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Les personnes qui s'intéressent aux progrès de l'art dramatique, liront avec plaisir la nouvelle production de M. Lemercier; cet ouvrage sera plus particulièrement utile aux actrices et aux comédiens. Ils sy trouveront d'excellentes leçons et de sages conseils. C'est en les suivant qu'ils apprendront à régler leur diction, à exprimer avec énergie, mais sans emphase, les divers mouvemens des passions; enfin, M. Lemercier leur révèle les secrets d'une profession dont ils font trop souvent un métier.

En traitant avec une juste sévérité les abus qui se sont introduits dans la société du Théâtre Français, l'auteur ne craint point d'offenser les vrais artistes qui ont acquis des droits à l'estime publique. Le premier de tous est Talma, qui n'a point eu de modèle, et qui, je crois, aura difficilement des rivaux. M. Lemercier rend aussi justice à Lafon, qui souvent, avec une autre manière, a mérité les suffrages des connaisseurs. Mademoiselle Mars, dont les grâces naïves et les brillantes inspirations semblent plutôt les dons précieux de la nature que le produit de l'étude et les combinaisons de l'art; mademoiselle Duchesnois, si touchante et si passionnée, sont des modèles à proposer aux actrices qui sollicitent les faveurs de Thalie ou de Melpomene.

E

M. Lemercier ne pense pas que le nouveau théâtre puisse offrir subitement une réunion de talens également distingués; ses réflexions à cet égard méritent l'attention, et c'est par elles que je terminerai cet article. « Le public » est loin d'espérer, dit-il, que l'ouverture de ce théâtre » lui offrira un rassemblement de talens parfaits. Il sait qu'il n'y a point de baguette magique à la main d'un » directeur qui, disposant du génie comme du ressort des décorations, fasse à l'instant lever et reparaître des Le Kain, des Dumesnil, des Clairon, des Dangeville, » des Préville et des Malé. Mais il n'admet point les faux » raisonnemens par lesquels on veut lui persuader que, » puisqu'il n'existe plus assez de bons acteurs pour com» pléter une seule troupe, on ne saurait en trouver pour

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» la formation de deux. Erreur! c'est parce que la carriè»re était fermée aux émules capables de se distinguer; > c'est parce que les priviléges et les brigues d'une école » de déclamation leur opposaient trop d'obstacles; c'est > parce que la médiocrité ne protége que la médiocrité

plus faible qu'elle; c'est parce que le découragement »abattait le zèle humilié que l'art a dégénéré si rapide» ment. Laissez, laissez faire la nature, qui n'est jamais »lasse de produire, et vous verrez renaître les talens. La lice une fois librement ouverte, des concurrens ignorés » ou méconnus se hâteront d'y essayer leurs forces; des » rivaux se présenteront dans cette lutte; et le temps » enfin désignera ceux auxquels devront être justement A. J. décernés les prix des jeux scéniques.

Sur l'exil de Clément Marot.

Il n'en était pas alors tout-à-fait comme à présent; on persécutait les hérétiques; les hommes d'état avaient un cœur d'airain; les juges se délectaient à mal faire; les poëtes ignoraient le sexe des rimes, et mettaient des hiatus dans leurs vers; n'est-il pas vrai qu'une partie de ces choses-là sont changées?

Clément Marot, ce poëte si spirituel, dont il est inutile d'expliquer le charme à ceux qui le connaissent, et trèssuperflu de faire l'éloge à ceux qui ne le connaissent pas, avait une tendance singulière vers ce qu'on appelait en ce temps-là les doctrines nouvelles. Ses psaumes en vers français, qui n'auraient jamais dû être condamnés que par le dieu du goût, font encore aujourd'hui les délices de nos églises protestantes (1); et c'est en chantant lève le cœur,

(1) Un prêtre fanatique, appelé Artus Désiré, publia, en 1660, Les deux contre-poisons des psalmes de Marot, « qui, disait-il, al

ouvre l'oreille, que tant de paysans français ont été misérablement massacrés par des épées françaises.

Mais si cette nouveauté de doctrines plaisait beaucoup à un homme accoutumé à exercer sa raison, son esprit et son indépendance; la cour, le châtelet, la sorbonne, n'avaient pas précisément les mêmes motifs de sentir ainsi. Je ne sais pourquoi, dans ces lieux-là, tant d'horreur s'attache de temps immémorial à tout ce qui s'appelle examen, Qu'on le garde quand c'est un abus, qu'on le pende quand c'est un homme, qu'on le fauche quand c'est un pré; la langue du pays n'en sait guère davantage.

