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autre, dissidence entre les pouvoirs, le dernier mot en fait et en droit appartient au pays, représenté par les colléges électoraux. Mais si ce résultat a été atteint, on avait droit de s'attendre à en voir réaliser d'autres, Un changement d'administration a eu lieu, mais on espérait encore que des débris dispersés des anciens partis surgirait un vaste parti plus préoccupé de l'avenir que du passé, un parti intermédiaire qui pût imprimer aux affaires une grande et ferme direction. C'est là ce qui ne s'est point réalisé. Sans doute, en temps de révolution, les questions se déplacent, se succédent. Dans ces circonstances est-il pour des hommes sages, intelligents, politiques, un autre parti à prendre que celui de travailler en commun à ce qu'en commun l'on regarde comme le bien du pays? La coalition de l'an dernier, pour porter tous ses fruits, avait à continuer dans le pouvoir ce qu'elle avait commencé dans l'opposition. Cela n'a pas eu lieu, parce qu'on s'est divisé après la victoire. Ainsi fut perdue la plus belle occasion qui se rencontra jamais de constituer le gouvernement parlementaire dans toute sa grandeur et dans toute sa vérité. Tout cependant n'a pas suivi cette voie : il ne serait plus possible aujourd'hui de replacer les partis l'un vis-à-vis de l'autre dans la situation où ils étaient il y a deux ans, et de recommencer les vieilles luttes. Les partis sont en proie à un travail intérieur qui les décompose et les dissout. On se rapproche, on manifeste partout le désir d'en finir avec le passé et de fonder des agrégations nouvelles, non sur des pouvoirs, mais sur la communauté actuelle des opinions et des vues. L'orateur ne fera donc pas un crime aux ministres actuels d'appartenir à diverses fractions de la Chambre; c'est le côté par lequel le ministère répond à l'état des esprits et aux nécessités de la situation. Il y a les éléments d'associations nouvelles mais quel sera leur symbole? M. Duvergier l'ignore, il le confesse; mais il pense qu'il est certains points généraux, certaines vérités fondamentales sur lesquels on se pourrait entendre.

Des trois grands principes qui ont gouverné le monde, deux seulement sont debout, le principe démocratique et le principe monarchique; il s'agit aujourd'hui de les faire coexister sans que l'un absorbe l'autre. De hautes et fécondes destinées sont promises à la démocratie; elle est jalouse d'égalité plus encore que de liberté, et cependant, en France, c'est la liberté qui reste sérieusement en question. Dans son intérêt et celui du principe démocratique lui-même, l'orateur voudrait le fortifier plutôt que l'étendre, et l'organiser plutôt que le disperser. Il adopte le principe de la réforme électorale, mais il en repousse l'application comme contradictoire au principe. Avec la gauche, M. Duvergier condamne la théorie de la souveraineté du nombre; comme elle, il proclame que l'électorat n'est pas un droit; mais une fonction, un devoir; comme elle, il ne reconnaît pour base de toute loi électorale raisonnable que l'indépendance et la capacité; comme elle, enfin, il croit que l'élection directe est la seule sérieuse, la seule sincère, la seule qui exprime avec certitude l'opinion du pays. Les partisans de la réforme admettent ce principe, mais en même temps ils le violent; ils appellent à l'élection tous les conseillers municipaux des chefs-lieux de canton et tous les officiers de la garde nationale, une masse considérable d'électeurs dont la majorité ne paie pas 40 fr. d'impôts et ne sait ni lire ni écrire ; c'est-à-dire qu'au nom de l'élection directe, on admet dans les colléges des citoyens nombreux qui tiennent leur droit d'une première élection. Toutefois on pourrait, en temps opportun, réparer la méprise de 1831, et ajouter à la liste électorale certaines professions qui déjà y figurent à un autre titre; on pourrait encore élargir dans une juste mesure le cercle des incompatibilités électives. Le principe démocratique aurait cependant à gagner sous un autre point. Le gouvernement sorti de 1830, a fait beaucoup pour les classes pauvres; mais a-t-on fait assez ?-Non,-Pourquoi ? parce que le Gouvernement,

la Chambre, l'opposition, ne savent pas encore ce qui manque au peuple. Voilà cependant le terrain sur lequel peuvent se réunir les vrais amis du principe démocratique.

Ces questions intérieures examinées, l'honorable publiciste émit quelques vues sur la question extérieure. Était-il vrai qu'il n'y eût d'alternative que la politique altière et belliqueuse dont quelques membres de l'opposition se faisaient les champions, il y a huit ans, et la politique humble et timide à laquelle, par un vote décisif, la Chambre a refusé de s'associer? Assurément cette alternative n'existait pas. « Il est bon que cette tribune avertisse souvent l'Europe et ceux qui nous représentent auprès d'elle, qu'à côté des ministres, il y a en France des Chambres jalouses de la dignité du pays et décidées à surveiller partout les déterminations et les actes du Gouvernement. Il est bon que les ministres eux-mêmes sachent qu'ils ne sont point isolés et qu'ils trouveront un appui prompt et énergique toutes les fois que dans leur indépendance et leur liberté, ils se refuseront à de fâcheuses concessions. » L'orateur acceptera l'Adresse, parce que le moment n'est pas venu de réveiller une question ministérielle; parce qu'il faut laisser aux partis le temps de se dessiner; à leurs chefs, le temps de sortir de l'isolement où les laissent les divisions encore subsistantes; il ne faut donc point se décourager. Dans les gouvernements libres, il n'y a point de lutte entièrement facile, et le succès est le prix de la patience et de la fermeté.

