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de les avoir rapportés tous, la masse en est accablante. Je me serais borné à ceux dont j'ai esquissé le rapide tableau ; mais, puisqu'on se permet de les révoquer en doute, puisqu'on ose nier l'évidence, je terminerai par un traît qui va lever tous les voiles de cette déplorable intrigue, et surprendre ses auteurs en flagrant délit. Ce ne sera l'aventure ni la moins remarquable ni la moins plaisante des élections de Paris. Elle va devenir la matière d'un procès; elle pourrait fournir le sujet d'une comédie. Les électeurs, vous le savez, ont été inondés de circulaires, de pamphlets et de libelles de tous genres; mais ce n'était point assez de toutes les presses de la capitale pour fournir à ce débit de calomnie; il fallait plier les dépêches, mettre les adresses, faire les bulletins d'avance; et il y en avait dix mille à écrire. Employer les commis, était s'exposer à quelques indiscrétions: après y avoir mûrement réfléchi, on convoque tous les écrivains publics de la capitale; et c'est à M. Acarry, entrepreneur général d'écritures au Palais de Justice, qu'on s'adresse pour avoir la libre expression du vœu de tous les électeurs de Paris. Dix mille adresses enve

» tant que vous le pourrez; c'est un engagement que je prends, et » qui doit satisfaire les amis de la patrie et les indépendans. Vous »savez que depuis long-temps je le porte dans mon cœur. C'est » surtout en raison de ce que le post-scriptum de ma note n'a pas » été inséré dans le Journal de Paris, non plus que dans les copies » qui en ont été imprimées, que je désire que vous la communi» quiez à vos connaissances et qu'elle circule. »

Cette lettre, signée Ternaux, est déposée au bureau de la Minerve, où elle sera communiquée à tous ceux qui désireraient en prendre connaissance.

La même feuille prétend qu'il y a contradiction entre M. Benjamin Constant et moi, parce que, selon lui, M. Ternaux l'a emporté de quatre-vingts suffrages, et que, selon moi, M. Constant eût été nommé avec quarante-une voix de plus. Rien n'est cependant moins contradictoire, un écolier de septième comprendrait cela, mais c'est un travail d'esprit trop fort pour les écrivains du ministère! J'aurais eru qu'ils savaient au moins calculer.

loppant des pamphlets en faveur de M. Ternaux et contre M. Benjamin Constant, et dix mille bulletins portant le nom de Ternaux aîné, lui sont commandés par M. le directeur général du Journal des Maires. M. Acarry, qui sait, comme tout le monde, sous quels auspices s'écrit ce journal, ne croit pas devoir parler du prix de ses écritures. On ne lui demande que de la célérité, et on lui laisse juger, par l'importance du travail, quelle en doit être la récompense. Aussi appelle-t-il à l'instant le ban et l'arrière-ban des écrivains en échoppes. Leurs mains infatigables ne s'arrêtent pas pendant deux jours et deux nuits; et quand le nom qu'ils ont dix mille fois tracé sort enfin glorieux de l'urne électorale, M. Acarry envoie son mémoire à M. le directeur général, qui s'acquitte magnifiquement envers lui par une somine de quatre-vingts francs. Il paraît qu'on est plus généreux avant les élections qu'après. Peut-être aussi les fonds étaient-ils épuisés par le paiement qu'il avait fallu faire de tous les cabriolets de places, remises et voitures foraines qui avaient été employés, dans la journée du ballottage, à transporter sur les points les plus menacés les réserves électorales des campagues et des faubourgs.

L'entrepreneur des écritures, pénétré de l'importance du service qu'il venait de rendre au ministère, service d'autant plus grand qu'il n'eût pas écrit comme électeur le nom qu'il avait tracé comme écrivain public, est encore plus humilié que mécontent; il réclame et ne reçoit aucune réponse. Alors il imagine de s'adresser à M. Ternaux. Ne connaissant point les désaveux de ce respectable député, il croit que celui qu'il a servi par son travail doit en acquitter le prix. La réponse originale de M. Ternaux, que j'ai entre mes mains, est une nouvelle protestation contre les menées dont on s'est servi à son insu; et c'est pour donner plus de poids encore à ses premières dénégations que je donne ici une copie littérale de sa réponse.

«Je ne conçois pas, monsieur, comment vous avez pu,

» ainsi que vos collaborateurs, vous imaginer que j'aie pris » la moindre part à la confection des bulletins concernant » les élections; non-seulement j'y suis étranger, mais,

lorsque j'ai appris la distribution qui avait été faite en » ma faveur, j'en fus très-affecté. Cette confection de bil» lets portant mon nom est tellement éloignée de mon » caractère, qu'au lieu de huit francs par mille que vous » dites qui vous ont été payés pour cet objet, je voudrais » en avoir donné le double pour que cette mesure n'eût » pas eu lieu; c'est donc à ceux qui vous en ont ordonné la confection que vous devez porter vos réclamations. J'ai l'honneur, etc. » Signé TERNAUX aîné.»

Eh bien, honnêtes écrivains, ai-je inventé cette pitoyable aventure? que répondrez-vous à l'évidence niême? la pierez-vous encore? Mais, quand M. Accary appellera devant les tribunaux M. le directeur général du Journal des Maires et tout le monde connaît à Paris, et même à Londres, ce chef du personnel des élections), que pourrez-vous objecter? Je sais que vous êtes bien fertiles en ruses, bien féconds en expédiens; mais je vous défie de justifier cette honteuse intrigue.

