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corrélatif aux art. 1 et 2, qui semblait dire au Gouvernement voilà une loi; si vous la trouvez bonne, exécutezla; réformez-la si vous la trouvez mauvaise? Était-ce par voie de conciliation et de condescendance pour le Gouvernement? ou bien était-ce nécessité dans l'incer titude de la vérité des chiffres? L'article 5 devait être supprimé.

La commission n'a aucune espèce de doute sur les chiffres, reprit M. Dupin; peut-être cependant pouvait-on à la rigueur éliminer l'art. 5. En effet, si l'avenir faisait découvrir de nouveaux inconvénients, au lieu d'y remédier par voie de réglement d'administration publique, on ferait une loi supplémentaire, comme il avait eu lieu en Angleterre à huit époques différentes; c'est précisément pour éviter un pareil embarras que l'on voulait laisser au pouvoir exécutif la faculté d'étendre la loi à de nouveaux genres de manufactures; que si le ministère, en présence d'abus à venir, négligeait d'user de cette puissance, la législature signalerait le mal et proposerait une loi supplémentaire.

L'opinion du ministre du commerce ne différait pas de celle de l'honorable préopinant: il adoptait Part. 1o, mais l'art. 5 était suivant lui un correctif nécessaire.

Un membre dont la voix était ici d'un grand poids, M. Gay-Lussac, présenta à la Chambre des considéra tions que jusqu'alors aucun orateur n'avait encore fait valoir. Suivant lui, la base de la loi était mauvaise; la véri table cause du mal auquel on voulait remédier n'était pas l'excès du travail, mais l'insalubrité des ateliers. Abréger le travail, ce n'était pas guérir le mal: est-ce qu'en Angleterre, depuis l'introduction des réglements, la santé des ouvriers s'est améliorée? Ensuite pourquoi dans la loi avait-on pris pour type les filatures auxquelles on joignait les toiles peintes? Pourquoi les fabriques de toiles peintes qui ne sont point insalubres? Pourquoi d'ailleurs frapper les établissements à moteur mécanique à feu continu? Il n'y a aucune

connexion entre ces deux moteurs et les inconvénients des fabriques. Le mal est au suprême degré dans les fabriques de poudre fulminante et dans les manufactures de plomb, dans lesquelles on pourrait dire que la vie moyenne des ouvriers n'est peut-être pas de plus de deux ans. En résumé, la loi telle que la proposait la commission, serait incomplète, et le projet primitif devait être préféré.

M. le baron Mounjer répliqua que l'un des articles de la commission portait expressément que le Gouvernement serait armé du droit de prescrire les dispositions nécessaires pour assurer la salubrité des ateliers; que si d'autre part la loi n'était pas complète, était-ce une raison pour ne pas adopter ce qui, sur un autre objet, était bon en soi? Sauf quelques observations de détail que l'orateur se proposait de soumettre plus tard à la Chambre, il votait donc l'article de la commission.

Si l'art. 1er désigne les manufactures à moteur continu, ajouta M. le marquis de Laplace, qui combattit également les opinions de M. Gay-Lussac, c'est que le travail y est continuel et que de là vient l'abus que l'on fait des forces des enfants; il y avait d'ailleurs une raison péremptoire contre le projet du Gouvernement. L'administration, en demandant une délégation des Chambres afin d'agir par ordonnance, avait alarmé les manufacturiers. En effet, le motif qui les avait poussés à prendre l'initiative et à dénoncer le mal, c'était la concurrence qui leur était faite par des hommes qui, dans leur cupidité, ne craignaient pas de faire l'abus le plus déplorable des forces de l'enfance dans des travaux excessifs; ce qu'ils voulaient, c'était une règle commune qui les protégeât en même temps que l'enfance, et récompensat leurs sentiments généreux; la loi seule aurait assez d'autorité pour trancher la difficulté; partant l'art. 1er était bon; mais pour la même cause, l'art. 5 devait être retranché ; mieux valait, s'il était nécessaire, étendre l'art. 1er.

M. Gay-Lussac insista: La question était pour lui une

question de salubrité, non une question de travail; et il demandait la suppression de la dénomination des établissements particuliers et la dénomination plus générale des établissements dans lesquels on emploie la vapeur, l'eau ou le feu.

Quoi qu'il en fût, l'article de la commission, modifié par un amendement de M. le baron Mounier, fut adopté à une forte majorité. Ainsi à l'avenir, dans les manufactures destinées à la filature ou à la fabrication et à l'impression des tissus, dans les manufactures et les usines à moteur mécanique ou à feu continu, les enfants ne pourront être employés que sous les conditions déterminées par la présente loi.

