Page images
PDF
EPUB

et au pays qu'il ne reste rien d'une demande que le pays a mal reçue, et qu'on ne rendrait pas plus nationale en la réduisant à des proportions qu'on ne peut admettre. Il faut qu'il n'en reste rien; car l'honneur du prince ne saurait demeurer engagé dans une question pécuniaire au prix de sa popularité compromise. Rien vaut mieux qu'une somme débattue et marchandée, et qui ne serait pas donnée par l'enthousiasme spontané d'une volonté généreuse. La discussion s'est placée à un tel point que tout doit se dire à cette tribune; et si des raisons de haute convenance, selon l'expression du ministère, nous prescrivent une juste. modération de langage, nous n'en devons pas moins et notre pensée au pays et la vérité à tout le monde. Il faut d'abord reconnaître que la cause de ce grave débat est dans la violation de cette loi antique et souveraine qui unissait au bien de la Couronne tout le domaine privé possédé par le prince avant son avènement. Ce droit, d'abord consacré par l'usage, était dans l'essence de la monarchie, et la fameuse ordonnance de Moulins en avait fait une loi. Une des grandes fautes de 1830 fut de méconnaître les principes, de séparer théoriquement au moins, dans le cœur du chef de l'État, son intérêt particulier de l'intérêt public, son domaine privé de la liste civile, et de créer dans son palais deux administrations en quelque sorte rivales. Cette imprudente division a dénaturé profondément les droits et les priviléges de la monarchie; elle a fait un contrat nouveau dont il faut aujourd'hui subir les conséquences. L'une des plus notables conséquences de ce contrat fut que le domaine privé doterait les princes et pourvoirait à tous leurs frais d'établissement. Une loi de dotation, ajoutait l'orateur, devrait être volée d'enthousiasme, sans opposition, comme quand on décerne une couronne méritée, et quand l'expression de cet enthousiasme manque, on ne propose pas la loi, on la retire à temps. »

MM. Emmanuel Poulle, Isambert, Dusollier, Maurat-Ballange, également inscrits pour parler, renoncèrent à leur droit; et après un long exposé de M. Laffitte, relatif aux revenus de la forêt de Breteuil, que la commission avait évalués à 188,870 fr., et que lui affirmait s'être élevés sous sa possession à 360,000 fr., la clotûre de la discussion générale fut prononcée.

En même temps vingt membres réclamèrent le scrutin secret sur la question de savoir s'il y avait lieu à discuter les articles. La Chambre passa donc au scrutin.

214.

Boules blanches.
Boules noires.

200.

226.

Nombre des votants. 426.
Majorité absolue.

En conséquence la loi était rejetée : une majorité de 26 voix s'était prononcée contre le ministère. Depuis 1830, aucun Cabinet n'avait éprouvé pareil échec,

Ann. hist. pour 1840.

11

CHAPITRE IV.

Changement de ministère.-Ce qui l'amène.-M. Thiers, président du conseil.-Politique du nouveau cabinet. -Fonds secrets. -Proposition Rémilly.

Le dernier vote de la Chambre consommait, on ne saurait s'y méprendre, l'œuvre de la coalition; en rejetant le projet de dotation, le parlement indiquait clairement au ministére, qu'il n'avait point fait une proposition nationale; ou, s'il ne voulait point aussi rigoureusement interpréter ce vote, qu'il n'avait pas compris la composition actuelle de la Chambre. Sa retraite était donc nécessaire; et le Cabinet qui lui allait succéder, ne pouvait que personnifier le principe moteur de la coalition; le principe, et non précisément tel ou tel côté de la Chambre assez puissant par le nombre pour constituer une majorité : le moment n'était pas venu, et l'accomplissement de cette condition vitale du Gouvernement représentatif dépendait de la politique que le ministère nouveau allait suivre, Avec M. Thiers, une portion considérable de la Chambre, le centre gauche, était appelée au pouvoir; la gauche s'en rapprochait; une fraction du parti conservateur semblait devoir devenir l'opposition; tandis que l'autre, qui avait eu ses représentants dans la coalition, avait droit également à être représentée dans le Cabinet. Dans ces circonstances, l'idée d'une transaction dut venir tout d'abord au chef du centre gauche : elle devint sa devise, son programme, et c'est à ce titre, qu'il demande à la Chambre et obtient d'elle les fonds secrets. Que cette transaction pût devenir ensuite une transition, une transition à des opinions plus avancées, comme le prétendirent aussitôt les adversaires du 1er mars, c'était là une question du domaine exclusif de l'avenir et dont les actes seuls du pou

voir devaient donner la solution; cela seul était constant que le Cabinet qu'allait diriger M. Thiers, transigeait avec les divers éléments de la coalition: il suffit de jeter les yeux sur la liste des collègues du nouveau président du conseil, d'y lire les noms de MM. Rémusat, Jaubert, Cousin et Pelet; de voir surtout M. Guizot représenter la France en Angleterre, pour être convaincu de cette vérité.

Au dehors, la politique de M. Thiers paraît destinée à précipiter les événements: elle continue dans la question d'Orient le principe d'action du 12 mai, ou mieux, de la note du 27 juillet, et cependant elle ne tarde point à le dépasser dans l'application. Des faits nombreux et définitifs viennent à l'appui de ces aperçus préliminaires nous en rendrons compte successivement.

