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gager leur patriotisme par des faits accomplis? On pouvait se faire toutes ces questions. Quoi qu'il en soit, la flotte française, retenue jusqu'ici aux iles d'Hières, allait enfin se porter vers le théâtre de la guerre, lorsque la démission du ministère du 1er mars, la formation (29 octobre) d'un Cabinet nouveau, où l'ambassadeur de France, à Londres, M. Guizot, allait à son tour diriger les relations extérieures, lorsqu'enfin les Chambres réunies (5 novembre), vinrent donner aux événements un autre aspect à la politique extérieure et intérieure, peut-être, une autre direction.

Mais avant de suivre la marche nouvelle des événements, nous devons nous arrêter, revenir sur nos pas et retracer brièvement les agitations et les mouvements intérieurs, dont les complications du dehors furent la cause ou seulement l'occasion. La nouvelle de la conclusion du traité de juillet causa d'abord une émotion profonde, et ces belles paroles d'un illustre et regrettable orateur: «< il y a de l'écho en France quand on prononce les mots d'honneur et de patrie, » ces paroles semblaient trouver à ce moment leur naturelle application. Naturellement aussi le public sentiment dut se faire jour sous des formes et avec des caractères différents selon les hommes et les choses: alors se produisirent dans des camps opposés les phrases brillantes de M. de Lamartine, adressées à un des organes de la presse parisienne, et la pensée patriotique de M. Quinet, nourrie aux sources de l'antiquité, et plus loin le pamphlet énergique de M. Lamennais, devenu fatal à son auteur (voy. la Chronique); enfin les démonstrations réformistes, le banquet de Châtillon, où néanmoins le discours remarquable de l'un des assistants (M. Buchez), fut apprécié par tous les partis, car il s'adressait au sentiment le plus intime, le plus inattaquable, celui de la nationalité. Des désordres, des collisions, des excès déplorables, viennent en outre assombrir le tableau, et une question plus sociale que politique surgit à la faveur de cette émotion, provoquée par

l'attitude des puissances. Des attroupements d'ouvriers appartenant aux différents corps de métiers, et particulièrement à celui des tailleurs de pierre et menuisiers, suivirent l'exemple donné précédemment par les ouvriers tailleurs d'habits, et alors que ceux-ci se refusaient à l'obligation du livret que leur voulaient imposer leurs maîtres, les ouvriers tailleurs de pierre, les ouvriers menuisiers voulaient des conditions de travail meilleures. Au fond c'était la question de concurrence éclose à la suite de la liberté du travail, qui s'agitait encore sans solution apparente. Ces troubles se prolongèrent ainsi jusqu'à la réunion des Chambres, époque à laquelle le déploiement toujours plus considérable de la force armée et les mesures prises par le commandant-général des gardes nationales, parvinrent enfin à rétablir le calme.

Des attentats isolés et purement politiques ne laissèrent pas de se produire à la faveur de cet état de choses; et pendant que l'on allait à Sainte-Hélène recueillir, pour les rendre au pays dont il avait porté si haut la gloire, les restes, on pourrait dire les reliques, d'un grand homme, un prince de sa famille, Louis Napoléon, oubliant sans doute que le génie ne se transmet pas avec le sang, essaya de rechef de s'imposer à la France. Sa tentative sur Boulogne (6 août), accompagnée de moyens peu sérieux, échoua de nouveau : malheureusement le sang coula encore, et, repoussé par la population même de Boulogne, le prince fut arrêté et traduit devant la cour des pairs immédiatement convoquée à cet effet; elle le condamna à la détention perpétuelle, et ses complices durent subir des peines graduées sur la part qu'ils avaient prise à l'attentat. (Voir à la Chronique pour les détails de la translation des restes de l'Empereur, et pour ceux relatifs à l'attentat et au procès du prince Louis.)

Le crime de Darmès qui, le 15 octobre, tira un coup de carabine sur la voiture où se trouvaient le roi et la reine, ce crime clôt la longue et fàcheuse série des événements

politiques si mêlés qui signalèrent ce période intermédiaire des deux sessions. La cour des pairs dut encore connaître de ce second attentat. (Voir les détails à la Chronique).

