Page images
PDF
EPUB

autrement on vivrait comme depuis dix ans, au jour le jour. Le Gouvernement devait dès à présent s'expliquer sur l'emploi qu'il se proposait de faire des 60,000 hommes qui se trouvaient en Afrique. Le général ne craignait pas de l'interpeller à ce sujet; les paroles qu'on faisait entendre à la tribune n'influant en rien sur le système des Arabes. C'est trop de 60,000 hommes, s'il ne s'agit que de punir une offense, et cen'est pas assez s'il s'agit d'abattre Abd-el-Kader. Dans la pensée de M. Bugeaud, les expressions qui fesaient l'objet de sa critique dissimulaient l'intention de revenir à l'occupation restreinte, c'est-à-dire, à une chimère. L'invasion des Arabes dans la Mitidja l'avait parfaitement prouvé. Les moyens de l'ennemi sont dans l'espace. Le restreindre, ce n'est pas le frapper au cœur. On ne créera pas davantage la sécurité agricole; d'ailleurs le résultat serait des plus faibles. La Mitidja cultivée ne nourrirait pas ses gardiens pendant un mois. Que faire alors? opter entre l'un de ces trois partis : l'abandon, l'occupation maritime et la conquête absolue. L'abandon? la France officielle (nous reproduisons les expressions, d'ailleurs devenues célèbres du général; elles peignent toute une opinion et l'esprit des temps), la France officielle c'est-à-dire les écrivains et l'aristocratie de l'écritoire n'en veulent pas. L'occupation maritime? elle serait efficace si l'on pouvait avoir ce qui ne se rencontre pas, un Gibraltar sur la côte. Reste la domination absolue, la soumission du pays, et l'on y sera poussé par la force des choses; car à supposer que l'on eût encore Médéah, Milianah, on aurait justement multiplié les difficultés par un plus long rayon d'occupation. La possession est une faute, mais une faute qu'il faut faire grandement.

L'honorable général venait de critiquer le passé, il lui restait à faire connaître à la Chambre un système qui lui fût propre : Il n'y a, disait-il, de saisissable en Afrique que l'intérêt agricole. On sème, on fait des récoltes, il y a des pâturages. En conséquence, M. Bugeaud proposait un plan ana

logue à celui employé jadis en Vendée par l'illustre Hoche: des colonnes de 10,000 hommes environ, dont une partie seulément se mettrait én mouvement, se porteraient sur différents points pour empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer. Que si l'on objectait l'effectif nombreux que cela exigerait, il serait facile d'établir qu'au moment présent, les 60,000 hommes qui seraient nécessaires pour composer six colonnes, le sont encoré pour l'occupation des trois provinces (Constantine exceptée); car, en ce qui touchait cette dernière province, M. Bugeaud conseillait de rester dans la situation où l'on se trouvait; mais ce serait faire peu si l'on ne s'occupait en même temps de la question coloniale. Établir une colonie fortement et militairement constituée; voilà ce que M. Bugeaud proposait il y a deux ans, il le propose encore actuellement.

L'amendement du général fut combattu par le ministre de la guerre, parce qu'il ne s'agissait dans l'Adresse que de la perpétuité de la possession française en Afrique, et que ce point venaît d'être décidé par l'unanimité des trois pouvoirs. Il serait d'ailleurs dangereux, à l'ouverture d'une campagne, de dire jusqu'où l'on irait, et une discussion semblable trouverait mieux sa place à l'occasion des crédits supplémentaires. En terminant, le ministre annonçait que, depuis le 15 décembre dernier, 15,000 hommes de vieilles troupes avaient été embarquées et que 1,500 cavaliers allaient l'être à leur tour.

M. Lacave-Laplagne ayant cru devoir, à ce moment, reprocher à M. Bugeaud d'avoir dit que la conduite tenue jusqu'alors en Afrique avait été infructueuse, l'honorable général, loin de revenir sur ce jugement, le précisa davatitage on avait eu, dans le principe, une autorité sur les Árabes, alors disséminés; aujourd'hui ils se trouvaient concentrés et marchaient comme un seul homme. Quant à la colonisation, elle n'existait point. On en avait eu une ombre dans la Mitidja et cette ombre s'était dissipée. Ré

:

pondant en particulier à l'annonce faite par le maréchal Soult du départ d'une nombreuse artillerie et de troupes du génie, pour l'Algérie, M. Bugeaud émit l'opinion qu'il fallait peu de ces deux armes en Afrique, peu de travaux de fortification; qu'il n'y avait pas, en effet, pour l'artillerie surtout, de chemins pratiqués; qu'il les faudrait créer.

M. Larabit ne craignait pas de critiquer le traité de la Tafna et de reprocher au général Bugeaud de n'avoir pas, tout en se soumettant aux instructions du gouvernement, usé de sa position, au moins, pour faire des représentations; mais l'honorable orateur s'élevait plus encore contre lé système qui tendrait à affamer les Arabes; ce ne serait ni humain ni conforme aux vrais principes de la guerre. On s'exposerait à de terribles représailles. C'est ainsi qu'avant une proclamation du général Bugeaud, en 1837, conçue dans le sens de son système actuel, les Arabes n'incendiaient ne démolissaient ni ne détruisaient; ce qu'ils ont fait au contraire depuis.

