victorieux par une dépêche très chevaleresque.

Ce qui donne un caractère particulier à toute cette affaire, c'est le rôle

prépondérant qu'y a joué la littérature juridique. Je ne veux pas dire qu'elle ait beaucoup contribué au résultat final; mais, par sa masse et par la participation de savants de toute espèce, elle attire spécialement l'attention. Les parties belligérantes avaient, l'une et l'autre, besoin de gagner à leur cause l'opinion publique. Il ne suffisait donc pas de consultations destinées à être ensevelies dans les dossiers du procès; il fallait des publications Naturellement, les publications partagèrent le sort de toutes les consultations, - d'être favorables à celui qui les paie. Outre les auteurs engagés directement, il y eut des auteurs qui offraient leurs services. Il y en eut aussi qui se jetèrent dans la mêlée, sans engagement. Le fait que la principauté de Lippe, aussi bien que la principauté de Schaumburg, disposait de décorations honorifiques et belles à voir, ne fut certes pas sans importance. En écrivant une brochure contre la demoiselle Modeste von Unruh, on pouvait rêver des honneurs de Schamburg; en écrivant contre la demoiselle de Friesenhausen, on diminuait peut-être la distance qui séparait des honneurs de Lippe. Ainsi, des deux côtés, on était en mesure de nourrir le feu sans bourse délier.

Mais avant tout, et abstraction faite de tout intérêt personnel, la cause présentait une foule de questions qui invitaient à l'examen juridique. La loi de l'Etat est-elle ou non plus forte que les droits subjectifs des membres de la famille régnante et de ses lignes collatérales ? Les règles obscures, restreignant à la manière du moyen âge la validité du mariage légitime, sont-elles encore compatibles avec l'Etat moderne ? Le Conseil fédéral a-t-il mission de s'occuper d'une affaire où il ne s'agit ni d'un conflit de droit constitutionnel entre souverain et représentation nationale, ni d'un conflit entre deux Etats? Sans compter la question très intéressante de la force de la chose jugée en pareille matière. Nos auteurs, il est vrai, ont écrit toute une bibliothèque sur la question Lippe; mais quand on réfléchit et que l'on considère l'intérêt immense que présentait cette cause au point de vue juridique, on doit être très disposé à leur pardonner.

II

La fondation de l'Empire a laissé subsister les Etats qui le forment, avec leurs Constitutions particulières et leur système de représentation nationale. L'Empire avait hardiment posé son système propre dans un milieu peu homogène. Il avait adopté le suffrage universel direct à scrutin secret pour ne former qu'une seule chambre, le Reichstag allemand. Les Etats, au contraire, présentaient de très grandes variétés; mais, en général, on trouvait plutôt deux chambres, le suffrage indirect, très souvent à scrutin public; enfin, l'électorat ne dépendait pas simplement d'une formule abstraite; il était soumis à des conditions de paiement d'impôt, de résidence plus ou moins longue, ou subordonnée à la formation de différentes classes d'électeurs qui rendaient inégale la valeur des votes individuels. Pour les premières chambres, toutes sortes de privilèges s'étaient conservés, combinés avec des nominations faites par le prince; et parfois, ces

privilèges se retrouvaient même dans la seconde chambre, qui comptait certains membres appelés à titre privilégié. Il était à prévoir que cette juxtaposition de types si différents ne manquerait pas, à la longue, d'amener une certaine influence de l'un sur l'autre. La loi électorale de l'Empire, il est vrai, n'a pas toujours porté des fruits au goût de tout le monde. Mais comme il serait difficile de faire comprendre au Reichstag qu'il ne vaut rien, et que les coups d'Etat ne sont pas dans nos mœurs, le système de l'Empire se présente comme immuable.

Tout ce qui signifie mouvement et développement est du côté des Etats particuliers. Mais ce mouvement prend des directions essentiellement divergentes. Il y a eu, justement dans ces dernières années, beaucoup de lois et de projets de loi. On peut les diviser en deux groupes celui du Nord et celui du Sud.

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Dans le Nord, la loi électorale de l'Empire a surtout fait apparaître l'influence croissante que les doctrines de la Sozial démocratie exercent sur les masses de la population qui, grâce aux progrès économiques, s'industrialisent de plus en plus. On en a tiré cette conséquence, qu'il est de première nécessité de prendre des mesures alors que la chose est encore faisable, pour empêcher les socialistes d'obtenir la majorité. Par suite, on maintient le système du vote inégal, et, au besoin, on l'adapte aux réorganisations du système des contributions, avec une tendance à fortifier plutôt le caractère ploutocratique, comme cela s'est fait en Prusse. Ou bien, quand la loi électorale existante semble présenter des lacunes, on se hâte de les combler par des revisions, que les socialistes ne manquent pas d'appeler des « détériorations du droit électoral, Wahlrechtsverschlechterung.

