Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE VII.

[ocr errors]

[ocr errors]

Vicissitudes de la question d'Orient. - Traité du 15 juillet. Notes et Memorandum. -Armement de la France. Changement de Cabinet, Avènement du ministère Soult-Guizot. Attitude des partis à l'intérieur. - Réunions politiques. -Pamphlets-publications. - Attentat de Boulogne.-Darmès. Convocation et réunion des Chambres. Inondations dans le Midi.

La note du 27 juillet 1839, par laquelle la France appelait les autres puissances à régler collectivement avec elle la question d'Orient, cette note, eut un effet singulier, sinon inattendu : elle groupa, pour les unir, les intérêts de quatre des puissances contractantes, et tendit insensiblement à amoindrir dans sa question l'influence de la puissance médiatrice; si bien que la Russie, d'abord opposée au but auquel tendait cette note, put ensuite, grâce à elle, faire des ouvertures à l'Angleterre. Les deux Gouvernements envisageaient également d'un œil peu favorable la force toujours croissante du pacha d'Égypte : pour la Russie, c'était l'islamisme qui s'arrêtait sur la pente de sa décadence'; pour l'Angleterre, c'était un voisin dangereux qui s'avançait sur la route de l'Inde. Au contraire, la France n'y pouvait apercevoir qu'un solide gardien de l'équilibre européen; un état neutre qui nous assurait une utile influence, d'autant plus sûre qu'elle pouvait paraître plus désintéressée. On voit tout d'abord que les tentatives d'arrangement essayées par le ministère du 12 mai devaient échouer; il ne pouvait pas mieux convenir à telle puissance que la France demeurât ainsi influente. Quand vint le 1er mars, le ministre des relations extérieures de France accepta, il le déclara depuis (voir ci-après la discussion de

l'Adresse), l'héritage de la politique extérieure du Cabinet précédent; mais il l'accepta sous bénéfice d'inventaire, s'il nous est permis de nous exprimer de la sorte: il consentit à essayer de régler avec l'Europe les intérêts respectifs du sultan et du pacha; mais en obtenant, s'il était possible pour ce dernier, toutes les concessions en accord avec la position de victorieux qu'accusait celui-ci, et la puissance qu'il devait avoir, comme intermédiaire entre les Gouvernements d'Europe. Or, qui ne voit aussitôt, que là se trouvait la pierre d'achoppement on ne s'accorda ni sur la concession héréditaire du pachalick d'Acre, moins la place; ni sur cette concession avec la place en viager, offerte plus ou moins sérieusement; ni, à plus forte raison, sur la proposition faite par la France, de l'Égypte héréditaire et de la Syrie viagère, et enfin, moins encore, sur l'hérédité de l'une et de l'autre à la fois. Un instant cependant la France put croire, d'après les communications officieuses des plénipotentiaires de l'Autriche et de la Prusse, que la base d'accomodement la plus réalisable, serait la Syrie viagère ajoutée à l'Égypte héréditaire; le Gouvernement français devait-il saisir, au vol pour ainsi dire, cette voie d'arrangement, avant qu'elle eût acquis un caractère diplomatiquement officiel? Ne pouyait-il pas essayer d'obtenir davantage? ou bien, cette communication, qui précéda de très peu de jours le traité du 15 juillet, ne devait-elle être considérée que comme un moyen imaginé par les puissances, d'ôter à la France tout prétexte de se plaindre qu'elle n'eût pas été mise en demeure de s'expliquer, sur un arrangement aeceptable? Telle est la double question que laissent encore à résoudre les négociations qui précédèrent ce traité qui mit en émoi l'Europe, et les débats qui eurent ensuite lieu dans le parlement anglais et dans nos Chambres (voir ci-après la discuss. de l'Adresse). Quoi qu'il en soit, sans autre avertissement donné à la France, ce traité se trouva un jour conclu et signé, ce fut le 15 juillet (voir le texte à l'4p

:

pendice, page 145) les hautes parties contractantes, l'Aur triche, la Prusse, la Russie et l'Angleterre s'y proposaient de répondre à l'appel du sultan, pour prendre avee luj les mesures nécessaires au maintien de l'intégrité et de l'indépendance de l'empire ottoman; à cet effet elles procéderaient, si le pacha n'acceptait pas les propositions qui lui seraient faites, par l'interruption concertée entre elle, de la communication, par mer, entre l'Égypte et la Syrie; en d'autres termes, elles établiraient un blocus maritime. Ultérieurement les puissances signataires plaçaient sous leur sauvegarde les détroits du Bosphore et des Dardanelles, mais pour le cas particulier seulement; sans entendre dé roger en rien à l'ancienne règle de l'empire ottoman, en vertu de laquelle il a été de tout temps défendu aux bâtiments de guerre des puissances étrangères d'entrer dans ces deux détroits (art. 4). On se donnait ainsi la satisfaction d'annihiler le traité d'Unkiar-Skelessi, d'ailleurs à la veille d'expirer,

