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Une objection se présente naturellement à l'esprit; on peut se demander s'il n'est pas dangereux de vouloir classer par avance des choses qui n'acquerront une existence légale qu'à la condition d'être nouvelles; ne vaudrait-il pas mieux laisser à la jurisprudence et à la doctrine le soin de fixer le sens des mots qu'on veut définir, et ne conviendrait-il pas de donner au juge une complète liberté d'appréciation?

Le législateur allemand de 1877 (1), touché de ces considérations, s'est contenté d'énoncer le principe suivant.

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Art 1. Des brevets sont délivrés pour les inventions nouvelles qui sont susceptibles d'une exploitation industrielle (2).

Il paraît ainsi éviter le reproche que nous formulions plus haut; mais ce reproche est-il fondé ? Nous ne le croyons pas. L'expérience a démontré, en effet, et tous les solliciteurs de brevets sont unanimes à le proclamer, qu'il est impossible de concevoir un objet brevetable, de quelque nature qu'il soit, qui

(1) Loi du 25 mai 1877 sur les brevets d'invention dans l'empire d'Allemagne, traduite et annotée par M. Ch. Lyon-Caen.

(2) La loi belge du 24 mai 1854 contient une disposition analogue. L'art. 1er du décret promulgué le 29 octobre 1886 et destiné à organiser le régime des brevets d'invention au Congo est ainsi conçu :

Est brevetable toute découverte, tout perfectionnement suscep→ tible d'être exploité comme objet d'industrie ou de commerce. >>

ne rentre pas dans l'une des classes énumérées par la loi française. Si cette affirmation est exacte, on conçoit sans peine que la méthode adoptée par les législations française, espagnole, italienne, brésilienne et autres analogues, offre des avantages incontestables, car elle permet de rapporter toutes les découvertes à des types déterminés.

L'association allemande pour les brevets d'invention avait proposé de mentionner comme objets brevetables les produits de l'industrie, les procédés destinés à les obtenir, les machines, outils et instru ments: le rapporteur de la loi de 1877 déclara qu'on avait laissé de côté cette énumération comme inutile et susceptible de faire naître des difficultés. c'est précisément parce qu'il est difficile de donner de bonnes définitions qu'on doit être heureux d'user de celles qui existent quand elles sont claires et complètes.

Mais

A cette question que fait naître la lecture de l'article 1er de la loi allemande : Qu'est-ce qu'une invention? il est impossible de répondre d'une façon plus exacte que ne le fait notre loi.

Toute découverte industrielle a en effet pour conséquence de créer un produit nouveau ou de faire obtenir un résultat par des moyens nouveaux, ou par une combinaison nouvelle de moyens déjà

connus.

En lui-même, et indépendamment du moyen qui le produit, le résultat n'est pas brevetable, car il ne se présente pas sous la forme d'un corps défini et déterminé, il ne peut faire l'objet d'une appropriation.

« Il y a résultat, disent MM. Picard et Olin (1), quand on amène un simple état de choses exclusif, dans son ensemble, de toute idée d'un corps certain, comme, par exemple, quand on rend un produit meilleur marché, quand on le multiplie, quand, tout en ne modifiant en rien les éléments fondamentaux de sa nature, on l'empêche de subir une altération, on y ajoute ou l'on y retranche une propriété secondaire.

M. Pouillet, après avoir rappelé cette définition, ajoute (n° 26): « Le résultat, c'est le problème dont chacun a le droit de chercher la solution; la solution seule appartient à celui qui l'a trouvée. »

Il est clair que dans la plupart des cas le résultat nouveau impliquera l'existence d'un corps certain, d'un objet matériel jusque-là inconnu; mais alors ce sera le corps certain, l'objet matériel, le moyen à l'aide desquels on a obtenu un avantage industriel qui seront brevetables.

Il a été jugé avec raison que s'il était possible

(1) Picard et Olin, no 60.

d'obtenir un brevet pour un système destiné à tenir les chapeaux à flexion ouverts ou fermés à volonté, il n'en pouvait résulter, pour d'autres fabricants, l'interdiction d'arriver au même résultat par des moyens nouveaux, parce que les lois sur les brevets d'invention ne protègent les idées nouvelles, qu'autant qu'elles sont réalisées et mises en œuvre par des moyens et procédés susceptibles d'être décrits dans la spécification qui doit être jointe à la demande du brevet (1).

Le résultat considéré en lui-même, quelle que soit sa nouveauté, n'est pas une invention; c'est la manifestation de la découverte, c'est l'indication des avantages qu'elle est susceptible de procurer; il lui manque, pour être brevetable, de remplir une condition essentielle «d'être un corps certain, déterminé.>> C'est donc à bon droit que l'article 2 ne l'énumère pas parmi les objets susceptibles d'être brevetés. Mais la solution est différente quand il s'agit de produits ou de moyens industriels.

§ 1. Produits industriels.

La découverte la plus sensible, la plus palpable, est celle qui a pour conséquence de jeter dans la

(1) Cassat. Rej. 26 mars 1846; Dalloz, 46, 4, 46. Voir sur le même sujet M. Pouillet, nos 26 et 27; Renouard, Brevets l'inver

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tion, p. 273; M. Allard, Inventions brevetables.

circulation un objet matériel ayant une forme, des caractères spéciaux, qui le distinguent de tous les autres.

Celui qui livra le premier au commerce la bougie perforée de trous dans sa longueur, en vue de remédier au coulage, put à bon droit se faire délivrer un brevet (1), car il procurait un avantage incontestable aux consommateurs, et il lui était facile de se faire attribuer la fabrication unique du corps certain et déterminé qu'il venait de créer.

Quelle est, dans ce cas, la conséquence de la concession du monopole ? C'est que le breveté aura seul le droit de fabriquer les bougies perforées de trous dans la longueur; c'est en vain que d'autres industriels prétendraient employer, pour produire des objets semblables, des moyens tout différents de ceux dont il fait usage, ils commettraient le délit de contrefaçon, car le produit breveté n'est pas dans le commerce au point de vue de la fabrication.

Produits naturels.

On s'est demandé si un pro

duit de la nature était brevetable, et on a généralement résolu la question négativement.

« Pour notre part, dit M. Pouillet, il nous répugne d'admettre qu'un produit naturel puisse être confisqué au profit de celui qui aura eu la chance.

(1) Paris, 13 avril 1868, Viol et Duflot;

Pataille, 68-134.

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