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monde, nous n'avions été utiles à personne; tout le monde s'est réuni contre nous, et le traité a été signé.

« Il ne faut pas croire qu'il ne nous porte pas un immense préjudice. Les forces de la France en sont considérablement diminuées. Croyez-le, Messieurs, c'est le combat qui commence entre l'Angleterre et nous sur l'influence à exercer dans la Méditerranée. L'Angleterre a détruit notre influence, après des milliers de combats dans les mers des Indes; elle a détruit notre influence, après des milliers de combats dans les mers de l'Amérique. Maintenant le commerce se porte dans la Méditerranée: elle est devenue le centre des relations européennes. L'Angleterre commence à nous combattre dans la Méditerranée. Nous y avions trop d'influence: nous avions le port de Toulon, Alexandrie et les côtes de Syrie, et les côtes de l'Algérie ; c'était, aux yeux de l'Angleterre, trop d'influence. Elle a voulu nous diminuer, nous affaiblir, non-seulement nous faire éprouver un outrage, non-seulement nous faire éprouver une diminution matérielle, mais nous ôter cet ascendant moral que nous exercions dans l'Orient.

» Et ne croyez pas que là se borne le préjudice que l'Angleterre nous a causé. Qu'étiez-vous dans la question d'Orient avant les funestes événements dont nous venons d'être les témoins?

» Vous étiez une des puissances prépondérantes, et pourquoi ? La Russie a la prépondérance de ses armées; l'Angleterre, la prépondérance de ses flottes; vous aviez, vous, la prépondérance de vos flottes et celle de vos armées; et vos armées, quelles étaient-elles? celles du pacha d'Égypté. Vous pouviez, et il pouvait avec vous, jeter 80,000 hommes sur le Bosphore. Vous, avec vos flottes, vous étiez alors une puissance.

» Vous avez maintenant vos flottes, vous n'avez plus l'armée d'Égypte; vous avez vos flottes, vos flottes inférieures à celles de l'Angleterre; vos armées que vous ne pouvez pas transporter auprès de Constantinople, qui demeurent clouées sur votre territoire, qui dès-lors sont nulles dans la question.

⚫ Parmi les quatre puissances qui s'occupent de la question, vous êtes maintenant presque au dernier degré. La Russie et l'Angleterre sont au premier. Vous, comme vous avez quelques vaisseaux de plus que l'Autriche, vous venez avant elle; mais d'un autre côté elle a ses troupes qui sont sur ses frontières, qui protègent ou menacent à la fois Constantinople el la Russie. Vous ne venez donc qu'après l'Autriche. »

Mais le plus grand mal, c'était la destruction de la puissance égyptienne, qui auparavant était une garantie pour nous contre toute coalition européenne. Que le pacha fùt notre allié, qu'il menaçât Constantinople; la Russie, accou

rait; l'Autriche se mettait sur ses gardes contre la Russie et l'Angleterre elle-même venait. Toute guerre de principe contre nous était ainsi rendue impossible. Oui, notre véritable intérêt est à Alexandrie; il ne nous importe en aucune manière que Constantinople soit au czar ou au sultan : il n'y a là qu'un intérêt de paix européenne; il n'y a pas pour nous d'intérêt réel. Que devait donc faire alors le ministère ? satisfaire l'intérêt anglais à de certaines conditions, c'est-àdire lui assurer les passages qui conduisent aux Indes. Abdiquer cette politique inquiète et jalouse qui refuse à un pays des avantages qui lui sont utiles et qui les recuse seulement dans une pensée de haine stérile; il devait offrir à l'Angleterre notre garantie contre le pacha, et au pacha, notre garantie contre l'Angleterre, et sous notre patronage, demander que des routes nouvelles fussent ouvertes, que nous eussions quelques avantages. Que, si le Cabinet de Londres avait refusé, nous pouvions jeter l'Europe dans des complications inextricables, semer partout la guerre, et empêcher la conclusion du traité. Au lieu de cela, le ministère du 1er mars, qui a vu le moyen, s'est partout porté médiateur au profit de l'Angleterre.

Mais l'alliance que ses fautes ont favorisée ne saurait être durable. Que décider en présence des éventualités? faire la guerre ou la paix? La guerre serait sans prudence; la paix, telle que la propose l'Adresse, sans dignité. Ce qui est utile à la France, c'est de changer de politique; c'est de sortir du statu quo et d'entrer dans la neutralité, pour pouvoir ensuite choisir nos alliés; mais il ne faut pas se contenter de paroles: il faut des actes, et l'honorable orateur en propose deux fort graves: retirer notre ambassadeur de Constantinople, pour avertir l'Europe que nous cessons de protéger le sultan; et rappeler de Londres nos agents diplomatiques, comme témoignage de froideur et de mécontentement. Ce serait, non une déclaration de guerre, mais une simple interruption de relations diplomatiques. Quant à

cette alliance qu'il convenait de chercher, ce ne devait point être une alliance de principes, mais une alliance d'intérêt: celle de la Russie. Sans doute, de la part de son gouvernement, il y a des antipathies, des passions personnelles réciproquement partagées par le gouvernement français; mais l'intérêt des deux peuples fera tôt ou tard passer sur les obstacles. Provisoirement, néanmoins, il importe d'agir comme si nous devions rester isolés, nous rapprocher de la Suisse et de l'Espagne.

« Relevez-vous, relevez-vous de toute la hauteur de la France, dit l'orateur en terminant; confiez-vous à sa fortune, elle suffira pour réparer vos fautes..