M. Odilon Barrot votera dans le même sens.-Il voit dans l'Adresse une déclaration qui serait au besoin le symbole de son' opinion politique : la dynastie nationale, sanction et garantie tout à la fois des conquêtes de nos deux grandes révolutions de 1789 et de 1830, le Gouvernement parlementaire, seul moyen de constituer d'une manière forte et durable, cette même monarchie constitutionnelle.-Ce double principe, dont l'honorable député promet de poursuivre dans sa Ann. hist. pour 1840.

3.

carrière politique la réalisation, n'a sans doute pas été proclamé dans l'Adresse, il le pense, comme une vaine phraséologie. On a évidemment voulu consacrer les grands principes pour lesquels on avait lutte contre le ministère du 15 avril, et cependant M. Barrot s'effraie des déclarations opposées qui sont venues se poser à la tribune; il s'effraie de la confusion dans laquelle on se trouve placé. « Que les drapeaux se relèvent, dit-il, que les principes se posent nettement. On nous conjure d'oublier le passé! et depuis quand, dans un gouvernement représentatif, les hommes politiques sontils arrivés à abjurer leur passé ?» L'orateur ne désavoue au contraire rien de ce passé.

« Nous ne demandons pas, nous, cet oubli; les convictions que j'ai exprimées à cette tribune le lendemain de notre révolution de juillet, je les ai toujours gardées; je les conserve encore aujourd'hui dans leur même force et leur même sincérité. Les vicissitudes politiques que nous avons traversées, les auxiliaires qui sont alternativement venus à nous, les malheurs intérieurs que nous avons eu à déplorer; toutes ces vicissitudes n'ont pas ébranlé mes convictions, au contraire elles les ont fortifiées.

⚫ Ce n'est donc pas moi qui viendrai désavouer devant vous une des plus grandes manifestations politiques et légales de notre pays. Ce n'est pas moi qui ferai l'injure à nos institutions de leur reprocher la position dans laquelle nous sommes, qui en ferai remonter la responsabilité au pays; ce n'est pas moi qui dirai que les institutions ont été impuissantes, que le pays n'a point d'opinion politique, que le pays n'a point de sympathie pour telle ou telle opinion dans le parlement. Ce n'est pas moi qui dirai que le pays serait vainement interrogé, qu'il ne saurait que répondre à l'appel qui pourrait lui être fait par la Couronne. Ce n'est pas moi qui pousserai ce cri de désespoir. Ce n'est pas moi qui jetterai ainsi le découragement dans toutes les convictions. >

Le ministère a motivé son avènement sur l'absence de majorité dans la Chambre et dans le pays. Il faut renvoyer à qui la mérite la responsabilité de cette situation. — Il a été dit encore que l'émeute seule avait créé les partis politiques dans la Chambre.-C'est au contraire l'émeute qui a jeté le trouble et la confusion dans tous les partis.-Et cette confusion on la veut perpétuer, au risque de voir les insti

tutions s'allanguir, les hommes s'isolant de leurs principes s'amoindrir.-On rêve peut-être une majorité mixte,une chimère? Assurément elle était plus grande la distance du ministère actuel à ceux qu'il combattait naguère, que sa distance aux hommes de l'opposition.

N'avons-nous pas, s'écrie M. Barrot, combattu ensemble pour les grands principes pour lesquels il vaut bien la peine de se diviser dans un parlement politique ? N'avons-nous pas combattu ensemble pour le gouvernement parlementaire contre le gouvernement personnel?

« N'avons-nous pas combattu ensemble pour la grandeur politique de notre pays, pour replacer notre pays dans une situation plus digne vis-à-vis de l'étranger ?

» N'avons-nous pas essayé de condamner, de flétrir toutes les concessions qui avaient été faites par le ministère du 15 avril aux puissances étrangères ?

» N'avons-nous pas demandé ensemble, et ne vois-je pas sur ce banc ministériel, ces opinions représentées, non pas timidement et obscurement, mais par des hommes qui ont avec le plus d'éclat soutenu les mêmes principes que nous; n'avons-nous pas demandé ensemble qu'on rende au jury l'attribution qui en avait été détachée ? »

Le ministère avait alors son programme: respect pour le principe parlementaire, respect religieux de la constitution; le jury devant recouvrer ce que la constitution lui avait attribué; et quant à la question électorale, on la réservait, du moins. Aujourd'hui on fait bon marché des programmes, parce qu'on est sur une pente fatale; parce qu'on est condamné à placer le pouvoir là où l'on trouverait les sympathies de la majorité : c'est pourquoi on s'éloigne de la réforme électorale, on garde le silence sur une nouvelle définition des attributions de la pairie. Sera-ce le moyen d'avoir une majorité? L'élection d'un vice-président choisi parmi les ministres du 15 avril (M. Martin du Nord), prouve assez le contraire. Le Cabinet acceptera-t-il de continuer le ministère tombé? Non, sans doute, sa probité y résistera. Mais on l'amènera de concessions en concessions bien loin de son drapeau, et alors il sera brisé ;

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