M. Humblot-Conté parla le premier sur l'article 2, dont il approuva le premier paragraphe, qui consacrait le minimum d'âge, bien que l'honorable pair pensât que si les chefs d'établissement recevaient les enfants avant huit ans, c'était par humanité, pour céder à la vive sollicitation des parents dans l'indigence, plutôt que par cupidité pour les exploiter. Le second paragraphe n'obtenait pas la même approbation : en réduisant le travail des enfants à huit heures, on mettait les manufacturiers dans la nécessité d'en prendre un plus grand nombre pour remplir la journée, qui serait de douze heures pour les adultes, ce qui occasionnerait une diminution des salaires il était donc sage d'étendre le travail à douze heures pour les enfants comme pour les adultes. L'orateur s'opposait également à ce que la loi portât l'observation des jours fériés.

Il est dans l'intérêt des enfants, des familles et de l'État, répliqua M. de Cordoue, d'accoutumer les enfants à la célébration du dimanche; leur santé exige un jour de repos, et leur moralité y gagnera également. Néanmoins comme les usines à feu continu ne peuvent vaquer le dimanche, M. le marquis de Cordoue proposait à ce sujet un amendement qui eût été ajouté au paragraphe de la commission :

Les propriétaires d'usines à feu continu dans lesquelles le travail ne peut être interrompu, auraient été libres d'employer des enfants les jours fériés, sous l'expresse condition de prendre les mesures nécessaires pour qu'ils remplissent ce jour-là leurs devoirs religieux.

M. le duc de Praslin ajouta quelques considérations relatives aux repos qui devaient diviser le travail et au temps de sommeil qui, à ses yeux, n'était pas assez prolongé.

Ici MM. Odier et Dubouchage renouvelèrent la proposition déjà faite de porter l'admission des enfants à neuf ans au lieu de huit, et d'étendre uniformément la durée du travail à douze heures.

Cet incident rappela à la tribune M. Dupin, qui défendit le chiffre de la commission par ce raisonnement, qu'il valait mieux n'exiger que huit heures de travail d'un enfant âgé de huit ans, que d'exiger douze heures d'un enfant de neuf ans. M. le comte Dejean n'en demanda pas moins la substitution de neuf ans à huit.

Mais M. Dubouchage abandonna l'amendement, à condition qu'il serait écrit dans la loi que par ordonnance royale on pourrait élever l'âge jusqu'à neuf ans. La commission y consentit.

La proposition de M. Odier fut rejetée. Le paragraphe 1er de la commission fut adopté, ainsi que le 2o, malgré les efforts de M. Humblot-Conté pour l'extension du chiffre de huit heures à douze. M. le président Boyer et M. le marquis de Cordoue avaient, en cette circonstance, parlé en faveur de la commission.

Relativement au paragraphe 3, une courte discussion s'éleva entre M. de Praslin, qui demandait que le repos fût fixé, et le rapporteur qui répondit que c'était là un détail administratif réglementaire, dont la loi faisait une obligation pour les préfets.

La Chambre vota dans le sens de M. le baron Dupin.

Le paragraphe 4, portant que ces travaux seraient com

pris entre cinq heures du matin et huit heures du soir, fut également sanctionné. M. le baron Mounier avait proposé de ne rendre cette prescription applicable que pour les enfants de moins de douze ans, et conséquemment d'admettre le travail habituel de nuit dans les usines à feu continu; ce fut l'objet d'un amendement que la commission rédigea, et qui fut ultérieurement adopté.

Venait le paragraphe 5, qui consacrait l'observation des jours fériés, et à cet égard une intéressante digression jeta quelque animation dans ces débats.

La loi de 1814 n'est point abrogée, disait M. Cousin: la commission a donc commis un pléonasme? bien plus, il y a là un danger; il semblerait en effet que les infractions à la loi de 1814 sont choses autorisées pour toutes les classes de personnes auxquelles le projet ne s'adresse pas, non seulement pour les hommes, les adultes, mais encore pour tous les enfants qui ne seront pas employés dans les manufactures auxquelles la loi s'appliquera. C'est pourquoi le ministre de l'instruction publique était d'avis que l'on supprimât le paragraphe 5, et que l'on ajoutât à l'article 6, qui parle des peines attachées à l'infraction, l'amendement suivant : « La même amende de 16 à 100 fr., doublée en cas de récidive, sera appliquée en ce qui regarde le travail des enfants à toutes les contraventions à la disposition de la loi de 1814 sur l'observation des jours fériés.

Sans doute, reprit M. Dupin; mais la loi de 1814 est sans cesse violée; on l'a laissée dormir, nous voulons la réveiller par un vote net et férme: ce que nous allons faire pour les enfants-se pratiquera pour tous; les grandes personnes ne viendront pas quand les enfants ne pourront venit. D'ailleurs la loi de 1814 ne s'était attachée qu'à empêcher l'ëtálage au dehors, la vente publique, le colportage et toute espèce de travaux extérieurs, les travaux intérieurs n'étaient prohibés par aucune disposition; il est vrai qu'il est défendu aux chefs d'usines et de manufactures de travailler

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