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rent de puissants contradicteurs: MM. d'Argout, Persil, Vivien démontrèrent que maintenir la suppléance avec ses attributions actuelles, c'était laisser subsister une loi menteuse (expression de M. Persil), contraire en effet à la réalité les suppléants n'étant point ce qu'annonce ce titre; ils sont bien véritablement, comme les juges, chargés de soins considérables, redoutables même, puisqu'on leur confie l'instruction des affaires criminelles; et de pius, on commet une injustice: on accorde un traitement inférieur à qui remplit les devoirs de magistrats plus largement rétribués. Et ceci parut surtout surgir des longs débats que ces opinions opposées soulevèrent, que le projet de la commission tendait en réalité à ressusciter les juges-auditeurs, bien qu'on dissimulât leur rétablissement sous le titre moins condamné de juges-suppléants, et qu'on attachât à ceux qui auraient atteint l'âge de vingt-cinq ans, l'inamovibilité des autres juges.

Le ministre de la justice fit observer, qu'à supposer même qu'un noviciat fût quelque jour regardé comme indispensable, rien n'empêchait cependant, quant à présent, de voter la loi, de faire disparaître une anomalie judiciaire et d'accorder au service, la création de juges que la bonne administration de la justice rendait urgente. Mais M. Villemain pensait que cette augmentation pouvait très bien être faite sans que pour cela on procédât d'autre part, par voie de suppression. Ce fut à ce tempérament que s'arrêta la Chambre : elle rejeta la suppression et vota la création demandée, d'emplois nouveaux. C'est donc dans ces termes que la question devait de nouveau être posée devant les députés. Nous croyons utile, avant de clore ce compte-rendu, de faire connaître le chiffre des voix contraires à l'art. 1er du projet du Gouvernement: 74 le repoussèrent, 55 l'adoptèrent, tandis que la loi elle-même, réduite à l'art. 3, fut adoptée par 77 boules blanches contre 43 noires; on rencontrait rarement au Luxembourg une telle minorité.

Ann. hist. pour 1840.

16.

CHAPITRE VI.

Question de la conversion de la rente. - Adoption du projet de loi à la Chambre des Députés; rejet à la Chambre des Pairs. Prorogation

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du privilége de la Banque. Lois sur les tabacs, les sels, les sucres - Chemins de fer. — Paquebots à vapeur. — Crédits supplémentaires. - Crédit pour la translation des restes de l'Empereur. - Budget. — Aperçu sur les résultats de la session, et sur la politique du Cabinet du 1er mars à l'intérieur.

Les lois de finances et de travaux publics allaient à leur tour passer sous les yeux des deux Chambres. En première ligne se présentait le projet relatif au remboursement ou à la conversion du 5 pour cent; car c'étaient à la fois l'un et l'autre. Nous avons, les années précédentes, rendu compte des vicissitudes que cette question dut parcourir (v. les Annuaires 1836-38). Accueillie en 1838 par la Chambre des députés, comme elle l'avait été déjà en 1836, la mesure avait rencontré à l'autre Chambre l'opposition et les répugnances que cette assemblée avait témoignées sans succès, il est vrai, pour une proposition analogue portée devant elle à une autre époque (1825). Reproduite en 1840, par l'initiative du ministère du 12 mai, la question fut discutée et de nouveau résolue à la Chambre élective, sous celui du 1 mars, qui comptait dans son sein, comme le Cabinet précédent, des partisans zélés du remboursement. Il semblait dès-lors qu'elle dût enfin triompher d'une si longue opposition: la Chambre des députés lui rendra ses votes de 1836 et de 1838, mais la pairie refusera une seconde fois, de la sanctionner par son suffrage.

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Chambre des Députés. — 20 Avril. La discussion porta moins sur le projet du Gouvernement que sur celui de la commission, par lequel le premier se trouvait modifié en dés points essentiels, et par exemple, on supprimait l'art. 1er du projet primitif, qui ne désignait pas spécialement la rente cinq pour cent. Néanmoins, comme le Gouvernement,

la commission donnait au rentier l'option entre le remboursement et la conversion en rentes nouvelles de 4 172 ou 3 1/2 pour cent.