« Je veux, disait M. Larabit, qu'on fasse la guerre aux Arabes, je veux que nous détruisions la puissance d'Abd-el-Kader; mais je veux qu'on l'attaque avec les armes de la civilisation. »

[ocr errors]

En un mot, loin d'affamer les Arabes, il faudrait, au contraire, leur créer de l'abondance; ce serait leur donner des besoins nouveaux, et conséquemment, les attirer à la France.

Quelle que fût la valeur de ces opinions diverses, quelque fût le sens que chacune d'elles attachât à ces mots : après la victoire, l'amendement qui tendait à les supprimer fut repoussé par la Chambre. C'était, au surplus, proclamer que l'on acceptait la guerre, et qu'elle ne cesserait qu'avec le succès. Le paragraphe en entier fut ensuite également adopté.

Le dixième paragraphe abordait un sujet passé sous silence par le Gouvernement. On l'y invitait à prendre l'initiative sur le remboursement de la rente :

« Votre Majesté, portait la rédaction de la commission, nous annonce que l'état de nos finances permettra de suffire aux charges extraordinaires qui résultent de la situation présente de l'Afrique. Nous espérons qu'il nous permettra également de nous occuper dans cette session du projet de remboursement d'une partie de la dette publique, et que votre Gouvernement pourra prendre l'initiative d'une proposition que déjà les suffrages de la Chambre ont plus d'une fois accueillie. »

M. de la Plesse proposa, ce qui ne fut point agréé par la Chambre, d'ajouter au paragraphe, que « ce remboursement serait un premier pas dans la voie de réduction des charges et des dépenses publiques. » Cet honorable député prononça, à cette occasion, un discours empreint d'idées libérales, où celle-là dominait: que la réduction des impôts devait être une conséquence, au moins rationnelle, de la révolution de 1830.

La question des sucres faisait l'objet du onzième paragraphe. La Commission s'exprimait sur ce sujet sans trop s'engager et d'une manière assez vague.

« 11. La question des sucres, que la dernière session avait laissée indécise, a reçu une solution provisoire. Le projet de loi qui sera présenté sur cette matière deviendra l'objet d'un scrupuleux examen. Les intérêts nombreux qu'il doit ménager à la fois, le recommandent à nos plus sérieuses méditations. »

Ces expressions, solution provisoire, donnèrent lieu à M. Defitte de faire observer (ce qui semblait surabondant), qu'elles ne pouvaient engager la Chambre, ni emporter l'approbation de ce qui s'était passé dans l'intervalle des deux sessions. L'honorable membre amena ensuite la discussion sur un autre terrain: il aurait voulu que l'administration se fût expliquée sur un intérêt également en souffrance: sur la question des lins et des chanvres.

Le ministre du commerce ne trouvait pas, comme le préopinant, que cette question fût urgente. Il résultait de la comparaison des trois dernières années, que le chiffre des

exportations de lin, pour 1839, dépassait de beaucoup celui des deux années précédentes. On trouvait en effet, pour 1837, 700 ou 800,000 kilogrammes; pour 1838, 1,900,000 kilogrammes, et l'on avait déjà trois millions pour les sept premiers mois de 1839. Ne résultait-il point de ces documents que l'agriculture n'était pas, à cette époque de l'année, dans l'état de souffrance où elle se trouvait au moment (janvier, février) où elle s'adressa à la Chambre? L'importation des fils étrangers s'est également accrue, mais seulement parce que le tissage avait plus d'activité qu'à aucune autre époque. Augmenter alors les droits sur les fils, c'eût été porter atteinte à l'activité du travail. Il n'était également pas possible d'élever, à la demande des tisserands, les droits sur les toiles : d'abord, parce que les toiles ne pouvaient pas souffrir de l'introduction des fils; que l'importation des fils étant plus considérable, celle des toiles diminuait. Le ministre puisait ensuite dans un exemple, dans ce qui se passait en 1836, une autre raison les droits sur les toiles avaient été alors diminués; 100 kilogrammes valant à ce moment 800 fr., payaient un droit de 36 fr. au lieu de 60; la même qualité et le même poids ne valent aujourd'hui que 500 ou 600 fr., d'où la conclusion que, la valeur étant diminuée, le droit protecteur s'est élevé considérablement. Devant de tels résultats, que devait faire le gouvernement? S'abstenir, et c'est ce qu'il a a fait, ou, du moins, réserver la question.

M. Glais-Bizoin concluait de ces deux faits énoncés par le ministre l'exportation croissante des lins, c'est-à-dire de la matière première, et l'importation également croissante des fils, que cette branche d'industrie était en décadence. Les raisons qui auraient empêché M. Cunin-Gridaine de rendre l'ordonnance qu'il avait promise sur cette matière, n'étaient pas les véritables; il existait un obstacle, et c'était un obstacle extra-parlemementaire.

Le ministre du commerce contesta l'exactitude du fait auquel semblait faire allusion M. Glais-Bizoin: On n'avait

« PreviousContinue »