Or, voici l'ultimatum proposé à l'acceptation dẹ Méhé¬ met-Ali: Il aurait héréditairement l'administration du pachalick d'Égypte et viagèrement le pachalick d'Acre, le commandement de la forteresse et la partie méridionale de la Syrie il se retirerait immédiatement de l'Arabie, des villes saintes et de l'ile de Candie, du district d'Adana. Un premier délai de dix jours laissait entière cette offre; un autre délai de la même durée ne laissait plus, en cas de non acceptation, que l'Egypte ; et les derniers dix jours expirés, l'Égypte même échappait au pacha. Dans tous les cas, il était tenu de restituer la flotte turque. Telle était, au moins dans son esprit, la teneur de ce traité, qui dénouait si brusquement cette longue question d'Orient: deux incidents d'une haute portée politique parurent avoir hâté cette péripétie l'un, la destitution inattendue du vizir Khosrew-Pacha, si vivement désirée de Méhémet-Ali; l'autre, l'insurrec tion des populations syriennes contre la domination du sou¬

verain de l'Égypte. Le premier sembla devoir rendre facile un arrangement direct entre les deux contractants, et dut par cela même exciter la jalouse défiance des cabinets. Le chef du département des affaires étrangères d'Angleterre, lord Palmerston, crut fermement ou allégua, que la France poussait à cet arrangement (Voir la discussion de l'Adresse à la Chambre des députés): la présence à Alexandrie d'agents spéciaux de M. Thiers semblait justifier cette allégation; l'autre incident, l'insurrection de Syrie, que l'on a tout lieu de croire avoir été déterminée par les suggestions de l'Angleterre, dut être considérée comme une occasion dont il fallait savoir profiter. Le ministre anglais essaya de justifier l'oubli flagrant des procédés diplomatiques, qui précéda, au regard de la France, la perpétration de l'accord du 15 juillet. Dans les protocoles et notes adressés à ses agents ou communiqués par la voie diplomatique au gouvernement français (15 juillet, 16 et 17 septembre).V. ces pièces à l'Ap pendice) et sur les explications provoquées dans le parlement, il s'efforça constamment de représenter comme purement temporaire la séparation des deux cabinets et de faire considérer le traité comme la consécration des vues mises d'abord en avant par le gouvernement français lui-même. Cette convention était donc, aux yeux de ses auteurs, un fait si exorbitant, qu'ils croyaient devoir se prévaloir de l'assentiment virtuel de celle des parties qu'ils avaient en quelque sorte mise hors de cause. Et ce fut sans doute cette espèce de pudeur 'politique qui fit que dans le discours de clôture du parlement anglais, la reine ne prononça même pas le nom de la France. Quoi qu'il en soit, les assertions du chef du Foreign-Office furent aussitôt contredites par M. Thiers, dans une note devenue célèbre (5 octobre. Voy. l'Appendice), et dans des articles quasi-officiels que l'on eut tout lieu de croire émanés de ce ministre (Revue des Deux-Mondes, 1er et 15 août). Les faits sont connus: et la discussion d'Adresse les mettra davantage encore dans leur jour.

Le langage du ministre des affaires étrangères de France ne manquait pas d'une certaine dignité; on y remarque ce passage:

On dit que cette alliance n'est pas rompue, qu'elle renaîtra après le but atteint par le traité du 15 juillet. Quand on aura poursuivi à quatre, sans nous et malgré nous, un but en soi mauvais, que du moins nous avons cru et déclaré tel, quand on l'aura poursuivi par une alliance trop semblable à ces coalitions qui ont depuis cinquante ans ensanglanté l'Europe, croire qu'on retrouvera la France sans défiance, sans ressentiment d'une telle offense, c'est se faire de sa fierté nationale une idée qu'elle n'a jamais donnée au monde.

Les faits avaient au surplus répondu à ce ressentiment, et dès les premiers jours, des mesures significatives, des mesures d'armements avaient été arrêtées (ordonnance du 29 juillet, relativement à l'appel des soldats de la classe de 1836 à 1839). La marine allait être renforcée et un crédit de cent millions était affecté provisoirement par ordonnance à la fortification de Paris. La cause était nationale, et le ministère ne craignait point d'engager sa responsabilité jusquelà; cependant il n'était pas sorti d'une attitude de politique armée, lorsque la déchéance de Méhémet-Ali prononcée par la Porte, (voy. Turquie-Égypte) lui fit enfin poser un cas de guerre: la note fameuse du 8 octobre (Voy. l'Appendice, p. 53) ne s'arrêta plus à la question de délimitation de territoire : elle faisait cette fois du maintien de Méhémet-Ali dans la souveraineté de l'Égypte, c'est-à-dire, de l'équilibre européen, la condition de la conservation de la paix. Il semble qu'ici la position du ministère ait perdu de sa dignité, il entrait évidemment dans la voie des concessions alors qu'il se bornait à ne demander pour le pacha que l'Égypte seulement. Au surplus, le sort de Méhémet-Ali se consommait: Beyrouth tombait (voir Turquie-Egypte) bombardée, St.-Jean-d'Acre allait également être réduit. Cependant les Chambres françaises devaient enfin intervenir. N'eût-t-il pas été convenable d'appeler plus tôt leur concours? Le ministère avait-il voulu enAnn. hist. pour 1840. 20

« PreviousContinue »