J'étais, je le répète, résolu à taire ce nouveau fait, si les écrivains ministériels ne m'eussent pas imprudemment provoqué; mais, j'aurais eu beau garder le silence, ce bizarre procès va retentir devant les tribunaux, et rien au monde n'en saurait empêcher le scandale. En vérité, je suis humilié, pour mon pays, d'avoir de telles révélations à faire. Eh quoi! c'est ce peuple si noble, si spirituel et și grand, qu'on veut conduire par de si tristes manœuvres! Quelle pauvreté dans les vues! quelle mesquinerie dans les moyens! S'il faut absolument nous tromper, qu'on le fasse d'une manière plus digne; sans trop nous vanter, il me senble que nous en valons la peine. Mais non, je le redirai sans cesse, c'est la bonne foi qui doit présider aux conseils de l'autorité: le chemin le plus droit est le seul à suivre ; tous les détours, tous les faux-fuyans sont funestes. On a beau s'envelopper d'une obscure politique, le public perce toutes les ténèbres; les palais des hommes d'état, quelqu'épais qu'en soient les murs, sont diaphanes pour les peuples. Espérons que le temps viendra où la loi régnera seule sur

tous les partis, où des conspirations, dans des sens divers, ne viendront plus, alternativement ébranler l'état ; où ce sera un devoir de prévenir le crime, mais où ce sera un forfait de le provoquer; où l'on ne fera pas des coupables pour obtenir des récompenses, et où la plus haute preuve de zèle et de dévouement que pourront donner les hommes publics, sera de combler l'abîme où se précipitent les factions, et non de l'ouvrir pour les y faire tomber.

C'est ici, peut-être, qu'il doit m'être permis de m'affliger des désordres qu'a excités dans Paris l'exécution de la dernière loi sur le recrutement. Je n'ai pu remarquer, sans étonnement, que c'est précisément après les élections que se sont élevées de coupables clameurs? serait-ce un moyen d'en calomnier le résultat? Ma raison se révolte contre une telle supposition. Mais je me rappelle, malgré moi, qu'à Londres, quand on a voulu obtenir la suspension de l'habeas corpus, on a excité des séditions dans la classe ouvrière. Nous touchons au moment où la loi du 9 novembre sera attaquée. Voudrait-on se ménager un moyen de la défendre? je répugne à y croire; et cependant, la conspiration des Patriotes de 1816, celle de 'Epingle Noire où les instigateurs furent pris en flagran délit, sont encore présentes à nos yeux. Les derniers cris qui se sont fait entendre étonnent d'autant plus, qu'ils sont moins en rapport avec l'opinion publique : si nous ne balançons pas à nous en plaindre, c'est qu'on ne manquera pas d'en jeter le blâme sur les amis de la liberté, qui, nous le déclaros hautement, sont les premiers à en gémir et à les condaniner

Une chose plus sérieuse et plus affligeante pour la capitale, c'est la baisse désastreuse qui vient de s'opérer sur les effets publics. Elle tient à bien des causes; mais il faut surtout l'attribuer à de grandes imprévoyances. Je vous le disais naguère : L'étranger quitte nos places fortes; mais il n'évacuera pas la bourse, le système des emprunts lui a livré la fortune publique. Quand, les premiers, nous nous sommes élevés contre cette funeste opération, les ministériels nous criaient sans cesse: Voyez comme les fonds haussent, c'est la meilleure réponse à toutes vos critiques. Nous pourrions à notre tour leur dire: Voyez comme les fonds baissent, c'est la meilleure réfutation de toutes vos

apologies. On varie beaucoup sur les motifs de cette dépréciation. Les uns ont prétendu que le ministère voulant justifier, devant les chambres, le bas prix auquel il avait accorde les emprunts, n'était pas étranger à ce mouvement de baisse mais il est difficile de croire qu'on ait froidement calculé la ruine de tant de citoyens pour échapper à quelques remontrances. D'autres ont pensé, avec plus de raisons peut-être, qu'un grand nombre de prêteurs avaient vendu à terme leurs portions dans l'emprunt, quoiqu'ils n'eussent point encore leurs inscriptions de rente, parce qu'au moyen des reports ils peuvent suivre l'opération jusqu'au jour où ils les reçoivent. Cette conjecture paraît assez fondée. On a jeté des masses énormes de rentes sur la place; et dans le moment où l'évacuation du territoire raffermissait la confiance, dans le moment où les journaux ministériels donnaient l'espoir d'une hausse progressive, tous les joueurs, confians dans de si séduisantes apparences, ont vu s'écrouler en un jour tout leur espoir et toute leur fortune. Les pertes des nationaux sont devenues, comme on le pense bien, autant de bénéfices pour Ics étrangers. Par malheur, dans le même temps une vaste opération de change avait été entamée par quelques maisons; elle fit sortir de France de grands capitaux. La banque de France, qui s'en aperçut, prit la résolution de ne plus escompter de papier qu'à quarante-cinq jours de terme, afin de remédier à l'exportation du numéraire. Ce fut le coup de grâce de la bourse. Les fonds baissèrent de trois francs. La consternation était générale. Presque toutes les fortunes se trouvaient ébranlées. Le prix du report mouta de trois à quatre francs, chose qui ne s' s'étaitjamais vue jusqu'à ce jour. Enfin, M. le ininistre des finances, vivement sollicité, vint au secours de la płace. Il voulut bien consentir à soutenir le crédit public, en prêtant quelques millions sur des rentes qu'il n'a prises qu'a soixante-cinq pour cent, se contentant ainsi du modique intérêt de neuf pour cent par an, quand avec les bons de la caisse de service il se procure de l'argent à cinq un quart et à cinq et demi. Les agens de change ont apporté tous les capitaux dont ils pouvaient disposer. Les banquiers et les négocians se sont joints à eux; et M. Laffitte, qu'on voit toujours le premier quand il faut servir la chose publique, a donné tout ce qu'il avait de disponible en caisse. Il est

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