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rapporteur, en vota le rejet. Enfin, M. Legentil développa, à son tour, un amendement qui aurait établi deux principes: le premier consacrant l'action du Gouvernement dans la détermination des établissements auxquels devraient s'appliquer les dispositions de la loi; le second étendant l'application de la loi à toutes les fabriques renfermant quarante ouvriers. Cette motion fut reçue avec plus de faveur et détermina le renvoi du projet à la commission, qui tint compte des considérations de M. Legentil, et modifia sa rédaction primitive, d'après les idées qu'il venait d'émettre.

L'article 1er fut alors adopté, malgré une protestation de M. Persil, qui insistait pour que l'on donnât à la loi un caractère général.

La Chambre passa immédiatement à l'examen de l'article 2, qui fixait la limitie d'âge et les heures de travail; il y était dit, que les enfants devraient, pour être admis dans les manufactures, avoir au moins huit ans; que de huit à douze, ils ne pourraient être employés au travail effectif plus de huit heures sur vingt-quatre, divisées par un repos, et que de douze à seize ans, ils seraient employés douze heures seulement, divisées par des repos. La commission avait présenté dans son rapport un paragraphe additionnel portant que : « des arrêtés spéciaux et motivés du préfet ou du sous-préfet, pourraient autoriser une autre répartition des heures quotidiennes de travail pour les enfants de huit à douze ans accomplis, pourvu toutefois que le même enfant ne fût employé qu'à quarante-huit heures de travail par semaine dans quelque atelier que ce fut, et à la charge de ne jamais dépasser neuf heures de travail dans une même journée. » Ce paragraphe fut combattu par le Gouvernement et rejeté. Du reste l'art. 2 fut adopté, bien que M. Grandin eût présenté deux amendements: l'un au second paragraphe, l'autre au troisième.

Par l'art. 3, tout travail de nuit (de neuf heures du soir à cinq heures du matin), fut interdit pour les enfants au

dessous de treize ans, et dans tous les cas, la durée de ce travail se devait calculer en y ajoutant moitié en sus : en sorte que deux heures de travail de nuit compteraient comme trois heures dans la supputation de douze heures sur vingt-quatre.

L'article 4 consacrait, comme jour de repos les dimanches et les fêtes reconnues par la loi. A cet égard, un amendement présenté par M. Luneau, défendu par M. Portalis au nom de la liberté religieuse, proposait d'accorder au culte israélite la possibilité de chômer le samedi au lieu du dimanche. M. le garde-des-sceaux et M. Fould lui-même objectèrent avec succès, qu'il y aurait injustice à violenter les consciences de trente-trois millions d'hommes en faveur de trois cent mille israélites.

Venait alors l'art. 5, qui établissait que nul enfant âgé de moins de douze ans ne pourrait être admis qu'autant que ses parents ou tuteurs, justifieraient qu'il fréquentait une école. La Chambre se prononça en faveur sans discussion.

L'art 6, enjoignait aux maires de délivrer à la famille de l'enfant un livret sur lequel seraient portés l'àge, le nom, les prénoms, le lieu de naissance et le domicile de l'enfant, le temps pendant lequel il aurait suivi l'enseignement primaire, enfin la date de l'entrée dans la manufacture.

Sur les amendements présentés par MM. Legentil et Pagès, l'art. 7, renvoyé à la commission, fut ainsi modifié.

• Des réglements d'administration publique pourront :

» 1° Étendre à des manufactures, usines ou ateliers autres que ceux qui sont mentionnés dans l'art. 1er, l'application des dispositions de la présente loi;

» 20 Élever le minimum de l'âge et réduire la durée du travail déterminée dans les art. 2 et 3, à l'égard des genres d'industrie ou le labeur des enfants excéderait leurs forces ou compromettrait leur santé;

» 30 Déterminer les fabriques où, pour cause de danger ou d'insalubrité, les enfants au-dessous de 16 ans ne pourront point être employés.

4o Interdire aux enfants dans les ateliers où ils sont admis certains genres de travaux dangereux ou nuisibles;

» 5o Statuer sur les travaux indispensables à tolérer les dimanches et fêtes.

» 6o Autoriser dans les établissements où des garanties spéciales seront assurées, tant pour l'instruction religieuse des enfants que pour leur nourriture et leur entretien, une extension d'une heure dans la durée du travail des enfants. »

Le paragraphe 6 et un amendement de M. Delessert, qui l'eût remplacé, furent également combattus par le Gouvernement et rejetés. La Chambre vota ensuite l'article et en proclama l'adoption.

Aucunes difficultés ne s'élevèrent relativement à l'article 8, qui déclarait qu'il serait pourvu, par des réglements d'administration publique, aux mesures à prendre pour assurer l'exécution de la présente loi, et notamment pour assurer: 1o le maintien des bonnes mœurs et de la décence publique; 2° l'instruction primaire; 3° pour empêcher tout mauvais traitement; 4° pour veiller aux conditions de salubrité et de sûreté, nécessaires à la santé et à la vie des enfants.

