Page images
PDF
EPUB

grec conservait encore un trop vif souvenir de son esclavage et nourrissait une haine trop implacable contre ses anciens maîtres, pour qu'il consentît à traiter directement avec la Porte. Néanmoins, le gouvernement du roi, qui, en cette occurrence, ne partageait pas l'antipathie exagérée du peuple pour la Turquie, avait hasardé auprès du Divan des propositions entièrement favorables aux intérêts politiques, maritimes et commerciaux de la Grèce à cette condition seule, lui était permise l'espérance de triompher de l'opposition qu'il était par avance certain de rencontrer dans les passions populaires.

:

M. Zographos, ministre des affaires étrangères, se rendit à Constantinople et se chargea lui-même des négociations. De nombreuses difficultés se présentèrent tout d'abord, et long-temps, l'on put douter que toute la persévérance et tout le talent de M. Zographos eussent un plein succès; mais ces craintes étaient vaines, et, si les négociations devaient être sans effet, là n'était point le danger.

Il fut arrêté que, dans le cas où un sujet grec se rendrait coupable d'un crime envers un sujet de la Sublime-Porte, le sujet hellène serait passible des tribunaux ordinaires ottomans ; mais la Porte accordait, sur cette matière, une restriction au ministre grec: après le jugement, la légation hellénique pouvait demander à la Porte la révision du procès, qui serait porté, en 2me instance, devant un tribunal, dont les membres seraient nommés par les ministres du sultan, parmi des hommes éclairés, choisis en dehors des corps judiciaires; concession importante, puisqu'elle permettait de soustraire ainsi les Grecs à la vengeance possible des ulemas, auxquels est confiée la justice.

Une autre clause du traité établissait que la marine grecque pourrait se livrer à la navigation cotière, en se soumettant aux réglements imposés au pavillon ottoman.

Enfin, relativement aux droits de douane établis sur les produits similaires, tels que tabac, vin, huile, etc., les deux

gouvernements respectifs se réservaient le droit de prendre à l'égard de ces productions, le parti qu'ils jugeraient convenable. Ainsi, dans ce traité dont nous n'analysons ici que les principaux articles, la nation grecque se plaçait auprès du divan sur le pied des nations les plus favorisées, et obtenait des priviléges considérables pour elle, tels que le droit de cabotage.

Eh bien! tous ces avantages ne purent contrebalancer la répugnance des rayas grecs. M. Zographos, qui avait conclu le traité, se vit en butte à de nombreuses attaques, et se crut obligé de se justifier par la voie de la presse pé riodique, en exposant les motifs de sa conduite pendant les négociations. Néanmoins, l'opinion publique se prononça d'une manière si menaçante, que le roi, sous peine d'exciter une émeute et de provoquer de nouveaux troubles, dut céder et refuser sa sanction au traité.

En même temps, M. Zographos se retirait du ministère, et la foule accumulait des pierres devant son hôtel en signe d'anathême.

D'autre part, la même exaspération se manifesta à Constantinople, dès que l'on y connut le rejet du traité : les marchands et artisans grecs qui habitent cette ville, furent contraints à fermer leurs magasins et leurs ateliers: on menaça même de les chasser de la ville. L'ambassadeur de France intervint et, par ses représentations, tempéra l'hos tilité de ces dispositions.

Cependant, Reschid-Pacha fit savoir: 1°. qu'à dater du 1er octobre, les Grecs devraient cesser le cabotage sur les côtes de la Turquie; 2°. que la Porte était décidée à traduire devant les tribunaux turcs, les Grecs qui auraient commis des fautes ou des délits en Turquie ; 3°. que les importations de la Grèce, l'huile, le vin, le tabac, etc, seraient grevées d'un droit d'entrée de 20 pour 100.

Ces événements provoquèrent, de la part du gouvernement hellénique, un appel aux cinq puissances, et l'on

députa vers le Divan un nouveau ministre, M. Christides. Le gouvernement turc revint à des dispositions moins hostiles, sans cependant rien changer à ses récentes déterminations.

C'était l'époque où se vidait entre les quatre puissances et l'Égypte la querelle du sultan et du pacha: la Grèce ne pouvait que gagner à voir le sultan rentrer dans ses droits onéreux sur la Syrie et redevenir maître de populations dont l'insoumission est un pérpétuel danger pour l'empire ottoman.

CHAPITRE V.

