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D'autres le ramenaient dans les plaines de la Champagne à la tête d'une armée à peine égale à l'une des nombreuses divisions de l'ennemi, épiant, évitant, surprenant les Autrichiens, les Russes, les Prussiens, et les frappant de ses armes victorieuses de tous côtés à la fois, tant de promptitude, qu'il semblait

et avec

avoir donné des ailes au fer et à la mort.

D'autres le plaçaient en avant de quelques escadrons, affrontant à Arcis sur Aube les balles et les boulets ennemis, et voulant perdre au champ d'honneur une vie qu'il prévoyait ne pouvoir plus consacrer sur le trône à la gloire et à la prospérité de la France.

Tous enfin, généraux, officiers, soldats, rappelaient à l'envie les marches, les attaques, les sièges, les combats, les batailles qui avaient immortalisé leur général; et quel cœur Français ne tressaillait point à de semblables souvenirs ?*

Les amis de Napoléon et tous les hommes

L'honneur, la patrie, Napoléon s'étaient tellement identifiés dans l'esprit des soldats que les prisonniers d'Angleterre arrachés par Louis XVIII. à de longues années de souffrance et de captivité ne rentraient en France qu'en maudissant leur liberté et en faisant entendre les cris de Vive l'Empereur !

Dans les déserts, même, de la Russie, on ne put jamais arracher aux prisonniers Français, ni par la menace des mauvais traitemens, ni par la promesse de les secourir lorsqu'ils mouraient de faim, un seul mot, un seul murmure contre Napoléon.

qui, fatigués ou mécontens des Bourbons, désiraient son retour, entretinrent et fortifièrent les sentimens réveillés en sa faveur. Son nom, qu'on osait à peine prononcer, se retrouvait dans toutes les bouches, son souvenir dans tous les cœurs; insensiblement, il devint l'objet des regrets, des espérances, des voeux de la nation, et chacun fut averti par un pressentiment secret,que ces vœux ne tarderaient point à être exaucés.

Pendant que cette redoutable fermentation s'accroissait et se manifestait de toutes parts, la cour, les ministres, les émigrés se reposaient avec une complaisante sécurité sur le volcan qu'ils avaient allumé, et ne se doutaient point de sa prochaine explosion.

"S'ils veulent sortir du royaume," écrivait M. de Châteaubriand, en parlant des partisans de l'Empereur, "y rentrer, porter des lettres, en rapporter, envoyer des couriers, faire des propositions, semer des bruits et même de l'argent, s'assembler en secret, en public, menacer, répandre des libelles, en un mot, conspirer; ils le peuvent. Ce gouvernement de huit mois est si solide, que, fit-il aujourd'hui fautes sur fautes, il tiendrait encore en dépit de ses erreurs."

Cet aveuglement ne tarda point, cependant, à diminuer. Sans appercevoir toute l'étendue du mal, on reconnut que la nation et l'armée étaient

agitées, mécontentes, et l'on délibéra sur les moyens, non point de les appaiser, mais de les contraindre à se taire.

Quelques Chouans furibonds, instruits des inquiétudes du gouvernement, publièrent qu'il était tems de se défaire des Bonapartistes. Un chef célèbre dans les fastes de la Vendée poussa l'audace jusqu'à déclarer au Général Ex.... qu'il n'attendait, pour faire main basse sur les prétendus jacobins, que l'arrivée de ses fidèles Vendéens.

Le bruit de ce massacre fut bientôt entendu des victimes qu'on devait frapper. Les unes sortirent de Paris; les autres s'armèrent, et firent des dispositions pour vendre chèrement leurs vies.

Le gouvernement, assure-t-on, eut connaissance des projets homicides des Chouans, et épargna à la France, et au monde, le spectacle d'une nouvelle St. Barthélémy.

Ce projet d'assassinat, auquel je n'ai jamais pu croire, démontra aux hommes de la révolution, qu'ils n'avaient plus aucune trève, aucun quartier à espérer des royalistes, et qu'il fallait qu'un des deux partis écrasât l'autre. Les anciens militaires commencèrent à se réunir, à se concerter. Le gouvernement, voulant dissoudre ces réunions qui l'inquiétaient, interdit à tous officiers, généraux ou particuliers, de séjourner à Paris sans autorisation, et ordonna à ceux d'entre eux

qui n'étaient point nés dans cette ville, de retourner sur le champ dans leurs foyers.

Cette mesure augmenta l'exaspération sans diminuer le danger. Les officiers, en non-activité, au lieu de s'y soumettre, s'enhardirent mutuellement à la désobéissance, et forcés par l'ordre du ministre d'opter entre Paris et leur demi-solde, beaucoup, quoique pauvres, préférèrent l'indépendance à la soumission.

Le gouvernement, irrité de cette résistance, voulut faire un exemple.

En ce moment, on venait d'intercepter une lettre de félicitation, que le Général Excelmans écrivait au Roi de Naples, son ancien souverain.

Le nouveau ministre de la guerre * s'empara de cette occasion. Il mit le Général en demiactivité, et lui prescrivit, par voie de punition, de se rendre immédiatement, et jusqu'à nouvel ordre, à soixante lieues de Paris.

Excelmans prétendit que le ministre n'avait point le droit d'éloigner de leur domicile, les officiers non employés activement, et refusa d'obéir.

Il fut arrêté sous le prétexte d'entretenir des correspondances criminelles avec les ennemis du Roi, et comme coupable, en outre, de désobéis

* Le Général Dupont venait d'être remplacé par le Maréchal Soult.

sance à ses ordres. Ce coup d'éclat et d'autorité, dont le gouvernement attendait les plus heureux effets, tourna contre lui. La France connaissait Excelmans. Elle le considérait comme l'un de ses plus valeureux, de ses plus dignes enfans; et les accusations de trahison que la haine et le dépit des ministres accumulaient sur sa tête, loin de lui ravir l'estime et l'affection publique, ne le rendirent que plus intéressant et plus cher à ses compagnons d'armes

et à la nation.

Excelmans, jugé, fut absous.*

Le conseil de guerre, en sanctionnant la désobéissance de ce général, déclara implicitement que le gouvernement n'avait point le droit d'exercer sur les officiers en non-activité l'autorité qu'il s'était arrogée.

Dès ce moment le gouvernement fut perdu: le jugement qui affranchissait de sa dépendance les militaires à la demi-solde, et leur laissait la faculté de braver impunément son autorité, était un coup de massue qui l'avoit terrassé sans lui laisser l'espoir de se relever jamais.

* Il prit pour défenseur l'un des habiles et courageux rédacteurs du Censeur, M. Comte; et pour conseil le Général Fressinet. Cet officier, dont la fermeté de caractère égale les talens et la bravoure, fut puni plus tard par l'exil, de l'assistance généreuse qu'il prêta dans cette importante circonstance au Général Excelmans, son frère d'armes et son ami.

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