L'article 9 prescrivait aux chefs d'établissement d'afficher dans chaque atelier, avec la présente loi et les réglements d'administration publique qui en détermineraient l'application, les réglements d'intérieur concernant le travail des enfants.

Après l'adoption, de vifs et importants débats s'élevèrent sur l'article 10, où il était dit que le Gouvernement établirait des inspecteurs pour surveiller et assurer l'exécution de la loi. D'après le projet, les inspecteurs pourraient, dans chaque établissement, se faire représenter les registres relatifs à l'exécution de cette loi, les réglements intérieurs, les livrets des enfants, et les enfants eux-mêmes; ils pourraient être accompagnés d'un médecin commis par le préfet; en cas de contravention, ils dresseraient des procès-verbaux qui feraient foi, jusqu'à preuve contraire. M. Pascalis proposa de substituer: jusqu'à inscription de

faux; mais la commission repoussa cette modification, et détermina sur ce point le vote négatif de la Chambre.

Alors MM. Gustave de Beaumont et Isambert interpellerent le ministère sur les attributions des nouveaux officiers de police judiciaire que créait cette loi. M. le ministre du commerce répondit que le Gouvernement n'avait point encore de système arrêté sur cet objet, mais que la question était à l'étude : le personnel de ces inspecteurs serait pris probablement parmi les membres des conseils généraux; du reste, on devait laisser au Gouvernement le soin de déterminer si ces inspections seraient locales ou centrales, et le mode d'exercice qu'il conviendrait de leur imposer.

M. Legentil ayant demandé si les inspecteurs nommés pour l'exécution de la loi seraient seuls appelés à constater les contraventions, le ministre de l'instruction publique répondit qu'en outre de l'action des inspecteurs créés, la loi serait sous la protection du droit commun.

A ce sujet, M. Durand (de Romorantin) fit observer que de cette manière des officiers de police judiciaire, très-bas placés dans la hiérarchie, pourraient chaque jour s'introduire dans le foyer domestique, sous prétexte de constater une contravention, et soumettre les manufacturiers à une inquisition dont la nécessité serait pour eux déshonorante. Les inspections devaient être locales et gratuites. Ne trouverait-on pas toujours dans chaque département des hommes honorables qui sacrifieraient leurs loisirs aux intérêts de l'humanité? Le résultat de cette discussion fut le renvoi de l'article 10 à la commission, qui le divisa en deux articles, dont l'un n'était que la première partie de l'article 10 primitif. M. Isambert proposa d'ajouter au mot inspections celui de locales, et M. Charamaule, celui de gratuites; mais M. le ministre du commerce combattit les deux amendements et le rejet fut prononcé. Une modification grave avait été apportée à la seconde partie de l'article 10, laquelle devenait par suite de ce changement l'article 11 de la loi le droit de

dresser des procès-verbaux pour constater les contraventions n'appartiendrait qu'aux inspecteurs, aux préfets et aux sous-préfets, sans préjudice de l'action directe du ministère public; les procès-verbaux dressés feraient foi jusqu'à preuve contraire. De nombreuses et vives objections furent soulevées contre cet article, qui dérogeait au droit commun et faisait de la loi une loi d'exception.

M. le garde-des-sceaux se prononça pour l'application du droit commun, et proposa de revenir à la rédaction primitive de la commission.

M. Renouard, rapporteur, ne contredit point cette proposition, et la Chambre sanctionna définitivement l'article 11, ainsi conçu.

Il s'agissait maintenant de déterminer la peine qu'entraînerait la contravention; tel était le but de l'article 12: il frappait à la fois les propriétaires exploitant l'établissement et le père, la mère ou le tuteur de l'enfant. Le paragraphe premier, qui portait que le chef d'établissement serait traduit devant le juge de paix du canton, fut combattu par M. Vivien, comme une dérogation au droit commun; suivant l'honorable membre, le délit devait être déféré à un tribunal de simple police, mais le vote de la Chambre repoussa cette proposition.

Les paragraphes relatifs à la famille de l'enfant, appelèrent M. de Lamartine à la tribune : « La loi, disait-il, n'est pas intéressée à ce qu'il y ait double répression d'un même délit; et d'ailleurs, pourquoi assimiler deux délits d'une impor tance tout-à-fait disproportionnée : celui commis par le manufacturier, dans l'intention d'exploiter l'enfance, et celui du père de famille qui, poussé par la misère et la faim, aurait livré son enfant à l'exploitation? » L'honorable membre demandait donc la suppression de cette partie de l'article qui frappait la famille de l'enfant.

M. le rapporteur opposa à ces raisons que l'impunité, assurée aux pères de famille, entraînait de graves incon

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