La première correction amicale, infligée à notre poëte, fut un bel et bon emprisonnement dans les geôles de Paris, d'où, par grâce spéciale, il fut transféré en celles de Chartres. La peinture qu'il en a faite, sous le nom d'enfer, serait peu comprise de notre temps; on sait que, grâce à la politesse et à l'humanité du siècle, les prisons sont devenues presque un paradis; et voilà pourquoi tant d'âmes sensibles font si peu de difficulté d'y entasser les écrivains. Surtout nous ne reconnaîtrions personne au portrait des gens de justice, tel que Marot l'a tracé à propos de son interrogatoire.

Ainsi, peu près, au juge devisai.
Et, en parlant, un griffon j'avisai,

laient précipiter en enfer toute la France. » Dans un autre poëme, intitulé: Les combats du fidèle papiste, il s'adresse à la majesté bénigne de Henri n, en lui disant :

Je sais qu'as bonne intention

Sur les errans, que punir tu proposes.

Cependant cet honnête ecclésiastique fut condamné à faire amende honorable et à cinq ans de pénitence chez les chartreux, pour s'être chargé de présenter à Philippe п une requête où on l'invitait à venir au secours de la France hérétique. Le pauvre homme! il est venu au monde trop tôt pour sa tranquillité.

Qui, de sa croche et ravissante pate,
Écrivait là l'an, le jour et la date

De ma prison, et ce qui pouvait duire
A leur propos pour me fâcher et nuire,
Et ne sut one bien ortographier

Ce qui servait à me justifier.

Certes, amis, qui cherchez mon recours,
La coutume est des infernales cours;
Si quelque esprit de gentille nature
Vient là-dedans témoigner d'aventure
Aucuns propos, ou moyens, ou manières,
Justifiant les âmes prisonnières,

Il ne sera des juges écouté,

Mais lourdement de son dit rebuté;
Et écouter on ne refusera

L'esprit malia qui les accusera.

Le griffon donc en son livre doubla,
De mes propos, ce que bon lui sembla ;
Puis se leva Rhadamantus du siége,
Qui remener me fit au bas college
Des malheureux, par la voie où je vins
Si les trouvai à milliers et à vingts;
Et avec eux fis un temps demeurance,
Tasche l'ennui, consolé d'espérance.

Cette espérance consolatrice de tous ceux qui souffrent, ne fut point vaine pour Clément Marot. Tandis qu'on le persécutait, François 1. était absent; car c'est presque toujours loin du regard des rois de France que l'on persécute les Français; conimme dans les plaines de Troie, la guerre redoublait ses ravages pendant que Jupiter avait les yeux distraits sur des spectacles de justice et de douccur. Un ordre du monarque ouvrit la prison du poëte.

Cependant les Rhadamantus lui gardaient rancune; et cela m'étonne de gens si peu vindicatifs. Un jour ils firent ane brusque descente chez lui; quelques écrits le compronirent; et il n'eut que le temps d'échapper aux archers par un exil volontaire.

Tant qu'il n'avait été qu'emprisonné, la basse littérature, qui se nourrit de haine et de délations, de servitude et de salaires, n'avait pas trop osé se déchaîner contre lui. Mais, des qu'elle le vit, hors du royaume, elle exerça sans contrainte son vil métier; deux minces écrivains français, Sagon et La Huéterie, se signalèrent dans ces odieuses attaques, le seul titre auquel ils doivent le triste honneur d'avoir fait passer leurs noms jusqu'à nous (1). Sagon eut même l'impudence de solliciter ouvertement la place de Marot; mais il ne l'obtint pas; et c'est encore une différence à noter entre les temps d'alors et ceux d'aujourd'hui.

Ces hommes auraient bien voulu lier à leur indigne cause Mellin de Saint-Gelais, dont il est resté quelques vers. Saint-Gelais était brouillé avec Marot; dès qu'il le vit malheureux, il devint son défenseur et son ami.

Mais la même main royale, qui avait brisé les fers de, l'opprimé, fit cesser bientôt le scandale de son exil; l'existence du poète et la mémoire du monarque s'en sont trouvées également bien.

A.

(1) Voici un échantillon de leur esprit. Clément Marot, réclamant le secours de ses amis dans sa jolie épître à Lyon Jamet, avai raconté la fable du rat et du lion, en vers, charmans encore aujourd'hui à côté de ceux de La Fontaine. Par cet apologue, luimême se comparait an rat, dont la reconnaissance n'était point à dédaigner. Lorsque ensuite il fut rappelé de son exil, La Hueterie le nomma ingénieusement le rat pelé, Telles étaient les fines p'aisanteries de ces messieurs. Ils avaient, depuis les rats jusqu'aux rew quins, une ménagerie entière à leur disposition.

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