SUISSE.-État du pays.- Affaires du Tessin. Les lois sur la presse et le décret de bannissement des frères Ciani sont retirés. Mesures prises par le gouvernement de Lombardie et de Sardaigne.—Manifestation du parti modéré. -Solution de ces débats.-Question du Valais.-Plaintes du Conseil d'État au Vorort.-Adresse du Vorort aux cantons.-Collision dans le dizain d'Hérens. -Convocation extraordinaire du grand conseil. -Le Bas-Valais prend les armes.-Pierre et Louëche arborent le drapeau blanc.-Proclamations du Conseil-d'État du Bas-Valais.-Rétablissement de la paix.—Question de la révision du pacte fédéral. — Circulaire adressée par le Vorort à l'Autriche et à la France relativement aux craintes de guerre.-Réponse des deux gouvernements.-Symptômes de désordre en Argovie.

SARDAIGNE. Reprise des relations commerciales avec l'Espagne. - Traité de commerce avec la Suisse. -- Convention avec l'Autriche pour la protection de la propriété littéraire. — Mesures prises par le gouvernement pendant la révolution du Tessin.-Inondations dans le Piemont. ÉTATS ROMAINS. - Représentation de l'ambassadeur de France à l'occasion de la présence du duc de Bordeaux à Kome. - Le prince quitte les États romains. Affaires avec le Portugal. La France renonce au privilége de nommer le curé de Saint-Louis à Rome.- Différend avec la Russie et la Prusse. - Rappel des archevêque de Posen et de Cologne. - Traité de commerce avec la Belgique. — Solution de la question de frontières entre les États romains et Naples.-Difficultés avec l'Espagne. - Aperçu sur l'état de la religion en Allemagne, en France, en Angleterre.-Lettre du Saint-Père au comte de Shrewsbury.- Mission dans le Tonkin et la Cochinchine. — Troubles dans quelques villes.-Projet de relever les fortififications d'Ancône et de Civita-Vecchia.

NAPLES.-Exposé de la question des soufres. L'Angleterre négocie l'abolition du monopole.-M. Mac-Gregor.-Le Cabinet de Londres désavoue ses paroles. Le roi de Naples fait proposer à la compagnie la résiliation de son contrat. - Demande d'indemnités pour les sujets anglais. — Menaces de guerre.-Réponse du roi.-Préparatifs de résistance. — Commencement d'hostilités. - Intervention de la France. - Reprise des négociations-Conclusion du différend. — Célébration de la fête du roi des Français. Sympathies pour la France. Délimitation des frontières entre le royaume et les États romains.

[ocr errors]

SUISSE.

L'histoire de ce pays n'est, cette fois encore, qu'une nouvelle phase de ce mouvement révolutionnaire, qui reçut une si vive impulsion du grand acte consomme par la France en 1830. Chaque année voit s'opérer de nouvelles modifications dans les constitutions.

C'est ainsi que le parti qui venait de triompher dans le canton du Tessin, porté au pouvoir par une révolution aussi rapide que modérée, semblait devoir s'y maintenir par une sage direction des affaires. Les lois sur la presse, ainsi que le décret de bannissement rendu contre les frères Ciani, furent retirés. Parmi les hommes qui avaient provoqué cette révo lution, en portant atteinte aux droits du peuple, les uns s'étaient retirés en Sardaigne et en Lombardie, d'où ils cherchaient à entraver la marche de l'administration qui les avait remplacés; et c'est ainsi que l'on expliquait les mesures sévères prises par la Sardaigne et l'Autriche, telles, par exemple, que l'extension sur la frontière d'un cordon de 5,000 hommes, pour surveiller le pays; les autres, n'avaient point quitté le canton, et ils avaient encore conservé quelque espérance de retour à l'ancien état de choses; mais les manifestations en leur faveur se bornèrent à quelques cris isolés de meurent les libéraux! vivent les modérés! le gouvernement nouveau n'en conçut aucune crainte, et dédaigna même en cette circonstance de faire usage de ses pouvoirs.

Après s'être ajourné jusqu'au 8 janvier, le Grand-Conseil reprit ses séances, et dans le message relatif aux poursuites dirigées contre les chefs de l'ancienne administration, il émit le vœu d'une réconciliation générale. Le Conseil répondait ici à la pensée du Vorort, qui appelait aussi une amnistie générale, et ce n'était déjà plus qu'une question de temps.

Ann. hist. pour 1840,

30

« PreviousContinue »