Quant au remboursement, il aurait lieu par séries pour ceux qui n'auraient pas opté pour la conversion, et le ministre était autorisé, pour réaliser les fonds de remboursement, à recourir : 1° à la réserve possédée par la caisse d'amortissement; 2o à une négociation de bons du trésor; 3° enfin à l'inscription au grand-livre de la dette publique, de rentes 4 112 ou 3 112 dont la négociation ne serait faite qu'avec publicité et concurrence, et à des prix inférieurs aux limites fixées par la conversion. Telle était, à part quelques dispositions de détail qui viendront dans la discussion, l'économie du projet soumis en ce moment à l'appréciation de la Chambre des députés. Un dernier article fixait le délai dans lequel la loi devait être mise à exécution, par cela même qu'on faisait au ministre des finances un devoir de rendre compte des opérations qui l'auraient effectuée. On posa de nouveau dans le débat les questions qui avaient été agitées toutes les fois que ce sujet avait occupé la législature : La mesure était-elle juste, utile, exécutable, opportune? C'est dans ces termes que la discussion générale s'engagea. Équitable? elle l'était incontestablement aux yeux du Gouvernement, de la commission et de plusieurs orateurs, tels que MM. Pelet de la Lozère, Béchard, Rivet. Et sans remonter à Sully et Colbert, qui avaient pu trancher la question avec l'arbitraire d'une époque où d'autres rapports rattachaient l'État à ses créanciers, aussi bien qu'à ses sujets; sans remonter si haut, les partisans du droit de conversion étaient fondés à s'appuyer non pas seulement sur la loi diversement interprétée du 24 août 1793, mais encore sur la consécration explicite du principe, par la loi de 1825, qui créait des rentes avec garantie contre tout remboursement pendant un temps donné; sur la loi de 1833 qui, tout en spécifiant que la réserve de l'amortissement ne

pourrait être appliquée qu'au rachat ou au remboursement de la dette, avait décidé que ce remboursement n'aurait lieu qu'en vertu d'une loi spéciale. Les adversaires du projet, MM. Liadières, de Laborde, Dupin, Fould, contestaient plus ou moins absolument, plus ou moins explicitement cette solution: M. Fould, en particulier, qui abandonnait son opinion d'une autre époque, s'attacha à démontrer le peu de parité qu'il y avait entre un créancier ordinaire et le rentier. Celui-ci, par exemple, n'est pas saisissable, il ne paie pas de droit de mutation, de transport, de succession; puis le titre même, le titre originaire de la rente, vient à l'appui de cette thèse n'était-ce pas la dette perpétuelle cinq pour cent consolidée? On a fait, il est vrai, successivement disparaître des qualifications gênantes: mais ça a été pour le besoin de la cause.

La question d'utilité ne fut pas moins vivement débattue : elle trouva les mêmes adversaires et les mêmes apologistes; d'une part, c'était une économie de 12 ou 15 millions de rente, l'emploi des capitaux improductifs que l'amortissement avait en réserve dans les caves de la banque de France, c'est-à-dire 255 millions (chiffre du 31 décembre 1840); puis la dispense pour le trésor de continuer l'intérêt à 3 p. 040 servi à la caisse d'amortissement pour les bons royaux délivrés à cette caisse; le rétablissement de cette même caisse dans son action trop long-temps suspendue; l'équilibre ramené entre les fonds susceptibles d'accroissement du capital et ceux qui, créés au pair, ne se recommandent que par un intérêt plus élevé; le juste droit de l'État, et partant des contribuables, de ne payer point au-delà du cours actuel de l'intérêt qui est au plus de 4 p. 010; enfin la nécessité de couvrir les 6 millions de déficit pour 1839, et l'imminence d'un autre déficit de 18 millions pour 1840.

D'autre part, on ne voyait rien moins que tous ces brillants résultats: d'abord le mode d'exécution en différait de plusieurs années la réalisation; ensuite, et c'est le plus persistant ad

versaire de la loi, M. Fould, qui l'avançait, la situation financière était loin d'être aussi favorable qu'on voulait bien la représenter : il y avait insuffisance de 57 millions pour 1839, sur les travaux extraordinaires, insuffisance de 115 millions pour 1840, c'est-à-dire 172 millions à couvrir par les ressources de l'amortissement, et 1841 commencerait avec une insuffisance de 80 millions; cette triple insuffisance, M. Fould la trouvait dans les lois de crédits supplémentaires récemment présentées; enfin il y avait 200 millions environ de travaux extraordinaires dotés en 1840 et qui devaient encore l'être en 1841; l'amortissement se trouvait ainsi engagé pour les trois années; comment dès-lors effectuer l'économie de 15 millions qui forme la base, la cause de l'opération? Pourra-t-elle se faire sans que l'amortissement ait toute son action, et si elle la reprend, comment exécutera-t-on tant de travaux utiles? Il faudra alors recourir à l'emprunt et à l'impôt; et au surplus, en déduisant les exceptions, il ne restera guère que 10 millions; en effet sur les 147 millions de la dette, 40 millions environ appartiennent aux établissements publics. Quant à l'abaissement du taux de l'intérêt, ce fut une de ces phrases expressives qui sont particulières à M. Dupin qui en atténua toute la valeur. «S'il y a, disait-il, dans l'ordre physique, des corps qu'on appelle incompressibles, il y a dans l'ordre moral des corps qui ne sont pas moins incompressibles : c'est la cupidité, c'est l'intérêt même en le prenant dans le sens d'une bonne acception. »

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Les opinions n'étaient pas moins partagées sur la question de savoir si le mode de remboursement ou de conversion était facilement exécutable. L'argumentation des adversaires du projet pouvait ainsi se résumer créer du 3 172 avec accroissement du capital, c'était leurrer le contribuable; il paierait moins d'intérêts, mais il paierait 500 millions de capital de plus; et quant aux rentiers, on en faisait par l'option entre le 3 172 et le 4 112, autant d'agioteurs;

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