Page images
PDF
EPUB

Les conférences que j'eus à Bâle avec l'agent mystérieux du Prince de Metternich, étaient restées ensèvelies jusqu'à ce jour dans un profond secret. Les historiens qui m'ont précédé ont raconté, sans autre explication, que le Duc d'Otrante avait mis sous les yeux de l'Empereur, au moment de l'abdication, une lettre de M. de Metternich, et que cette lettre, artificieusement conçue, avait déterminé Napoléon à abdiquer, dans l'espoir que la couronne passerait à son fils. Les détails donnés dans ces Mémoires changeront entièrement les idées qu'on s'était formées de cette lettre et de son influence. Ils confirmeront aussi l'opinion assez généralement répandue que les Souverains Alliés attachaient peu d'importance au rétablissement des Bourbons, et qu'ils auraient volontiers consenti à placer sur le trône le jeune prince Napoléon.

On avait pensé que le fameux décret qui traduisait devant les tribunaux le Prince de Talleyrand et ses illustres complices, avait été rendu à Lyon dans un premier accès de vengeance. On verra qu'il fut le résultat d'une

simple combinaison politique; et la noble résistance que le Général Bertrand (aujourd'hui condamné à mort) crut devoir opposer à cette mesure ajoutera, s'il est possible, à la haute estime que mérite, à tant de titres, ce fidèle ami du malheur.

Les écrits publiés avant cet ouvrage ne contenaient, non plus, sur l'abdication de Napoléon, que des rapports inexacts ou fabuleux. Certains historiens s'étaient plu à représenter Napoléon dans un état d'accablement pitoyable; d'autres l'avaient dépeint comme le jouet des menaces de M. Regnault St. Jean d'Angely, et des artifices du Duc d'Otrante. Ces Mémoires apprendront que Napoléon, loin d'être tombé dans un état de faiblesse qui ne lui permettait plus de soutenir son sceptre, aspirait au contraire à se faire investir d'une dictature temporaire, et que s'il consentit à abdiquer, ce fut parce que l'attitude énergique des représentans le déconcerta, et qu'il céda à la crainte d'ajouter aux malheurs de l'invasion étrangère, les calamités de la guerre civile.

On ignorait complettement encore que Napoléon après son abdication eut été retenu prisonnier à la Malmaison. On présumait qu'il avait différé son départ dans l'espoir d'être replacé à la tête de l'armée et du gouvernement. Ces Mémoires feront connaître que cet espoir, s'il régna intérieurement dans le cœur de Napoléon, ne fut pas le motif réel de son séjour en France, et qu'il y fut retenu par la commission du gouvernement jusqu'au moment où, l'honneur l'emportant sur toute considération politique, elle força Napoléon de s'éloigner pour le préserver de tomber entre les mains de Blucher.

Les négociations et les entretiens des plénipotentiaires Français avec les généraux ennemis; les procédés du Prince d'Eckmuhl; les intrigues du Duc d'Otrante; les efforts des membres de la commission restés fidèles à leur mandat; les débats sur la capitulation de Paris, et tous les faits accessoires qui se rattachent à ces diverses circonstances, avaient été totalement dénaturés. Ces Mémoires rétablissent la vérité, ou la dévoile. Ils mettent au jour la

conduite tenue par les membres de la cominission qu'on supposait dupes ou complices de M. Fouché, par les maréchaux, par l'armée, par les Chambres. Ils renferment en outre la correspondance des plénipotentiaires et leurs instructions; documens inédits, qui feront connaître quels étaient alors la politique et les vœux du gouvernement de la France.

J'observerai enfin, pour compléter le compte que je crois devoir rendre au lecteur de la substance de cet ouvrage, qu'il offre sur la campagne de 1815, des éclaircissemens dont le besoin s'était fait sentir impérieusement. On ne savait point les causes qui déterminèrent Napoléon à se séparer à Laon de son armée; je les indique. Le Général Gourgaud, dans sa relation, n'avait pu donner l'explication de la marche du corps du Comte d'Erlon à la bataille de Ligny, de la conduite du Maréchal Ney le 16, de l'inaction de Napoléon le 17, &c. J'éclaircis, je crois, tous ces points. Je montre aussi que ce ne fut point, comme l'avancent encore et le Général Gourgaud et d'autres écrivains, pour relever le courage

et le moral de l'armée Française que son chef lui fit annoncer l'arrivée du Maréchal Grouchy. Napoléon, et ce fait est certain, fut abusé lui-mêm par une vive fusillade engagée entre les Prussiens et les Saxons, et c'est à tort qu'on lui impute d'avoir trompé sciemment ses soldats dans un moment où les lois de la guerre et de l'humanité lui prescrivaient de songer plutôt à la retraite qu'à prolonger la bataille.

J'avais d'abord refusé l'entrée de ces Mémoires aux pièces officielles déjà connues. J'ai cru devoir les y admettre: cet ouvrage, qui embrasse tous les événemens du règne des Cent Jours, serait incomplet s'il fallait que le lecteur recourût aux écrits du tems pour relire ou consulter l'Acte du Congrès de Vienne qui plaça l'Empereur Napoléon hors de la loi des nations; l'Acte Additionnel qui lui fit perdre sa popularité, et les discours éloquens et les déclarations vigoureuses par lesquels Napoléon, ses ministres, et ses conseillers cherchèrent à expliquer, à justifier le 20 Mars. J'ai pensé, d'ailleurs, qu'il ne serait peut-être point sans intérêt

« PreviousContinue »