Le premier acte de la nouvelle administration devant la législature, fut la présentation d'un projet de loi portant demande d'un crédit extraordinaire d'un million (deux cent mille francs de moins que l'année dernière), pour complément de dépenses secrètes sur l'exercice de 1840.

M. de Rémusat, ministre de l'intérieur, appuya cette demande sur la nécessité de veiller au maintien de la tranquillité publique, de prévenir les intrigues et de paralyser les factions; enfin sur l'obligation où se trouvait le ministère de prendre encore quelques mesures de précaution relatives aux événements qui s'accomplissaient en Espagne. Comme le ministère du 12 mai, il déclarait qu'il n'y aurait plus de presse subventionnée. Le rapport de la commission sur ce projet, se résume en deux mots : le ministère du 1 mars ou une dissolution.

Dans la discussion générale, qui s'ouvrit le 24 mars, M. Thiers usa de son droit en prenant le premier la parole. Par cette tactique habile, le chef du Cabinet désignait lui-même le terrain où ses adversaires auraient à combattre, et traçait en quelque sorte les limites du champ de bataille. Donner des explications sur la formation du Cabinet et sur la marche qu'il entendait suivre, tel fut le point de départ

de ce discours. Et d'abord, éloigné pendant plusieurs années des affaires, à quelles considérations avait cédé le président du Conseil en rentrant au pouvoir? Lorsque S. M. m'a fait l'honneur de m'appeler, répondait-il, je n'avais aucune objection fondée à lui opposer; je n'aurais pu donner aucune raison valable; car aucun des dissentiments qui m'avaient séparé du Gouvernement n'existait plus. La question de Belgique, la question d'Ancône, la question d'Espagne avaient été emportées par le temps. M. Thiers avait donc dû répondre au vœu de la Couronne dans ces difficiles circonstances.

Trois combinaisons s'étaient présentées: la première, c'était de modifier le Cabinet du 12 mai; la seconde, de se rapprocher de ses anciens collègues du 11 octobre, c'està-dire de M. le duc de Broglie; la troisième, de s'unir au Cabinet du 15 avril, c'est-à-dire à M. le comte Molé. D'une part, le maréchal Soult et les ministres du 12 mai, contre lesquels M. Thiers n'avait, disait-il, aucune objection; de l'autre, M. le duc de Broglie, pour lequel il eût incliné plus volontiers encore, n'avaient point agréé ses propositions. Restait donc à opérer une alliance avec M. le comte Molé; mais le président du Conseil pouvait-il le faire sans fouler aux pieds ses principes, sans déclarer que pendant plusieurs années de combats soutenus à la tribune et dans la presse, il croyait s'être trompé? D'ailleurs, que serait-il arrivé dans cette combinaison? Je n'aurais pas donné à M. le comte Molé, par ma personne, la majorité; j'aurais fait renaître dans cette Chambre l'opposition que vous avez vue il y a deux ans, que vous avez nommée la coalition; je l'aurais fait renaître composée des mêmes nuances, des mêmes chefs, un seul homme excepté, moi, qui n'aurais apporté à M. le comte Molé qu'un personnage devenu bien contestable, peut-être déconsidéré; car il aurait fallu passer d'un camp dans un autre. Ces obstacles avaient déterminé la formation d'un Cabinet pris dans ces nuances

intermédiaires, qui s'étaient réunies pour le renversement du

15 avril.

Le ministre expliqua ensuite de son point de vue cette situation des partis, et délimita ainsi les trois fractions de la Chambre: il y a la fraction la plus considérable, celle qui a soutenu le 15 avril ; il y a ces nuances intermédiaires qu'on a définies sous le nom de centre gauche et qui se sont grossies de ce que l'on a appelé la coalition, par l'adjonction de l'ancienne majorité; il y a enfin l'ancienne opposition. Le Cabinet sort particulièrement de ces nuances intermédiaires. Que si chacune de ces fractions de la Chambre est tellement compacte, tellement résolue, qu'elle soit décidée à ne soutenir que le Cabinet qui sera sorti de son sein, avec la Chambre actuelle tout gouvernement est bien difficile, s'il n'est même tout-à-fait impossible. Qu'est-ce qui est nécessaire, indispensable? c'est qu'on transige. Tout le monde reconnaît qu'il faut une transaction; mais la transaction est-elle honorable, est-elle possible? Oui, évidemment; car depuis trois ans, on a plus souvent discuté sur des mots que sur des choses. Il y a eu un jour, continua l'orateur, il y a eu un jour où il y avait une difficulté sérieuse : il y avait deux systèmes, honorables tous deux; l'un plus particulièrement préoccupé de l'ordre, l'autre des intérêts de la liberté. Ces deux systèmes étaient en présence; il y a eu un jour où ils ont transigé, et dès ce jour il n'ont plus eu aucun motif sérieux de se combattre l'un l'autre : c'est le jour où l'amnistie a été faite; si la transaction était possible alors, elle l'était bien plus encore en ce moment; car il n'y avait personne qui demandât des lois repressives, personne qui demandât l'amnistie; sur un seul point des lois existantes, le Cabinet actuel apportait quelques scrupules; seule, la définition de l'attentat devait être modifiée. Du reste, la transaction était tellement dans les esprits, qu'elle s'était déjà complètement opérée dans la manière d'envisager les questions d'intérêt matériel.

« PreviousContinue »