Dans ce sens, c'est surtout le royaume de Saxe qui a donné l'exemple. La loi du 3 décembre 1868 avait sanctionné l'élection directe et le suffrage universel avec un cens électoral très modique. Une motion du parti socialiste au Landtag, tendant à l'introduction pur et simple du système de l'Empire, a eu pour résultat un remaniement complet dans le sens contraire. La loi électorale du 28 mars 1896 a adopté le système prussien : élection indirecte par trois classes formées d'après la participation à la contribution directe. Cette loi a éliminé du Landtag le parti socialiste. Mais les classes dominantes ne semblent pas très fières de leur victoire. Peutêtre même, s'appliquait-on un peu trop à poser pour la mauvaise conscience. De son côté, le gouvernement a déclaré solennellement qu'il ne sera pas l'adversaire d'un système électoral plus convenable. Et aujourd'hui tous les hommes de bonne volonté sont à la recherche de ce système ! Il sera peut-être difficile d'en trouver un qui contente tout le monde; mais il me semble que Machiavel, quoi qu'on puisse dire sur son compte, était un grand sage. Le monde est aux forts et à ceux qui osent vouloir.

L'Empire, comme on sait, renferme aussi quelques républiques, à savoir les trois villes hanséatiques. Elles se trouvent, en ce qui concerne le mouvement politique actuel, dans une situation particulière. La souverai

neté du peuple, qui est le principe de leur organisation, mettrait, avec le système électoral de l'Empire, toute la puissance publique, sans contrepoids, à la disposition des masses que peut diriger la démagogie. On a déjà pronostiqué l'entrée au Conseil fédéral d'un membre socialiste révolutionnaire, délégué par une ville hanséatique. Déjà le droit électoral n'était pas si simple dans toutes ces villes ; des formations de classes et des différences entre les électeurs avaient été toujours observées. Mais on a jugé nécessaire — du moins dans les Etats de Hamburg et de Lubeck, d'accentuer encore ces complications, afin de donner plus d'influence aux classes aisées. De là, des luttes acharnées sur les changements proposés, présentant, il est vrai, des combinaisons plus ou moins artificielles. Mais, dans ces choses-là, le simple est-il toujours le vrai ? C'est bien le dogme que l'on soutient; mais en Allemagne, en général, on est sceptique et plutôt réfractaire à tout ce qui ressemble à un dogme.

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Dans l'Allemagne du Sud, la situation est toute différente. D'abord, il n'y existe pas de parti conservateur de quelque importance. De son côté, le parti socialiste est ici beaucoup moins farouche que dans le Nord. Le parti clérical qui, naturellement, a une situation très imposante n'est pas démocratique dans son essence, il est vrai; mais il aime en prendre les allures, comptant dominer par les masses que le clergé sait diriger.

Dans ces conditions, le droit électoral démocratique de l'Empire, loin de provoquer une réaction dans le sens contraire, a dù éveiller, dans les législations particulières, une tendance vers un rapprochement.

Le grand duché de Bade a pris l'initiative: par la loi du 24 août 1904, il a adopté le suffrage direct et universel à scrutin secret. Est électeur tout citoyen âgé de 25 ans et ayant la qualité de Badois depuis 2 ans moins.

au

En ce moment même, la Bavière, par une loi qui va être sanctionnée, opère une revision de son système électoral dans le même sens. Ici les choses s'étaient compliquées par la prétention du parti clérical d'obtenir en même temps une fixation législative des circonscriptions électorales, fixation qui lui garantirait à l'avenir la majorité. Grâce à une alliance avec le parti socialiste, il a vu ses efforts couronnés d'un succès complet. Le résultat immédiat sera forcément l'alliance des partis libéral et socialiste, comme dans le grand-duché de Bade.

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Dans le Württemberg, on se préoccupe surtout d'éliminer de la seconde chambre un élément par trop peu moderne. Il y a là, à côté des députés ordinaires, des membres « privilégiés» à savoir 13 représentants des propriétés nobles de la «< chevalerie », comme l'on dit, 9 représentants du clergé protestant, en majorité, et un représentant de l'université de Tubingen. Une première tentative a avorté; chose assez singulière, ce pays essentiellement protestant a, dans sa première chambre, une majorité de hobereaux catholiques qui s'opposent à la réforme. Le gouvernement, d'accord sur ce point avec les libéraux, a déclaré que la lutte conti

nuerait; l'exemple des Etats voisins ne manquera pas d'exercer son influence.

De même, dans la Hesse, la revision du droit électoral dans un sens plus démocratique est actuellement en marche; elle se heurte à des obstacles analogues; mais on ne doute pas qu'elle n'en triomphe.

Il est assez intéressant encore ici de voir comment tous ces Etats, qui ont des institutions juridiquement distinctes et des populations d'un caractère notoirement très différent, vivent cependant d'une âme com

mune.

Отто MAYER,

Professeur de droit public à l'Université de Leipzig.

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