Ajoutons, pour ne rien omettre, que des sinistres, amenés par des pertubations inattendues, survenues dans le monde physique, vinrent attrister tous les cœurs : les départements du Midi, tout le littoral de la Saône et du Rhône, en particulier, furent ravagés par le débordement de ces fleuves: on avait à peine souvenir de telles catastrophes (voir la Chronique); et les Chambres, dont la gravité des événements politiques avait fait hâter la convocation au 5 novembre, devaient voter extraordinairement des mesures destinées à venir en aide à tant d'infortunes.

CHAPITRE VIII.

Ouverture du Parlement.

Discours du Roi.

Constitution des deux

Chambres. - Discussion de l'Adresse. — Question du travail des enfants dans les manufactures à la Chambre des Députés. — Situation.

5 Novembre. Jamais peut-être ouverture de session n'avait été attendue avec autant d'anxiété par le pays. Au milieu des fluctuations de la politique, des agitations de l'intérieur, le lendemain d'un renversement de ministère, en présence des événements qui se succédaient si rapidement sur les côtes de Syrie, la conduite que tiendrait la nouvelle administration, le rôle qu'elle ferait jouer à la France dans cette grande question, étaient prévus, sans doute, mais mal dessinés, et les paroles royales allaient mettre fin à ces incertitudes, en proclamant un programme. Les alentours du Palais-Bourbon furent de bonne heure envahis par la foule et par la force armée, dont la présence avait été jugée nécessaire pour protéger l'ordre contre toute démonstration tumultueuse.

Lorsque le Roi entra dans la salle des séances, l'auditoire se retrancha dans un silence inquiet, interrompu seulement par des vivat, partis des bancs où siégeaient les membres du centre. Sa Majesté, d'une voix émue, lut son discours, dont nous citons le commencement, parce qu'il aborde précisément la question qui tenait alors attentifs tous les esprits :

!

» J'ai éprouvé le besoin de vous réunir autour de moi avant l'époque ordinaire de la convocation des Chambres. Les mesures que l'empereur d'Autriche, la reine de la Grande-Bretagne, le roi de Prusse et l'empereur de Russie ont prises de concert, pour régler les rapports du sultan et du pacha d'Égypte, m'ont imposé de graves devoirs. J'ai la dignité de notre patrie à cœur autant que sa sûreté et son repos. En persévérant dans cette politique modérée et conciliatrice, dont nous recueillons depuis dix ans les fruits, j'ai mis la France en état de faire face aux chances que le cours des événements en Orient pourrait amener. Les crédits extraordinaires qui ont été ouverts dans ce dessein vous seront incessamment soumis; vous en apprécierez les motifs. Je continue d'espérer que la paix générale ne sera point troublée. Elle est nécessaire à l'intérêt commun de l'Europe, au bonheur de tous les peuples, et au progrès de la civilisation. Je compte sur vous pour m'aider à la maintenir, comme j'y compterais si l'honneur de la France et le rang qu'elle occupe parmi les nations nous commandaient de nouveaux efforts. »

Ce premier paragraphe était à lui seul tout le discours, pour les passions diverses qui allaient l'exploiter; aussi l'auditoire, tout à l'heure en proie à une émotion si vive, ne prêta plus la même attention aux vœux qu'exprimait la couronne en faveur du trône d'Isabelle II et aux courtes explications qui concernaient la continuation des hostilités contre la république Argentine, la guerre d'Afrique, l'échauffourée de Boulogne et les différentes lois sur lesquelles les Chambres auraient bientôt à prononcer.

Sa Majesté continuait par ces paroles, où la presse de l'opposition crut voir le programme d'un système d'intimidation à l'intérieur :

« L'impuissance n'a point découragé les passions anarchiques, sous quelques formes qu'elles se présentent, mon Gouvernement trouvera dans les lois existantes et dans le ferme maintien des libertés publiques, les armes nécessaires pour les réprimer.

» Pour moi, ajoula le roi en terminant, dans les épreuves que m'impose la Providence, je ne veux que lui rendre grâce de la protection dont elle ne cesse de me couvrir, ma famille et moi, et prouver à la France, par un soin toujours plus assidu de ses intérêts et de son bonheur, la reconnaissance que m'inspirent les témoignages d'affection dont elle m'entoure dans ces cruels moments. »

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