Un incident fut, en cet endroit de la discussion, soulevé par M. Béchard: une lettre confidentielle du président du Conseil à l'auteur d'une brochure intitulée : Adresse d'un Anglais à la nation française, avait été publiée par le Moniteur. Le maréchal y rappelait les vœux qu'il avait formés naguères pour la perpétuité de l'alliance anglo-française, et proclamait de nouveau ces vœux. Selon M. Béchard, c'était compromettre la politique d'isolement, la seule digne, la seule possible.

Le président du Conseil ne nia point les vœux qu'il avait exprimés et formait encore en faveur de l'alliance anglaise, comme seule capable de garantir la paix du monde; mais, chez lui, l'homme public n'avait point oublié ses devoirs, et il en appelait à son passé.

La discussion générale pouvait être considérée comme terminée; cependant quelques orateurs prirent encore la parole: M. Jaubert, contre l'Angleterre; M. Villemain, contre M. Jaubert qui répliqua; le général Jacqueminot, en faveur du Cabinet; puis, MM. Thiers, Teste, Vivien, Duperré. Aucun fait nouveau ne sortit de ces débats, sinon le projet du 1er mars, qui aurait consisté à protéger, par la présence de la flotte à Toulon, les îles Baléares contre toute invasion, en cas de guerre; d'ailleurs, à Toulon la flotte était plus

près d'Alexandrie qu'elle ne l'était à Salamine. C'est ainsi que les membres de la dernière administration cherchèrent. à justifier le rappel de la flotte.

4 Décembre. Dans ces longs débats, tout avait pu être dit sur le passé, sur la situation, sur l'avenir; la question était épuisée. Cependant la discussion des paragraphes devait encore offrir un assez vif intérêt. Après l'adoption du premier, qui avait été légèrement modifié par la commission elle-même, la Chambre eut à délibérer sur plusieurs amendements relatifs au deuxième paragraphe. La commission avait d'ailleurs changé les termes, sinon l'esprit de sa rédaction primitive.

Sire, disait-elle, la France s'est vivement émue des événements qui viennent de s'accomplir en Orient. Votre Majesté a dû armer. Ces armements seront maintenus; des crédits extraordinaires ont été ouverts pour y faire face. Nous en apprécierons l'emploi. La France à l'état de paix armée et pleine du sentiment de sa force, veillera au maintien de l'équilibre européen et ne souffrira pas qu'il y soit porté atteinte; elle le doit au rang qu'elle occupe parmi les nations, et le repos du monde n'y est pas moins intéressé que sa propre dignité. Si la défense de ses droits ou de son influence le demande, parlez, Sire, les Français se lèverent à votre voix; le pays tout entier n'hésitera devant aucun sacrifice. Le concours national vous est assuré.

M. Guizot donna sa pleine adhésion à cet amendement; M. Berryer l'approuva également, comme profondément contraire au système du Cabinet; opinion spirituellement combattue par le ministre de l'instruction publique.

M. Piscatory avait également présenté un amendement qu'il abandonna ensuite pour se rallier à un autre amendement de M. Barrot, qui voulait lever toute équivoque, mais protester surtout contre le principe du traité des quatre puissances, et rappeler les droits proclamées dans la précédente Adresse. Ce dernier amendement eût été ainsi conçu :

Sire, la France s'est vivement émue des événements qui viennent de s'accomplir en Orient. L'intervention armée des quatre puissances signa

taires du traité du 15 juillet menace plus qu'elle ne protége l'indépendance de l'empire ottoman : elle compromet gravement l'équilibre et la paix du monde. Le gouvernement de Votre Majesté ne pouvait s'y associer; il a dû armer; ces armements seront maintenus et recevront tous les développements que pourraient exiger la défense des droits que nous avons reconnus et la protection de nos légitimes intérêts en Orient. »

Le ministre des affaires étrangères combattit la pensée de M. Barrot: C'était demander que la France s'attachât à une cause qui n'avait point été soutenue par son propre maître; qu'elle vouât ses forces à la défense d'autres forces étrangères qui se sont trouvées insuffisantes pour se protéger quelques semaines elles-mêmes.

« Vous désiriez la clarté, reprit M. Thiers; elle s'est faite; quoi qu'on fasse en Égypte, qu'on enlève même l'Égypte au pacha, nous laisserons faire. Comme je l'ai dit au commencement de cette discussion, la question est résolue. »

Suivant M. Passy, au contraire, poser un principe certain, déclarer que le Gouvernement français maintiendra le pacha en possession de l'Égypte même; c'était, dans l'intérêt de Méhémet lui-même, la plus haute imprudence que la Chambre pût commettre. Les puissances de l'Europe ont fait savoir qu'il n'est pas dans leur intention de donner force à la déchéance prononcée contre le pacha: déclarer que l'on continue les armements, c'est décider l'Europe à agir immédiatement avec toutes ses forces contre l'Égypte; la Chambre doit se contenter de dire que, s'il survient en Orient des choses qui amènent un changement d'équilibre, la France alors agira.

Mais, dit M. de Rémusat, la suppression du pacha ne serait-elle pas une atteinte à l'équilibre européen? par consé quent, dans le système même de M. Passy, elle devra, dans les circonstances prévues par la note du 8 octobre, interve nir pour Méhémet.

M. Guizot répondit, que l'on avait obtenu par l'influence, ce que les orateurs de l'opposition demandaient d'exiger par la menace. A quoi bon se donner la satisfaction puérile

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